ça marche comment ?
Comme sur un dessin d’enfant. Si les jours s’écoulent parce
que la Terre
tourne, il suffit de la faire tourner dans l’autre sens pour remonter le temps.
Une logique enfantine qui fait la réussite et la beauté du Superman de Richard
Donner . Il fallait faire le film à hauteur de regard d’enfant. Superman est lu
par des enfants, et c’est à eux qu’il parle. Il est peut-être bien plus
difficile et risqué d’essayer de conserver ce regard là en transposant Superman
au cinéma que de chercher à en faire l’outil d’une interrogation sur le monde
moderne dans toute sa complexité. Ça a
plus de sens, en tous cas, par rapport au comics. Le film de Richard Donner
s’ouvre sur des images de la bande-dessinée qu’un enfant lit, comme une note
d’intention qui sera tenue jusqu’au bout.
La longue première partie du récit est consacrée à l’enfance
de Superman. Il y est défini doublement comme un fils : enfant des
étoiles, il vient d’une autre planète et cette ascendance qu’il ignore lui assure une fois sur terre des
dons exceptionnels. Voilà pour la métaphore sur le potentiel que chacun doit se
découvrir et réaliser. Superman est aussi un enfant de la terre, il a été
recueilli et élevé par Jonathan et Martha Kent, deux fermiers du Kansas, qui
incarne sous leur meilleur jour les valeurs de l’Amérique des pionniers :
le travail manuel, l’entraide, la foi. Voilà pour le rappel que nul enfant ne
saurait grandir en ignorant les lois morales de la société dans laquelle il
aura sa place d’adulte à trouver.
Et cette double identité est une image simple et jolie de ce
qui agite la psyché enfantine : à quel point sommes nous les enfants de
ceux qui nous élèvent ? Tout le film découle de cette problématique, et le
parcours du héros, ses choix, sont sans cesse mesuré à l’aune de ces figures
parentales : réelles- Martha et Jonathan, fantasmée, Jor-El et Lara.
Superman, c’est évidemment la volonté de puissance, le délire narcissique sans
limite, Clark, c’est tout le contraire, le principe du réel à l’œuvre contre le
héros, et là tout devient impossible, même, et surtout adresser la parole à
cette femme qu’on désire- Loïs Lane. On peut d’ailleurs s’amuser de cette
contradiction tout aussi enfantine : Superman affirme ne jamais mentir,
alors qu’il le fait constamment, puisqu’il cache à tout le monde qu’il se
déguise en Clark Kent !
Le final de Superman va confronter les deux tendances
antagonistes, en les traduisant magistralement. Le principe de réel absolu à
l’ouvre dans la mort de Loïs Lane- filmée comme dans un thriller des années 70,
sous une lumière crue, par une caméra cruelle dans son positionnement quasi
documentaire qui ne nous épargne rien du déroulement des évènements entraînant
la mort de Loïs. Puis, après un moment étrangement suspendu, une série de fondu
nous fait passer du côté du fantasme et de l’onirisme. Superman s’envole, et un
lumière magique nimbe maintenant la scène. Tout devient possible- comme dans un
dessin d’enfant donc. La bande-dessinée se replie sur ses deux
dimensions : cette terre est une terre dessinée qu’on peut faire tourner
dans le sens que l’on veut, comme au bout de son doigt, ou de son crayon.
ça vaut le coup ?
C’est sûrement la plus belle chose que puisse faire
Superman : ramener à la vie nos chers disparus. Par quel plus grand
exploit pourrait-on définir le plus absolu des héros ? Superman c’est
cette rêverie douloureuse, dont les exploits fonctionnent comme presque autant
d’anti-phrases. Tout ce que Superman peut faire, c’est justement ce que nous ne
pourrons jamais faire. Voilà d’ailleurs où se loge la haine que Luthor voue au
héros, et le fondement humain, si humain de leur antagonisme. Comme le lui fait
dire Brian Azzarello : « I see
something no man can ever be. I see the end. The end of our potential. The end
of our achievements. The end of our dreams. You are my nightmare. »[1]
Le second film de la série, Superman II, prolongera
d’ailleurs cette problématique, en mettant en scène un Superman adulte,
autrement dit, un personnage ayant surmonté son narcissisme pour accepter
d’entrer dans le monde de l’altérité, et par là même, le réel. Ce qui, traduit
dans le scénario, fait du renoncement à ses pouvoirs la condition pour Superman
de la possibilité de vivre une histoire d’amour avec Lois.
c’était mieux avant ?
C’était tellement plus beau avant. Comment regarder Superman
en essayant de retirer le filtre de la nostalgie ? Pourquoi faudrait-il essayer d’ailleurs ?
Dans Superman, ce final avec la terre qu’on fait tourner à l’envers, c’est
quelque chose de fou, naïf et épatant qu’on pourrait voir dans un serial
Republic. En ce sens, le film de Richard Donner relève de la même culture que
ceux de Spielberg à la même époque. Même s’il est daté techniquement- mais
n’importe quel film l’est- quelque chose est impérissable dans ce film :
le charme unique de Christopher Reeve, son duo comique impeccable avec Margot
Kider, et pour rehausser les éléments colorés et naïfs venant de la bd, une
esthétique, elle directement héritée du cinéma des années 70. Les bureaux du
Daily Planet pourraient être ceux des Hommes du président. Et cette dualité
esthétique répond parfaitement à celle qui structure tout le récit, cette
opposition du réel avec le fantasme, dont le génie est d’avoir réussit à le
maintenir au niveau d’une problématique enfantine. C’est d’ailleurs ce qui a
toujours été reproché à Superman. C’est un film profondément enfantin, oui,
mais c’est justement sa beauté.
[1] « Je vois quelque
chose qu’aucun homme ne pourra jamais être. Je vois la fin. La fin de notre
potentiel. La fin de nos accomplissements. La fin de nos rêves. Tu es mon
cauchemar. » Azarello Brian, Lex
Luthor : man of steel, N°1, DC Comics, mai 2005, 22p.
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