Comme bande-son à la lecture de cet article, je vous propose le concerto pour violon "The butterfly lovers", inspiré par la légende des amants papillons, et composé en 1959 par Chen Gang et He Zhanhao. Destiné à un orchestre "à l'occidentale", il constitue une sorte de pont avec la culture musicale asiatique, en intégrant des mélodies typiquement chinoises. C'est sur ce concerto que James Wong et les compositeurs de The lovers ont basé toute la musique du film.
Comment ça marche ?
Très symboliquement. Ici la renaissance se fait sous forme
d’une possible réincarnation, si c’est ce qu’on a envie d’y voir. C’est de la main d’un moine que s’échappent les
papillons, ils étaient quelques secondes auparavant de simples
silhouettes de papier, c’est sans doute la renaissance des amants- pendant
chinois bouddhique de notre bonne vieille résurrection- que Tsui Hark veut
représenter. D’ailleurs, il faut peut-être interpréter cette renaissance comme
un continuation des souffrances du couple plutôt que comme une libération de
leurs âmes. Tsui Hark avait peut-être envie de laisser le dernier mot au moine,
témoin de toute l’histoire et personnage très important des films du Hong-kongais.
Il est au centre de Green Snake, et son destin terrible dans The blade- tué,
littéralement, comme un chien, définit le projet esthétique de ce film
hallucinant. Dans The lovers, il est le seul à avoir compris la nature de leur
amour.
Mais cette fin peut aussi être lue comme une simple coda, reprenant un motif précédent- celui de la comparaison des amants avec deux papillons, créatures à la fois gracieuses, fragiles et éphémères- en guise d’épilogue léguant au spectateur le souvenir de l’amour fou qui unit Chuk Ying Toi et Shan Pak.
Mais cette fin peut aussi être lue comme une simple coda, reprenant un motif précédent- celui de la comparaison des amants avec deux papillons, créatures à la fois gracieuses, fragiles et éphémères- en guise d’épilogue léguant au spectateur le souvenir de l’amour fou qui unit Chuk Ying Toi et Shan Pak.
Ça vaut le coup ?
The lovers est un des plus beaux films du monde. Et c’est
aussi un film très important dans la carrière de Tsui Hark, un des quelques
authentiques génies du cinéma. Ils ne sont pas si nombreux. The Lovers n’est
pas le film d’un jeune homme- Hark a réalisé ou produit un cinquantaine de
films au moment où il réalise. Au-delà de la perfection esthétique du film, on
se demande comment un artiste aussi rompu –à tous les sens du terme- à son art
a pu retrouver une telle fraicheur dans l’évocation des sentiments de la
naissance amoureuse, vécus par des personnages à l’orée de leur vie affective
d’adultes. Mais, au-delà du génie du cinéaste, comme pour tous les grands
films, il faut un concours de circonstance, un peu de chance, pour que les
artistes impliqués dans la création du film soient tous engagé alors qu’ils
traversent un moment de grâce dans leur carrière. C’est particulièrement
évident pour le couple du titre, dont les acteurs, quasiment dans leur premier
rôle, projettent hors de l’écran une alchimie palpable, qui semble naturelle.
C’est d’ailleurs une des clefs de la réussite du film : encadrer par une
esthétique corsetée à l’extrême des comédiens au jeu spontané et sans calcul.
Les scènes où Ying Toi et Shan Pak s’échangent des grimaces sont irrésistibles.
