ça marche comment ?
Il faut être dans les bons papiers du Père. Et pour le
commun des croyants, ça va se passer plutôt au paradis que dans notre vallée de
larmes. Jésus, c’est un cas à part. Lui, il est revenu directement sur Terre
pour lancer tout le truc. Théologiquement, c’est un peu compliqué à développer
ici, mais techniquement, ça se passe en plan séquence. Le tout dernier du film,
un épilogue qui fonctionne comme un bon vieux retournement à la Carpenter. C’est difficile à
imaginer, mais si quelqu’un n’a jamais entendu parler de Jésus, j’adorerai voir
sa réaction à la fin du film ! Jésus est un cas à part, mais Mel Gibson
aussi. En une poignée de films- trop peu- il a bâti un cinéma très singulier,
tellement primitif dans son rapport à l’image, d’une telle croyance dans la
valeur du cinéma comme expérience viscérale, émotionnellement, picturalement,
que la question de la foi du bonhomme devient caduque, et qu’il parle aux plus
athées des spectateurs.
A la fois son film le plus pauvre dramatiquement, et le
plus extrême plastiquement (et idéologiquement ?) La passion du Christ,
s’il est sûrement celui que j’aime le moins, est un sacré morceau de cinéma
« psychotique », comme le pense Paul Verhoeven. Je ne résiste pas au
plaisir de citer ici un extrait de son passionnant livre sur Jésus, dans lequel
il revient brièvement sur les films les plus connus ayant illustré la vie du
Christ. « Et puis, bien sûr, il y a Mel Gibson. Dans sa vision des choses,
Dieu est psychotique (…) On ne rencontre pas de Dieu bienveillant ou de
miséricorde (…) Gibson nous ramène au Moyen-âge et à ses sanglants jeux de la Passion. On peut se demander
dans quelle culture on vit lorsque des gens tirent plaisir ou consolation d’un
martyre long de deux heures (…) Le sang qui nous « purifie » semble
surtout éclabousser les méchants. Le film n’a rien de plus à offrir. On
n’apprend pas à connaître Jésus, on ne sait pas ce qu’il défendait, le
spectateur reste en plan, dans une mare sanglante. Mel Gibson s’en tient à le
lettre (…) Bref, ce film nous en dit long sur son réalisateur, mais absolument
rien sur Jésus. »[1]
Il y
a là une part de mauvaise foi- Il y a bien une vision de Jésus dans le film,
suffisamment orientée pour qu’on puisse faire une lecture antisémite du déroulement des derniers jours de Jésus- ce que n'ont pas manqué de souligner les détracteurs du film, et surtout de son metteur en scène. Et il y a l’intuition
visuelle de Gibson, qu’on le veuille ou non, il est de ces cinéastes aussi rares que
précieux qui évacuent l’intellect au profit d’un besoin d’expression absolu. Ce
qui en fait un metter en scène de la famille d’un Tsui Hark, d’un John Woo ou d’un
Rob Zombie. Gibson, lui, est aussi particulèrement tortué, déchiré, et il
suffit d’écrire ça pour comprendre combien ses films forment un grand
autoportrait fragmenté et déchirant.
ça vaut le coup ?
On parle quand même d’une preuve de la possibilité de l’avènement
très prochain du Royaume de Dieu. Si c’était vrai, on s’y retrouverait, quand
même ! Pour le cinéphile, plus modestement, le cinéma de Gibson est des plus clivants, et
c’est même presque un signe de reconnaissance. Qu’il aille jouer chez Craig
Zahler est tout à fait révélateur, et on peut mesurer combien son approche du
cinéma a une aura dépassant largement les seuls films qu’il a réalisé. Je fais
partie des inconditionnels. Ce plan
séquence est très beau, notamment le jeu de lumière qui nous fait comprendre qu’on
fait rouler la fameuse pierre ronde qui ferme la sépulture du Christ. Et en même
temps, on n’en revient pas du mélange d’images qui s’opère sous nos yeux.
Mel Gibson a-t-il vraiment pensé au Retour du
Jedi en filmant le suaire se « dégonflant » comme le kimono de Yoda ?
C’est presque le même angle ! Et encore une fois, il y a ce besoin d’incarner
et de montrer qui le pousse à choisir de montrer la résurrection du point de
vue de Jesus. Ce serait complètement idiot si l’intelligence avait la moindre
valeur au cinéma. Avait-il en tête la grammaire du film de Zombie et du film de
Super-héros ? En tous cas, son Jesus se présente exactement comme un
mort-vivant, bien propre mais portant les stigmates de son martyre. D’ailleurs,
ils fonctionnent comme une sorte de logo, un bat-symbole de Jesus, qui se
redresse comme un super-héros prêt à … à
quoi ? On ne sait pas, mais les tambours s’énervant carrément sur la bande
son, on ne peut s’empêcher de penser que c’est pas pour nous beurrer des
tartines ![2] Et puis… Est-ce que
vraiment Mel Gibson a voulu que son Jesus débarque du tombeau la boutique au
vent ? Les opposés se rejoignent et il y a quelque chose de La vie de
Brian dans ce Christ saint sulpicien.
c’était mieux avant ?
Non, après, c’est le paradis qui nous attend. Difficile de
faire mieux. Et puis Jesus enterre (ah ! ah !) ses 30 prédécesseurs.
L’ultime ressuscité, c’est Lui.
[1] Verhoeven, Paul, Jesus de Nazareth, Paris, Aux forges de
Vulcain, 2015, P.44.
[2] Référence purement
générationnelle, je n’ai pu m’empêcher de penser à ça.
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