mercredi 13 mai 2020

31/31 La passion du Christ (The passion of the christ) 2007










ça marche comment ?


Il faut être dans les bons papiers du Père. Et pour le commun des croyants, ça va se passer plutôt au paradis que dans notre vallée de larmes. Jésus, c’est un cas à part. Lui, il est revenu directement sur Terre pour lancer tout le truc. Théologiquement, c’est un peu compliqué à développer ici, mais techniquement, ça se passe en plan séquence. Le tout dernier du film, un épilogue qui fonctionne comme un bon vieux retournement à la Carpenter. C’est difficile à imaginer, mais si quelqu’un n’a jamais entendu parler de Jésus, j’adorerai voir sa réaction à la fin du film ! Jésus est un cas à part, mais Mel Gibson aussi. En une poignée de films- trop peu- il a bâti un cinéma très singulier, tellement primitif dans son rapport à l’image, d’une telle croyance dans la valeur du cinéma comme expérience viscérale, émotionnellement, picturalement, que la question de la foi du bonhomme devient caduque, et qu’il parle aux plus athées des spectateurs.

 A la fois son film le plus pauvre dramatiquement, et le plus extrême plastiquement (et idéologiquement ?) La passion du Christ, s’il est sûrement celui que j’aime le moins, est un sacré morceau de cinéma « psychotique », comme le pense Paul Verhoeven. Je ne résiste pas au plaisir de citer ici un extrait de son passionnant livre sur Jésus, dans lequel il revient brièvement sur les films les plus connus ayant illustré la vie du Christ. « Et puis, bien sûr, il y a Mel Gibson. Dans sa vision des choses, Dieu est psychotique (…) On ne rencontre pas de Dieu bienveillant ou de miséricorde (…) Gibson nous ramène au Moyen-âge et à ses sanglants jeux de la Passion. On peut se demander dans quelle culture on vit lorsque des gens tirent plaisir ou consolation d’un martyre long de deux heures (…) Le sang qui nous « purifie » semble surtout éclabousser les méchants. Le film n’a rien de plus à offrir. On n’apprend pas à connaître Jésus, on ne sait pas ce qu’il défendait, le spectateur reste en plan, dans une mare sanglante. Mel Gibson s’en tient à le lettre (…) Bref, ce film nous en dit long sur son réalisateur, mais absolument rien sur Jésus. »[1] 

Il y a là une part de mauvaise foi- Il y a bien une vision de Jésus dans le film, suffisamment orientée pour qu’on puisse faire une lecture antisémite du déroulement des derniers jours de Jésus- ce que n'ont pas manqué de souligner les détracteurs du film, et surtout de son metteur en scène. Et il y a l’intuition visuelle de Gibson, qu’on le veuille ou non,  il est de ces cinéastes aussi rares que précieux qui évacuent l’intellect au profit d’un besoin d’expression absolu. Ce qui en fait un metter en scène de la famille d’un Tsui Hark, d’un John Woo ou d’un Rob Zombie. Gibson, lui, est aussi particulèrement tortué, déchiré, et il suffit d’écrire ça pour comprendre combien ses films forment un grand autoportrait fragmenté et déchirant.



ça vaut le coup ?


On parle quand même d’une preuve de la possibilité de l’avènement très prochain du Royaume de Dieu. Si c’était vrai, on s’y retrouverait, quand même ! Pour le cinéphile, plus modestement,  le cinéma de Gibson est des plus clivants, et c’est même presque un signe de reconnaissance. Qu’il aille jouer chez Craig Zahler est tout à fait révélateur, et on peut mesurer combien son approche du cinéma a une aura dépassant largement les seuls films qu’il a réalisé. Je fais partie des inconditionnels.  Ce plan séquence est très beau, notamment le jeu de lumière qui nous fait comprendre qu’on fait rouler la fameuse pierre ronde qui ferme la sépulture du Christ. Et en même temps, on n’en revient pas du mélange d’images qui s’opère sous nos yeux. 

Mel Gibson a-t-il vraiment pensé au Retour du Jedi en filmant le suaire se « dégonflant » comme le kimono de Yoda ? C’est presque le même angle ! Et encore une fois, il y a ce besoin d’incarner et de montrer qui le pousse à choisir de montrer la résurrection du point de vue de Jesus. Ce serait complètement idiot si l’intelligence avait la moindre valeur au cinéma. Avait-il en tête la grammaire du film de Zombie et du film de Super-héros ? En tous cas, son Jesus se présente exactement comme un mort-vivant, bien propre mais portant les stigmates de son martyre. D’ailleurs, ils fonctionnent comme une sorte de logo, un bat-symbole de Jesus, qui se redresse comme un super-héros  prêt à … à quoi ? On ne sait pas, mais les tambours s’énervant carrément sur la bande son, on ne peut s’empêcher de penser que c’est pas pour nous beurrer des tartines ![2] Et puis… Est-ce que vraiment Mel Gibson a voulu que son Jesus débarque du tombeau la boutique au vent ? Les opposés se rejoignent et il y a quelque chose de La vie de Brian dans ce Christ saint sulpicien.



c’était mieux avant ?


Non, après, c’est le paradis qui nous attend. Difficile de faire mieux. Et puis Jesus enterre (ah ! ah !) ses 30 prédécesseurs. L’ultime ressuscité, c’est Lui.




[1] Verhoeven, Paul, Jesus de Nazareth, Paris, Aux forges de Vulcain, 2015, P.44.
[2] Référence purement générationnelle, je n’ai pu m’empêcher de penser à ça.

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