C’est d’ailleurs un des autres miracles du film : avoir réussi à capter
ces moments de la relation amoureuse où les sentiments s’enracinent par une
complicité presque triviale, faite d’enfantillages. C’est d’autant plus
virtuose que Tsui Hark fait basculer ensuite le film dans le mélodrame
fantastique avec une facilité qui laisse sans voix. Quel cinéaste quand même,
que ce type qui peut barbouiller des histoires auxquelles on ne comprend à peu
près rien, puis se mettre à nous raconter d’un trait limpide et sans tâche un
récit qui nous tire irrésistiblement les larmes. Si on ressent, sans même s’en rendre
compte, les effets de la mise en scène de The lovers, elle d’une fausse évidence. On peut voir
par exemple avec quelle sophistication Hark met en image une scène aussi peu spectaculaire
que l’examen de calligraphie que Ying Toi passe devant son père. Ou cette
transformation des amants en papillons, sans aucun autre effet que le cadrage et
le montage. Et la musique… Là Hark peut s’appuyer sur un partition adorée du
grand public chinois, le très populaire concerto des Amants papillons, que
James Wong (et d’autres) réorchestre très habilement. Évidemment, quand c’est
au synthé, l’effet est kitsch, mais c’est pour mieux nous cueillir ensuite par
une version symphonique ou par un solo de cithare chinoise. Ici, parler de film-opéra a tout son sens. La plus impressionnante des réussites de Hark, c’est
de réussir à passer d’un registre à l’autre, comme on prend des couleurs sur
une palette, tout en tenant de bout en bout sa ligne dramatique, crescendo.
Sans hésiter, à la fin, à basculer dans le fantastique le plus assumé,
mélodramatique quand la terre, les éléments eux-mêmes répondent au chagrin de
Ying Toi et dévient d’abord la route de son cortège nuptial vers al tombe de
son aimé, puis lui ouvrent la terre pour qu’elle puisse s’y jeter et mourir. Pour
renaître des mains du moine. L’épilogue est essentiel, et quel que soit l’interprétation
qu’on en fasse, il donne tout son sens à ce qui a précédé.
C’était mieux avant ?
Difficile, quitte à passer pour un nostalgique
irrécupérable, de prétendre que l’avenir sourit au cinéma de Hong Kong. Le
temps de cette « nouvelle vague » sur laquelle Hark surfa follement a
passé. L’énergie folle, si particulière, mais si universelle aussi, de cette
cinématographie s’est diluée, au point de perdre sa saveur. A Hollywood, dans
le cinéma national chinois. La rétrocession de 1997 a confirmé les peurs de
ceux qui la redoutaient. Les choses se sont faîtes lentement, mais ce sont
faites. Le creuset d’un cinéma à la croisée de toutes les cinéphilies :
populaire et élitiste, de genre et d’auteur, virtuose et vulgaire s’est déplacé
de Hong-Kong à la Corée
du sud. A Hong Kong, il est encore quelques résistants, comme Johnnie To- dans
le registre du mélange des genres, son dernier film place assez haut la barre
du délire : c’est une comédie musicale dans le milieu de la finance, sur
fond de crise boursière ! La plupart des autres ont du se convertir à ces
blockbusters communistes sommés de célébrer les valeurs- à géométrie variable-
parti. D’une façon parfois brillante, portée par un souffle et une maestria de
mise en scène inégalable chez John Woo, lorsqu’il déploie les 4 heures de cette
fresque terminale que sont Les 3 royaumes, d’une manière anonyme et à la fois
inféodée aux injonctions hollywoodiennes et pan-asiatiques de Pékin pour une Zhang
Yimou réalisant La grande muraille. Tsui Hark, après quelques années difficiles
reste un de ceux qui courbe l’échine face au parti en gardant la tête la plus
haute. Il a même réussi parfois à nous rappeler la grande époque des
contrebandiers chers à Martin Scorcese, ces cinéastes qui parvenaient à faire
passer des idées contre culturelles sous le couvercle d’une censure aussi
aveugle qu’inquisitrice. Celle de Pékin aura laissé Hark aller parfois assez
loin, sous couvert de fiction historique, notamment avec les derniers Detective
Dee. S’ils apparaissent comme les reflets un peu pâles, lestés par les
largesses de budgets permettant une perfection technique affaiblissant
curieusement les dispositifs du cinéaste, des œuvres produites dans la fureur
et le chaos créatif des grandes années du cinéma Hongkongais, ce sont aussi
des films qui proposent ce qui peut se faire de plus fou, baroque, insensé dans
la fantasy cinématographique aujourd’hui, et de loin. Leur manque la grâce.
Celle qui reste dans leur sillage, quand deux papillons se sont envolés
ensemble.
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