mardi 5 mai 2020

23/31: Frankenstein 1932






ça marche comment ?

A l’électricité. Mais comme il faut une sacrée décharge, c’est la foudre qui doit amener l’étincelle de la vie dans le corps du monstre. Une métaphore tout cinématographique, et d’ailleurs inventée par lui : dans le roman, la résurrection du monstre est carrément traitée par une ellipse. C’est la tout le talent de Whale que d’avoir compris la cinégénie potentielle du récit :  il y a par exemple une adaptation de 1910, dans laquelle le monstre est mijoté dans un grand chaudron, comme une bonne soupe.  






On voit bien qu’à l’époque, la mise en scène au cinéma est encore faite dans la vieille marmite du théâtre. Même si dans ce film, il y a, à la fin, un intéressant trucage pour permettre une métaphore visuelle : Frankenstein voit le monstre dans le miroir, à la place de son propre reflet. En 31, Whale est de ces cinéastes qui utilisent à plein les moyens de leu art... c’est la période où le cinéma est rêvé comme un art total, et on le voit bien ici : le décor, le son, la mise en scène, les éclairages, les dialogues, toutes les aiguilles sont poussées dans le rouge. Littéralement il y a « de l’éléctricité dans l’air » Et puis il y a la dimension blasphématoire de cette scène. Dans les propos du docteur, bien sûr : « Now I know what it feels like to be God ! » mais dans tout la scénographie. On assiste à une sorte d’ascension inversée. Ce n’est pas l’esprit qui monte au ciel, mais le corps putrescible, où il ne sera pas accueilli mais renvoyé, porteur de la vie. Et cette élévation ne se fait pas dans la grâce mais dans le chaos assourdissant du crépitement des machines. Car c’est la mécanique, l’ingénierie humaine qui permet la vie, et pas le souffle divin. On pourrait aller très loin dans l’analyse en cherchant ce qui fait de Whale et ses collaborateurs les auteurs de cette lecture très anti-religieuse de Frankenstein, mais ça n’a pas être pas tellement d’importance. Ce qui est certain, c’est que sa vision a interpellé un très vaste public, et a traversé les modes, au point de s’imposer comme la pierre philosophale du mythe de Frankenstein, et comme une de ces Joconde du cinéma que l’on évoque souvent. Tout dans cette scène s’est inscrit dans l’inconscient collectif : la disposition du laboratoire avec cette table sur laquelle repose le corps, cette espace verticale s’étirant démesurément, le corps qu’il faut hisser, jusqu’au propos du docteur : « it’s alive, it’s alive ! », son jeu proche de l’hystérie… et bien entendu l’apparence du monstre, soigneusement caché, qui va nous être révélé plus tard.

ça vaut le coup ?

Il nous manquerait quand même un sacré morceau d’histoire du cinéma si l’on n’avait ce Krankenstein de Whale incarné par Boris Karloff, maquillé par Jack Pierce, éclairé par Arthur Edison. On peut faire une comparaison un peu facile, mais à l’instar du docteur Frankenstein, ce sont autant d’artistes qui ont voulu aller là ou les autres n’étaient pas allés avant eux. Il y a là une volonté d’innovation qu’on peut comparer à celle de Cameron- toute proportions gardées quant à la logistique des projets. Frankenstein, ce n’est pas non plus Napoléon d’Abel Gance, certes, mais voilà un film qui fait progresser le cinéma à la fois d’un point de vue esthétique que technique. Whale et Edison se retrouveront d’ailleurs pour Theinvisible man, qui est peut-être le sommet de leur collaboration tant le film représente un défi cinématographique. Selon la personnalité de son metteur en scène, il peut s’agir d’une figure absolument cinégénique ou absolument anti-cinématographique. Si Frankenstein est le coup de tonnerre inaugural, L’homme invisible l’expérimentation totale, il y a ensuite Bride of Frankenstein, qui est peut-être encore plus séminal que le précédent. C’est le grand réservoir d’images du cinéma d’horreur gothique. Tim Burton est sans doute le plus célèbre des pilleurs de ce film. Non seulement ça vaut le coup, mais je dirais même que Frankenstein est un film qu’il faut avoir vu. C’est un classique.

c'était mieux avant ?

Avant, il n’y avait presque rien. Le cinéma « expressionniste » allemand- en tête Nosferatu de Murnau, 3 ans auparavant, qui demeure une grande influence esthétique pour les Universal monsters. Le Dracula de Browning vient d’ouvrir la voie à ces réappropriations américaines d’une esthétique façonnée dans le creuset artistique de l’Europe. Mais il ne faut pas oublier que Frankenstein est vraiment l’expression de la voix singulière de Whale. Le film, et sa suite encore plus, est parcouru par un humour féroce, allant de pair avec son refus des interrogations religieuses. On l’oublie un peu parce que c’est devenu une évidence, mais c’est Whale qui invente le monstre pathétique- même s’il ne faut pas minimiser l’apport de Karloff dans ce domaine. Il fallait le faire ! C’est encore plus frappant dans sa suite : à peine avons-nous pris fait et cause pour le monstre, qu’il noie une petite fille. Il y a quelque chose de très puissant et d’indémodable dans cette figure du « freak », dont Whale partage avec Browning (encore lui !) la paternité. David Lynch s’en souviendra lorsqu’il entreprendra de tourner Elephant Man en noir et blanc. C’est aussi Whale qui fait du monstre, et non plus du Baron la figure emblématique, le « héros » du récit. Ça aussi, quand on y pense, il fallait le faire.

Copiée, reprise, la scène de la résurrection du monstre du Frankenstein de Whale est devenu un véritable « sujet » du cinéma fantastique, comme on le dirait en peinture. L’énumération de ses apparitions serait interminables, mais pour les plus grand public, citons Frankenstein Junior, Frankenweenie de Tim Burton, et un peu moins grand public… Frankenhooker, de Frank Henenlotter. L’apparence du monstre est devenu un totem, un drapeau brandi dans les films d’innombrables cinéastes, au même titre que King Kong. Il apparaissent d’ailleurs tous les deux dans un film magnifique, un chant d’amour à la puissance libératrice d’un imaginaire dont Whale est un des pères : Quelques minutes après minuit, de J.A Bayona. Le monstre de Frankenstein est rené en 1931 et il n’a plus jamais quitté les images du cinéma. « It’s alive » !

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