samedi 9 mai 2020

27/31 The lovers 1994








Comme bande-son à la lecture de cet article, je vous propose le concerto pour violon "The butterfly lovers", inspiré par la légende des amants papillons, et composé en 1959 par Chen Gang et He Zhanhao. Destiné à un orchestre "à l'occidentale", il constitue une sorte de pont avec la culture musicale asiatique, en intégrant des mélodies typiquement chinoises. C'est sur ce concerto que James Wong et les compositeurs de The lovers ont basé toute la musique du film.





Comment ça marche ?

Très symboliquement. Ici la renaissance se fait sous forme d’une possible réincarnation, si c’est ce qu’on a envie d’y voir. C’est de la main d’un moine que s’échappent les papillons, ils étaient quelques secondes auparavant de simples silhouettes de papier, c’est sans doute la renaissance des amants- pendant chinois bouddhique de notre bonne vieille résurrection- que Tsui Hark veut représenter. D’ailleurs, il faut peut-être interpréter cette renaissance comme un continuation des souffrances du couple plutôt que comme une libération de leurs âmes. Tsui Hark avait peut-être envie de laisser le dernier mot au moine, témoin de toute l’histoire et personnage très important des films du Hong-kongais. Il est au centre de Green Snake, et son destin terrible dans The blade- tué, littéralement, comme un chien, définit le projet esthétique de ce film hallucinant. Dans The lovers, il est le seul à avoir compris la nature de leur amour. 
Mais cette fin peut aussi être lue comme une simple coda, reprenant un motif précédent- celui de la comparaison des amants avec deux papillons, créatures à la fois gracieuses, fragiles et éphémères- en guise d’épilogue léguant au spectateur le souvenir de l’amour fou qui unit Chuk Ying Toi et Shan Pak.




Ça vaut le coup ?

The lovers est un des plus beaux films du monde. Et c’est aussi un film très important dans la carrière de Tsui Hark, un des quelques authentiques génies du cinéma. Ils ne sont pas si nombreux. The Lovers n’est pas le film d’un jeune homme- Hark a réalisé ou produit un cinquantaine de films au moment où il réalise. Au-delà de la perfection esthétique du film, on se demande comment un artiste aussi rompu –à tous les sens du terme- à son art a pu retrouver une telle fraicheur dans l’évocation des sentiments de la naissance amoureuse, vécus par des personnages à l’orée de leur vie affective d’adultes. Mais, au-delà du génie du cinéaste, comme pour tous les grands films, il faut un concours de circonstance, un peu de chance, pour que les artistes impliqués dans la création du film soient tous engagé alors qu’ils traversent un moment de grâce dans leur carrière. C’est particulièrement évident pour le couple du titre, dont les acteurs, quasiment dans leur premier rôle, projettent hors de l’écran une alchimie palpable, qui semble naturelle. C’est d’ailleurs une des clefs de la réussite du film : encadrer par une esthétique corsetée à l’extrême des comédiens au jeu spontané et sans calcul. Les scènes où Ying Toi et Shan Pak s’échangent des grimaces sont irrésistibles. C’est d’ailleurs un des autres miracles du film : avoir réussi à capter ces moments de la relation amoureuse où les sentiments s’enracinent par une complicité presque triviale, faite d’enfantillages. C’est d’autant plus virtuose que Tsui Hark fait basculer ensuite le film dans le mélodrame fantastique avec une facilité qui laisse sans voix. Quel cinéaste quand même, que ce type qui peut barbouiller des histoires auxquelles on ne comprend à peu près rien, puis se mettre à nous raconter d’un trait limpide et sans tâche un récit qui nous tire irrésistiblement les larmes. Si on ressent, sans même s’en rendre compte, les effets de la mise en scène de The lovers, elle d’une fausse évidence. On peut voir par exemple avec quelle sophistication Hark met en image une scène aussi peu spectaculaire que l’examen de calligraphie que Ying Toi passe devant son père. Ou cette transformation des amants en papillons, sans aucun autre effet que le cadrage et le montage. Et la musique… Là Hark peut s’appuyer sur un partition adorée du grand public chinois, le très populaire concerto des Amants papillons, que James Wong (et d’autres) réorchestre très habilement. Évidemment, quand c’est au synthé, l’effet est kitsch, mais c’est pour mieux nous cueillir ensuite par une version symphonique ou par un solo de cithare chinoise. Ici, parler de film-opéra a tout son sens. La plus impressionnante des réussites de Hark, c’est de réussir à passer d’un registre à l’autre, comme on prend des couleurs sur une palette, tout en tenant de bout en bout sa ligne dramatique, crescendo. Sans hésiter, à la fin, à basculer dans le fantastique le plus assumé, mélodramatique quand la terre, les éléments eux-mêmes répondent au chagrin de Ying Toi et dévient d’abord la route de son cortège nuptial vers al tombe de son aimé, puis lui ouvrent la terre pour qu’elle puisse s’y jeter et mourir. Pour renaître des mains du moine. L’épilogue est essentiel, et quel que soit l’interprétation qu’on en fasse, il donne tout son sens à ce qui a précédé.



C’était mieux avant ?

Difficile, quitte à passer pour un nostalgique irrécupérable, de prétendre que l’avenir sourit au cinéma de Hong Kong. Le temps de cette « nouvelle vague » sur laquelle Hark surfa follement a passé. L’énergie folle, si particulière, mais si universelle aussi, de cette cinématographie s’est diluée, au point de perdre sa saveur. A Hollywood, dans le cinéma national chinois. La rétrocession de 1997 a confirmé les peurs de ceux qui la redoutaient. Les choses se sont faîtes lentement, mais ce sont faites. Le creuset d’un cinéma à la croisée de toutes les cinéphilies : populaire et élitiste, de genre et d’auteur, virtuose et vulgaire s’est déplacé de Hong-Kong à la Corée du sud. A Hong Kong, il est encore quelques résistants, comme Johnnie To- dans le registre du mélange des genres, son dernier film place assez haut la barre du délire : c’est une comédie musicale dans le milieu de la finance, sur fond de crise boursière ! La plupart des autres ont du se convertir à ces blockbusters communistes sommés de célébrer les valeurs- à géométrie variable- parti. D’une façon parfois brillante, portée par un souffle et une maestria de mise en scène inégalable chez John Woo, lorsqu’il déploie les 4 heures de cette fresque terminale que sont Les 3 royaumes, d’une manière anonyme et à la fois inféodée aux injonctions hollywoodiennes et pan-asiatiques de Pékin pour une Zhang Yimou réalisant La grande muraille. Tsui Hark, après quelques années difficiles reste un de ceux qui courbe l’échine face au parti en gardant la tête la plus haute. Il a même réussi parfois à nous rappeler la grande époque des contrebandiers chers à Martin Scorcese, ces cinéastes qui parvenaient à faire passer des idées contre culturelles sous le couvercle d’une censure aussi aveugle qu’inquisitrice. Celle de Pékin aura laissé Hark aller parfois assez loin, sous couvert de fiction historique, notamment avec les derniers Detective Dee. S’ils apparaissent comme les reflets un peu pâles, lestés par les largesses de budgets permettant une perfection technique affaiblissant curieusement les dispositifs du cinéaste, des œuvres produites dans la fureur et le chaos créatif des grandes années du cinéma Hongkongais, ce sont aussi des films qui proposent ce qui peut se faire de plus fou, baroque, insensé dans la fantasy cinématographique aujourd’hui, et de loin. Leur manque la grâce. Celle qui reste dans leur sillage, quand deux papillons se sont envolés ensemble.




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