lundi 11 mai 2020

29/31 Astro (Tetsuwan Atomu) 1963






ça marche comment ?


Par le pouvoir de l’énergie atomique. Astro est une des illustrations fondamentales de l’obsession atomique qui va saisir la science-fiction japonaise. Dans cette veine, on peut encadrer Astro par Godzilla en 1954, et Akira en 1988, pour s’en tenir aux chefs d’œuvres. Chacun étant le représentant le plus connu d’un sous-genre de la SF japonaise : la robotique pour Astro, le Kaiju Eiga pour Godzilla, le cyberpunk avec Akira.


Astro apparaît d’abord sous forme de bande-dessinée, sous la plume stakhanoviste géniale d’Osamu Tezuka, qui tombera des planches jusque sur son lit de mort.  Astro demeure sa création la plus célèbre, et s’est peut-être parce que l’histoire de sa naissance symbolise à la perfection le geste esthétique de Tezuka. La scène de la création du robot est exemplaire. Dans l’anime, qui est légèrement différent de la bande-dessinée- où Tezuka a raconté la naissance d’Astro de différentes manières- Astro est un être entièrement mécanique, un authentique Robot- une pure création donc mais qui est aussi une imitation de la vie, puisque le professeur Tenma veut, à travers Astro faire revivre son fils Tobio. Difficile de trouver une image plus limpide des rapports complexes de la culture japonaise d’après guerre avec celle de l’occupant américain[1], elle-même parfaitement symbolisée par les rapports de Tezuka avec Disney.

Profondément influencé par le style du studio américain qu’il adore, Tezuka sera bien mal remercié de son admiration sincère. Après avoir rencontré Walt Disney en personne, le japonais sera rapidement considéré comme un dangereux concurrent du studio aux grandes oreilles. Régnant sans partage sur l’animation à la télévision japonaise, Disney n’entend pas lâcher prise. Toutes les séries animées diffusées au début des années 60 au Japon sont américaines, mais Tezuka, explorateur infatigable de nouvelles formes, a créé son propre studio d’animation qui compte… 5 employés ! Après une période de pure expérimentation[2], il veut lancer une série de création japonaise à la télévision. Ce sera la première du genre. Et que voit-on lorsque nous montre la création d’Astro ? Une scène de Frankenstein, de James Whale, avec de la musique romantique allemande (le premier mouvement de la 5ème symphonie de Beethoven) et de courts gags directement empruntés aux cartoons made in USA, le tout dessiné avec un trait typiquement américain (comparez le visage d'Astro et Betty Boop !) mais allant chercher sa mise en scène chez Ensenstein, Lang ou Chaplin. Et pourtant, et c’est tout le génie de réappropriation de Tezuka, ce sont les fondements esthétiques de l’anime japonais le plus pour qui sont posés devant nous. A tel point que bien des procédés utilisés par Tezuka ont encore cours dans l’animation japonaise.



ça vaut le coup ?


Il est toujours assez stupéfiant d’assister au début d’une forme appelée à se développer. Si ce frisson nous vient en partie  parce qu’on sait dans quel sens est allée l’histoire- qui a donné largement raison à l’universalisme de Tezuka- il vient aussi, je crois, de la force des images et de la mise en scène. On voit bien d’où ça vient, mais en même temps, et c’est ce qui est fascinant, ont sait qu’on assiste à la naissance d’un mythologie toute armée. Elle se croit locale, et elle va toucher des enfants du monde entier. A condition qu’ils y aient accès… Disney a carrément bloqué, par chantage, la possibilité pour les chaînes américaines de diffuser la série de Tezuka. Le studio américain interdisaient à ceux qui passaient outre d’acquérir des droits de diffusion de ses programmes. Ils referont d’ailleurs le coup en achetant les droits à l’international des films de Miyazaki- et en prenant bien soin de les limiter au circuit d’art et essai. Bon, en même temps, il n’est pas trop difficile de brider la curiosité naturelle du grand public américain pour les productions étrangères. Miyazaki, justement, s’il est le plus connu aujourd’hui des réalisateurs de films d’animation, et sans doute le réalisateur japonais le plus connu tout court, est devenu justement l’arbre qui cache la forêt. Tezuka est certainement le premier « super-auteur » de l’animation japonaise, celui qui a ouvert la voie aux autres. C’est à la fois un géant pour les initiés, mais finalement un créateur peu connu du grand public, alors que son travail lui est destiné. Quand Tezuka est mort, Akira était sorti en salles, et il travaillait toujours. Ce n’est pas si loin.



c’était mieux avant ?


S’il y a une industrie dont on ne peut regretter un âge d’or passé, c’est bien l’animation japonaise. Certes, les studios locaux traversent une période de crise, mais le secteur a toujours été celui d’entreprises fragiles, aux employés sous-payés et dont on attend une dévotion totale à leur studio. Pour ça aussi, Tezuka a créé une sorte de standard… Et puis ça correspond tellement bien au cliché du japonais qui travaille jour et nuit pour l’amour de son entreprise. Cela dit, c’est une réalité de l’animation télévisée au Japon. Aujourd’hui le secteur a une visibilité inédite- Netflix a très vite compris qu’il y avait une carte à jouer avec l’achat de séries animées nipponnes- ce qui donne un accès à tous les marchés nationaux sans avoir à négocier dans chaque pays, et des sources de financement extérieurs. Evidemment ça a des effets sur les choix artistiques des studios… mais il est quand même réjouissant de voir que l’anime est devenu à la fois visible, accessible, exportable et identifié, sans pour autant perdre son statut de véritable contre-culture. En particulier vis-à-vis du monstre américain, qui a ses qualités (et sa grosse valise de dollars) mais fait toujours pâle figure, en termes d’inventivité plastique et narrative- à de très rares exceptions près- face aux séries japonaises. On peut par exemple considérer un space opera américain- les séries Clone Wars de Dave Filoni, et un space opera japonais, disons Cowboy Bebop, de Shin'ichirō Watanabe, et on comprend pourquoi les Wachowsi sont allés chercher des japonais pour leur projet d’animation Animatrix. L’impérialisme culturel, les artistes s’en foutent, même s’ils en sont parfois l’instrument. Pete Docter, le plus inspirés des réalisateurs maison de Pixar, a toujours revendiqué l’influence de Miyazaki. Qui lui-même s’est toujours réclamé de Paul Grimault. Je souhaite juste au grand public de partager leur curiosité.






[1]  L’armée américaine s’apprête d’ailleurs à quitter le japon au moment où la publication d’Astro démarre dans Manga Shônen

[2] Le courte métrage « Histoires du coin de la rue » est par exemple produit en 1962, juste avant le lancement d’astro. Il est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=u2vDgtsaWOw

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