vendredi 8 mai 2020

26/31 : Solaris 2002






ça marche comment ?

Comme un fantasme qui deviendrait réalité, autant dire que ça marche par les purs moyens du cinéma. 

Dans le récit, cela fonctionne surtout grâce à la proximité avec la planète Solaris, immense « cerveau » spatial capable de réceptionner et donner formes à nos souvenirs, et par là même faire revenir nos disparus. Bien entendu, comme dans tout bon récit de science-fiction, ces proches sont des copies, des « profanateurs de sépulture » comme semble le penser l’un des personnage de ce Solaris version XXIème siècle. 

Et si sous la surface de ces êtres chers se dissimulaient des aliens hostiles et qui nous manipulaient ? La question n’est pas neuve dans le cinéma de genre, mais ce n’est pas tout à fait ce topos qui intéresse Soderbergh, cinéaste de l’illusion et ses dispositifs, mais aussi de l’incommunicabilité et de l’incompréhension - et cela peut valoir pour un couple dans Sexe, mensonge et vidéo ou pour toute l’humanité quand celle-ci fait face à une pandémie de virus, comme dans Contagion Mais il est tout de même étrange de voir Soderbergh se lancer dans la science-fiction avec ce remake du film de Tarkovski, de trente ans antérieur, et considéré, à l’égal d’un 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick, comme l’un des films fondateurs et indépassables de la science-fiction moderne au cinéma. On sait que le soviétique avait eu pour ambition de répondre à l’américain et à son chef d’oeuvre presqu’inhumain. D’où ce recours au roman de Stanislas Lem, planet opera qui substitue à la sentinelle impénétrable imaginée par Arthur C. Clarke dès les années cinquante, et qui prendra chez Kubrick la célèbre forme du monolithe, le visage familier des proches, littérale antithèse plastique. Les ambitions formelles à partir de ces récit diamétralement opposés relevaient néanmoins du même registre : avec Tarkovski autant qu’avec Kubrick, la science-fiction tout à coup se faisait musicale, incantatoire même, métaphysique certainement.

Rien de tout cela dans les choix de Soderberg, avec qui nous plongeons dans la psychologie, celle qui prévaut d’abord entre homme et femme, entre mari amoureux et épouse mélancolique, entre désir d’enfant avorté et tentative de suicide réussie. 

Il reste la musique envoutante de Cliff Martinez pour nous rappeler les grands ainés, et quelques belles images de la planète Solaris - le film est produit par James Cameron tout de même - mais l’essai de Soderbergh tombe toutefois un peu à plat, et il semble en prendre acte lui-même lorsqu’il fait dire au personnage de Gordon, la femme médecin de la station qui assiste au « retour à la vie » de Rheya : « Je n'arriverai jamais à m'y faire. À ces résurrections. », comme s’il nous confessait par là que son remake ne peut décidément pas dépasser le stade de copie de l’original. Et sans doute les plan sur les vaisseaux intersidéraux, et leurs accouplements spatiaux - on dit « rendez-vous » en astronautique, mais là c’est vraiment sexuel, jusqu’à l’ellipse terminale - tout cela intéresse assez peu Soderbergh, qui filme d’abord des gens, depuis toujours.

Un essai et un échec, sans doute, mais dont le réalisateur parvient parfois à faire quelque chose tout de même.        

ça vaut le coup ?

Ces histoires d’intelligence extraterrestre, c’est compliqué… D’abord il y a une première résurrection de Rheya, la femme de longue date suicidée du personnage principal Chris Kelvin, psychologue venu rejoindre la station Prometheus qui explore Solaris, suite à l’étrange appel de détresse de son ami qui dirige l’expédition. Ce premier retour se conclue par l’éjection de la jeune femme dans le vide spatial, comme dans 2001, mais cette fois-ci de la main bien humaine de Chris, qui alors a décidé de supprimer son épouse, ou son fac-similé, on ne sait pas bien. Puis lorsqu’elle revient à nouveau, autre copie ignorante du passé, Chris se laisse séduire cette fois, et reprend son histoire où elle s’était interrompue. Les nombreux flash-backs nous expliquent alors à quel point leur relation était difficile, entre passion et incompréhension. Ces différents « huis-clos » dans le vaisseau du présent et dans l’appartement du passé, rythment alors le film, avec en surplomb le possible et paranoïaque sentiment d’être manipulé par l’intelligence extraterrestre de Solaris. Ces scènes durent, se répètent, finissent par se brouiller comme dans un rêve. Surnagent quelques idées tout de même : le retour de Rheya qui se fait depuis un flou par une mise au point sur son visage, la superficialité de Chris lorsqu’il cite de la poésie pour séduire sa future femme qui fait écho à celle de Solaris, les longs panoramiques à 360° qui fabriquent autant d’angoisse que de mélancolie.    

c’était mieux avant ?

Tout se passe en fait comme si nous étions dans l’esprit de Chris lui-même. Cette planète, c’est évidemment son cerveau, celui qui tente sans cesse de rejouer ce qui s’est passé entre sa rencontre avec Rheya lors d’un voyage en métro et le suicide de la jeune femme quelques années plus tard. 

La volonté de comprendre anime Chris, et comprendre Solaris, c’est en fait comprendre sa propre histoire. Le film se termine une fois encore par une conversion : le pivot du film repose sur le souvenir d’une conversation avec sa femme et quelques amis qui portait sur l’intelligent design, cette version un peu science-fictionnel du bon vieux créationnisme, simplement étendu à tout l’Univers. Il n’est pas rare que les récits d’extraterrestres servent cette théorie fumeuse. Soderbergh semble la reprendre à son compte avec la conclusion de son film, mais dans une version intimiste qui lui est propre : « Je suis vivant ou je suis mort ?” demande Chris à Rheya, à la toute fin du film. “On n'a plus à penser en ces termes-là. On est ensemble. Tout ce que nous avons fait est pardonné”, répond sa femme. Le regard caméra de l’un et de l’autre se retrouvant définitivement, nous renvoie à ces fictions que sont ceux dont nous nous souvenons, des fictions que l’on fabrique nous-mêmes, pour nous-mêmes, afin de déjouer la mort, au moins un peu. Il y a là un dessein intelligent, le plus souvent inconscient, mais qui crée des mondes, en effet, fermés sur eux-mêmes toutefois.

Kubrick racontait un peu la même chose à la fin de 2001, mais lui il racontait dans le même temps, beaucoup d’autres choses…   

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