samedi 25 avril 2020

13/31 Superman 1978








ça marche comment ?


Comme sur un dessin d’enfant. Si les jours s’écoulent parce que la Terre tourne, il suffit de la faire tourner dans l’autre sens pour remonter le temps. Une logique enfantine qui fait la réussite et la beauté du Superman de Richard Donner . Il fallait faire le film à hauteur de regard d’enfant. Superman est lu par des enfants, et c’est à eux qu’il parle. Il est peut-être bien plus difficile et risqué d’essayer de conserver ce regard là en transposant Superman au cinéma que de chercher à en faire l’outil d’une interrogation sur le monde moderne dans toute sa complexité. Ça  a plus de sens, en tous cas, par rapport au comics. Le film de Richard Donner s’ouvre sur des images de la bande-dessinée qu’un enfant lit, comme une note d’intention qui sera tenue jusqu’au bout.



La longue première partie du récit est consacrée à l’enfance de Superman. Il y est défini doublement comme un fils : enfant des étoiles, il vient d’une autre planète et cette ascendance  qu’il ignore lui assure une fois sur terre des dons exceptionnels. Voilà pour la métaphore sur le potentiel que chacun doit se découvrir et réaliser. Superman est aussi un enfant de la terre, il a été recueilli et élevé par Jonathan et Martha Kent, deux fermiers du Kansas, qui incarne sous leur meilleur jour les valeurs de l’Amérique des pionniers : le travail manuel, l’entraide, la foi. Voilà pour le rappel que nul enfant ne saurait grandir en ignorant les lois morales de la société dans laquelle il aura sa place d’adulte à trouver.



Et cette double identité est une image simple et jolie de ce qui agite la psyché enfantine : à quel point sommes nous les enfants de ceux qui nous élèvent ? Tout le film découle de cette problématique, et le parcours du héros, ses choix, sont sans cesse mesuré à l’aune de ces figures parentales : réelles- Martha et Jonathan, fantasmée, Jor-El et Lara. Superman, c’est évidemment la volonté de puissance, le délire narcissique sans limite, Clark, c’est tout le contraire, le principe du réel à l’œuvre contre le héros, et là tout devient impossible, même, et surtout adresser la parole à cette femme qu’on désire- Loïs Lane. On peut d’ailleurs s’amuser de cette contradiction tout aussi enfantine : Superman affirme ne jamais mentir, alors qu’il le fait constamment, puisqu’il cache à tout le monde qu’il se déguise en Clark Kent !



Le final de Superman va confronter les deux tendances antagonistes, en les traduisant magistralement. Le principe de réel absolu à l’ouvre dans la mort de Loïs Lane- filmée comme dans un thriller des années 70, sous une lumière crue, par une caméra cruelle dans son positionnement quasi documentaire qui ne nous épargne rien du déroulement des évènements entraînant la mort de Loïs. Puis, après un moment étrangement suspendu, une série de fondu nous fait passer du côté du fantasme et de l’onirisme. Superman s’envole, et un lumière magique nimbe maintenant la scène. Tout devient possible- comme dans un dessin d’enfant donc. La bande-dessinée se replie sur ses deux dimensions : cette terre est une terre dessinée qu’on peut faire tourner dans le sens que l’on veut, comme au bout de son doigt, ou de son crayon.



ça vaut le coup ?


C’est sûrement la plus belle chose que puisse faire Superman : ramener à la vie nos chers disparus. Par quel plus grand exploit pourrait-on définir le plus absolu des héros ? Superman c’est cette rêverie douloureuse, dont les exploits fonctionnent comme presque autant d’anti-phrases. Tout ce que Superman peut faire, c’est justement ce que nous ne pourrons jamais faire. Voilà d’ailleurs où se loge la haine que Luthor voue au héros, et le fondement humain, si humain de leur antagonisme. Comme le lui fait dire Brian Azzarello : « I see something no man can ever be. I see the end. The end of our potential. The end of our achievements. The end of our dreams. You are my nightmare. »[1]

Le second film de la série, Superman II, prolongera d’ailleurs cette problématique, en mettant en scène un Superman adulte, autrement dit, un personnage ayant surmonté son narcissisme pour accepter d’entrer dans le monde de l’altérité, et par là même, le réel. Ce qui, traduit dans le scénario, fait du renoncement à ses pouvoirs la condition pour Superman de la possibilité de vivre une histoire d’amour avec Lois.



c’était mieux avant ?


C’était tellement plus beau avant. Comment regarder Superman en essayant de retirer le filtre de la nostalgie ?  Pourquoi faudrait-il essayer d’ailleurs ? Dans Superman, ce final avec la terre qu’on fait tourner à l’envers, c’est quelque chose de fou, naïf et épatant qu’on pourrait voir dans un serial Republic. En ce sens, le film de Richard Donner relève de la même culture que ceux de Spielberg à la même époque. Même s’il est daté techniquement- mais n’importe quel film l’est- quelque chose est impérissable dans ce film : le charme unique de Christopher Reeve, son duo comique impeccable avec Margot Kider, et pour rehausser les éléments colorés et naïfs venant de la bd, une esthétique, elle directement héritée du cinéma des années 70. Les bureaux du Daily Planet pourraient être ceux des Hommes du président. Et cette dualité esthétique répond parfaitement à celle qui structure tout le récit, cette opposition du réel avec le fantasme, dont le génie est d’avoir réussit à le maintenir au niveau d’une problématique enfantine. C’est d’ailleurs ce qui a toujours été reproché à Superman. C’est un film profondément enfantin, oui, mais c’est justement sa beauté.








[1] « Je vois quelque chose qu’aucun homme ne pourra jamais être. Je vois la fin. La fin de notre potentiel. La fin de nos accomplissements. La fin de nos rêves. Tu es mon cauchemar. » Azarello Brian, Lex Luthor : man of steel, N°1, DC Comics, mai 2005, 22p.

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