dimanche 19 avril 2020

7/31 : Annihilation 2018





ça marche comment ?

Grâce au clonage extraterrestre. Et on n’en saura pas beaucoup plus… « What do you know ? », demande en ouverture un scientifique revêtu d’une combinaison et d’un masque assez typique de ces périodes de pandémie, à une Nathalie Portman qui semble avoir perdu toute notion du temps : les quatre mois de sa disparition ont été pour elle l’équivalent de quelques jours seulement. On pourrait tout de suite avoir un doute sur le caractère effectif de cette résurrection - si, si, Chef de gare, je te vois venir - et me renvoyer que je tords un peu là la thème de notre Train fantôme resurrected, mais ce n’est pas de la résurrection hypothétique de l’héroïne du film dont il va être question, mais bien celle de son mari, l’objet de sa quête vers cette Zone X, ce lieu du Miroitement, ce phénomène qui s’est emparé de toute une région des Etats-Unis et la maintient dans un isolement impénétrable par les scientifiques et militaires en charge de l’observation de son déploiement progressif. Après l’envoi une année plus tôt de son soldat de mari, incarné par le toujours inspiré Oscar Isaac, pour explorer la zone, c’est au tour de Nathalie Portman, biologiste elle-aussi militaire, de s’aventurer en compagnie de trois comparses féminines dans cette jungle métaphysique pour comprendre pourquoi Kane, son compagnon, fut finalement le seul à revenir de cette mission, désormais redoublée, au féminin donc.



Et c’est là que le film démarre, pour une histoire qui va bégayer, une fois, deux fois, trois fois… Pour en venir à la scène de résurrection, ouverture de la dernière longue séquence du film, celle-ci à l’instar de la résurrection de Neo dans Matrix, nous est présentée par la médiation d’un écran, celui d’une caméra vidéo montée sur pieds dans le vestibule du phare - un projecteur, si vous n’avez pas bien saisi…- lieu d’où a débuté la propagation de ce fameux « scintillement » extraterrestre. Lena, interprétée par Nathalie Portman, parvenue au bout de sa quête, pénètre dans l’édifice, et l’on espère bien, avec elle, que nos questions vont trouver quelques réponses. A la place de cela, ce dispositif, cette caméra, qui n’est même pas la première dans le film, qui nous livre sous forme de found footage, grammaire la plus pauvre du cinéma d’horreur depuis au moins Blair Witch project, une petite séquence en plan fixe nous présentant le personnage de Kane, son mari, qui n’étant plus tout à fait sûr de qui il est, décide de se suicider à la grenade au phosphore - un peu équivalent à un flash photo à l’ancienne, on continue à filer la métaphore - avant qu’un autre Kane pénètre dans le champs et nous jette un regard dont on ne sait s’il est hostile ou familier. Kane est-il mort ? Kane est-il en vie ? Lequel vit, lequel brûle ? Autant de question que va pouvoir très vite se poser à son propre sujet la tourmentée Lena, dès lors qu’elle va passer dans l’autre monde, celui de cette intelligence qui n’est qu’une forme. Comme vous pouvez le sentir, on n’est pas très loin des motifs qu’on trouvait dans Matrix… Et pourtant...



ça vaut le coup ?


La mise en abyme est un procédé plastique qui reste très délicat, et peut vite devenir terriblement prétentieux. C’est définitivement le cas dans cet Annihilation assez vain. Comme dans Matrix, c’est sur les écrans que l’on recherche la preuve d’une réalité que l’on est pourtant en train d’éprouver. Il s’agit là d’un propos assez paradoxal, et pourtant après tout assez constitutif du cinéma : c’est l’effet spécial qui apparaît comme la preuve du réel, car au cinéma la chimère est le vrai. C’est évidemment encore plus vrai dans le fantastique, genre que l’on aime, et de ce point de vue, si l’on peut dire, le motif des found footage, ces traces ou vestiges d’une matérialité littéralement incroyable, participe assez classiquement du genre - au cinéma mais aussi dans la littérature, souvenez-vous de Frankenstein. Et ne manque pas de fabriquer de l’angoisse, notamment dans cette scène de mort et de résurrection, il faut bien le dire, mais aussi parce que l’inintelligibilité du propos et de sa forme contribue à une mise en abîme, le vertige, qui redouble l’abyme, la figure de style. Rien de bien neuf toutefois, et même un procédé plutôt éculé dans le cinéma d’horreur de ces dernières années. J’avais eu l’occasion d’évoquer dans ces pages certaines de ces oeuvres qui fonctionnent avec ces effets de tiroir, les Appolo 18 ou It follows, et qui n’arrivaient jamais vraiment à inquiéter le spectateur que je suis. 

