ça marche comment ?
Par le pouvoir de l’énergie atomique. Astro est une des
illustrations fondamentales de l’obsession atomique qui va saisir la science-fiction japonaise. Dans cette veine, on peut encadrer Astro par Godzilla en
1954, et Akira en 1988, pour s’en tenir aux chefs d’œuvres. Chacun étant le représentant le plus connu d’un sous-genre de la SF japonaise : la robotique pour Astro, le
Kaiju Eiga pour Godzilla, le cyberpunk avec Akira.
Astro apparaît d’abord sous forme de bande-dessinée, sous la
plume stakhanoviste géniale d’Osamu Tezuka, qui tombera des planches jusque sur
son lit de mort. Astro demeure sa
création la plus célèbre, et s’est peut-être parce que l’histoire de sa
naissance symbolise à la perfection le geste esthétique de Tezuka. La scène de la création du robot est exemplaire. Dans l’anime, qui est
légèrement différent de la bande-dessinée- où Tezuka a raconté la naissance
d’Astro de différentes manières- Astro est un être entièrement mécanique, un
authentique Robot- une pure création donc mais qui est aussi une imitation de
la vie, puisque le professeur Tenma veut, à travers Astro faire revivre son
fils Tobio. Difficile de trouver une image plus limpide des rapports complexes
de la culture japonaise d’après guerre avec celle de l’occupant américain[1],
elle-même parfaitement symbolisée par les rapports de Tezuka avec Disney.
Profondément influencé par le style du studio américain qu’il adore, Tezuka
sera bien mal remercié de son admiration sincère. Après avoir rencontré Walt Disney en
personne, le japonais sera rapidement considéré comme un dangereux concurrent
du studio aux grandes oreilles. Régnant sans partage sur l’animation à la télévision
japonaise, Disney n’entend pas lâcher prise. Toutes les séries animées
diffusées au début des années 60 au Japon sont américaines, mais Tezuka,
explorateur infatigable de nouvelles formes, a créé son propre studio
d’animation qui compte… 5 employés ! Après une période de pure
expérimentation[2], il veut lancer une série
de création japonaise à la télévision. Ce sera la première du genre. Et que
voit-on lorsque nous montre la création d’Astro ? Une scène de
Frankenstein, de James Whale, avec de la musique romantique allemande (le
premier mouvement de la 5ème symphonie de Beethoven) et de courts
gags directement empruntés aux cartoons made in USA, le tout dessiné avec un trait typiquement américain (comparez le visage d'Astro et Betty Boop !) mais allant chercher sa mise en scène chez Ensenstein, Lang ou Chaplin. Et pourtant, et c’est tout
le génie de réappropriation de Tezuka, ce sont les fondements esthétiques de
l’anime japonais le plus pour qui sont posés devant nous. A tel point que bien
des procédés utilisés par Tezuka ont encore cours dans l’animation japonaise.
ça vaut le coup ?
Il est toujours assez stupéfiant d’assister au début d’une
forme appelée à se développer. Si ce frisson nous vient en partie parce qu’on sait dans quel sens est allée l’histoire-
qui a donné largement raison à l’universalisme de Tezuka- il vient aussi, je
crois, de la force des images et de la mise en scène. On voit bien d’où
ça vient, mais en même temps, et c’est ce qui est fascinant, ont sait qu’on
assiste à la naissance d’un mythologie toute armée. Elle se croit locale, et
elle va toucher des enfants du monde entier. A condition qu’ils y aient accès…
Disney a carrément bloqué, par chantage, la possibilité pour les chaînes
américaines de diffuser la série de Tezuka. Le studio américain interdisaient à
ceux qui passaient outre d’acquérir des droits de diffusion de ses programmes. Ils referont d’ailleurs le coup en achetant les droits à l’international
des films de Miyazaki- et en prenant bien soin de les limiter au circuit d’art
et essai. Bon, en même temps, il n’est pas trop difficile de brider la
curiosité naturelle du grand public américain pour les productions étrangères.
Miyazaki, justement, s’il est le plus connu aujourd’hui des réalisateurs de
films d’animation, et sans doute le réalisateur japonais le plus connu tout
court, est devenu justement l’arbre qui cache la forêt. Tezuka est certainement
le premier « super-auteur » de l’animation japonaise, celui qui a
ouvert la voie aux autres. C’est à la fois un géant pour les initiés, mais
finalement un créateur peu connu du grand public, alors que son travail lui est
destiné. Quand Tezuka est mort, Akira était sorti en salles, et il travaillait
toujours. Ce n’est pas si loin.
c’était mieux avant ?
S’il y a une industrie dont on ne peut regretter un âge d’or
passé, c’est bien l’animation japonaise. Certes, les studios locaux traversent
une période de crise, mais le secteur a toujours été celui d’entreprises
fragiles, aux employés sous-payés et dont on attend une dévotion totale à leur
studio. Pour ça aussi, Tezuka a créé une sorte de standard… Et puis ça
correspond tellement bien au cliché du japonais qui travaille jour et nuit pour
l’amour de son entreprise. Cela dit, c’est une réalité de l’animation télévisée
au Japon. Aujourd’hui le secteur a une visibilité inédite- Netflix a très vite
compris qu’il y avait une carte à jouer avec l’achat de séries animées
nipponnes- ce qui donne un accès à tous les marchés nationaux sans avoir à négocier dans chaque pays, et des sources de financement
extérieurs. Evidemment ça a des effets sur les choix artistiques des studios… mais il est quand même réjouissant de voir que l’anime est devenu à
la fois visible, accessible, exportable et identifié, sans pour autant perdre
son statut de véritable contre-culture. En particulier vis-à-vis du monstre
américain, qui a ses qualités (et sa grosse valise de dollars) mais fait
toujours pâle figure, en termes d’inventivité plastique et narrative- à de très
rares exceptions près- face aux séries japonaises. On peut par exemple
considérer un space opera américain- les séries Clone Wars de Dave Filoni, et
un space opera japonais, disons Cowboy Bebop, de Shin'ichirō Watanabe, et on
comprend pourquoi les Wachowsi sont allés chercher des japonais pour leur
projet d’animation Animatrix. L’impérialisme culturel, les artistes s’en
foutent, même s’ils en sont parfois l’instrument. Pete Docter, le plus inspirés
des réalisateurs maison de Pixar, a toujours revendiqué l’influence de Miyazaki.
Qui lui-même s’est toujours réclamé de Paul Grimault. Je souhaite juste au
grand public de partager leur curiosité.
[1] L’armée américaine s’apprête d’ailleurs à
quitter le japon au moment où la publication d’Astro démarre dans Manga Shônen
[2] Le courte métrage
« Histoires du coin de la rue » est par exemple produit en 1962,
juste avant le lancement d’astro. Il est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=u2vDgtsaWOw
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