Mais souvent chez Alex Garland le souci d’inquiéter, pourtant déjà bien difficile à accomplir, ne semble pas suffisant : il faut en plus faire réfléchir… Et soyons honnêtes, c’est souvent là que ça se gâte. Avec ce côté pseudo-kubrickien qu’on trouvait déjà dans Ex Machina ou dans Sunshine de Danny Boyle qu’il scénarisa, Garland a tendance a recycler tout un tas de thèmes et de motifs de l’histoire du cinéma de genre, non avec la déférence de l’admirateur, mais avec la condescendance du snob pourtant bien de son époque. Evidemment cet Annihilation est une variation tout à fait assumée sur le thème de "l’invasion des profanateurs de sépultures", je vous renvoie à ma chronique du 12 octobre 2014 (mon Dieu, déjà…) au sujet du roman important de Jack Finney, et du film beaucoup moins important Invasion de Hirschbiegel. Cet ennemy within, thème tout cinématographique dans ce qu’il pose précisément comme problème au cinéma, est donc le sujet du film de Garland. Mais l’on retrouve aussi dans ces pérégrinations en territoire hostile tout un univers bien connu des films de monstres, qui vont d’Alien à The Thing, en passant par King-Kong ou Jurassic Parc, pour le côté un peu touristique de l’équipée. Comme toujours Garland prétend mettre à jour le genre : ce sont quatre femmes qui explorent ces confins fantastiques, l’escouade précédente, celle des hommes, n’étant parvenue à nul résultat. Parmi ces femmes, il y a l’ancienne, à la fois la plus ambiguë  et en même temps la plus fascinante : la vieille gloire du genre, qui donc en sait plus qu’elle ne veut bien le dire, le docteur Ventress incarnée par une Jennifer Jason Leigh ma foi encore en forme ! Et puis il y la latino, la black, l’européenne, enfin tout y passe, on nous donne pas le détail de leurs orientations sexuelles, mais c’est tout comme. Cela ne nous raconte pas grand chose d’autre qu’un vague sentiment de United colors of Benetton, mais pourtant il y aurait sans doute eu d’autres choses à raconter de cette histoire de forme de vie qui se joue de toute forme justement. Jamais Garland ne parvient vraiment à nous mettre mal à l’aise avec tout cela, et surtout pas en s’adossant à ses personnages décidément bien lisses et "appropriés" en dépit de quelques névroses finalement bienvenues. Voilà qui est bien dommage…
    
c’était mieux avant ? 

Ça se tirait moins la nouille, tout de même… Ce qu’on aimerait vraiment, c’est que ces histoires de recombinaison du vivant, des formes mêmes du vivant, puisque c’est de cela qu’il s’agit, notamment dans les différentes scènes de résurrection plus ou moins avérées, donnent lieu à des visions un peu dignes de ce nom. 

Soyons honnêtes, il y a quelques moments où le film parvient à fabriquer des hallucination tout à fait inquiétantes, et pour une scène même à atteindre une étrangeté poétique devenue assez rare dans le cinéma de genre. Mais pour cet ours recomposé avec l’une de ses victimes, dont il a pris pour feulement le « help » désespéré, il y a beaucoup d’écume… Dont la moins ridicule n’est pas l’apparition terminale de l’alien, digne d’un spectacle de danse du subventionné, dans ce que celui-ci peut avoir de plus saugrenu. Garland tente alors de sortir de la stricte forme cinématographique, comme si en effet il était parvenu à en épuiser les potentiels - ce qui n’est pas le cas, cher Alex…- notamment avec la scène donc de la résurrection de Kane, et avait tout à coup besoin de passer à une matérialité impossible à figurer au cinéma. Nous ne sommes pas loin de la parodie dans cette scène, me semble-t-il, et si le geste un peu audacieux est à saluer, son manque de radicalité empêche le propos de parvenir à son terme. On reste bien dans le film, juste l’alien apparait comme un danseur emballé dans du papier aluminium… N’est pas au cinéma qui veut l’équivalent d’un Castellucci pour l’inventivité des formes au théâtre. On touche quand même là la limite du garçon à qui il ne suffisait pas de faire la leçon au monde du cinéma - il lui faudrait bien la tenir à celui du spectacle vivant aussi. Du moins ce final assez « culturiste » semblerait l’indiquer. 

L’acmé du film, à partir de la scène de résurrection, fonctionne exactement à l’inverse du cinéma de Raimi par exemple, ou de celui de Reitman : rien n’y est fou, tout est dispositif, distinction et embarras pourtant. Rien à voir avec un amalgame des formes, qui est pourtant le propos même de son film, et qui pourrait permettre au sens de proliférer, simplement une confusion apprêtée qui reste stérile, et ne finit par produire que du même… 

Mais après tout, n'est-ce pas ce que nous raconte cette histoire assez vaine, qui n’a trouvé d’autre distributeur que Netflix, l’avaleur de formes ?

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