mardi 12 mai 2020

30/31 : Ghost in the Shell 2017




ça marche comment ?

En transférant un cerveau encore bien vivant dans un corps intégralement cybernétique. Et en n’oubliant pas au passage d’effacer tous les souvenirs contenus par ce cerveau, en l’occurence celui d’une jeune fille, Motoko, devenue à l’occasion de cette résurrection iconique le Major Mira Killian, qui a les traits avantageux de Scarlett Johansson. C’est sans doute dans cette résurrection du personnage japonais du manga et de l’anime dans le corps « in real life » de la plantureuse star américaine que se loge toute l’ambiguïté, voire la limite, mais aussi l’intérêt de cet étrange remake, hommage révérencieux autant qu’affront blasphématoire. 

Mais après tout, c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce récit : comment une petite japonaise marginale va servir de matière première, littéralement, au dirigeant sans vergogne d’une grande société pour devenir une poupée tueuse et invincible, sous l’égide d’une scientifique aussi implacable que compatissante au service, qu’on suppose rémunérée pour la compagnie, des classes dirigeante de ce monde où les puissants et l’argent font la loi. Toute coïncidence avec la façon dont l’industrie hollywoodienne s’est appropriée cette culture japonaise développée à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, comme nous le racontait hier le Chef de gare, est évidemment la bienvenue, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, ni plus, ni moins, en images et sous toutes les coutures.

Mais au fond, est-ce vraiment un problème ? N’est-ce pas tout le projet de ce genre qu’est le cyberpunk que vient assumer le choix de ce « new body » du Major Motoko, celui de la sculpturale Scarlett, « un miracle » comme le souligne la french doctor Juliette Binoche, tout à fait digne dans sa fonction de docteur Frankenstein au féminin, à la fois impitoyable - elle a tué 98 cobayes avant de parvenir à son chef d’oeuvre - et sincèrement attachée à sa créature ?  
       
Au fond, dès les dix premières minutes, tout est posé, le genre est intégralement là, avec sa problématique conceptuelle et plastique première : l’hybridation. Le cyberpunk, c’est le genre du monde global, celui qui se consume dans une mondialisation aussi violente qu’euphorique, celui aussi qui célèbre le corps « mannequin », dans le sens matériel et presqu’épais du terme, de Johansson, que je trouve certes aux antipodes de la légèreté de son modèle de celluloïd, mais pour cause, c’est bien là tout l’intérêt de ce choix - si l’on met de côté le seul argument commercial bien sûr.

Alors on retrouve là comme le recyclage, sinon le métissage, de tout un cinéma que l’on aime, et dont on a trouvé pas mal d’exemples lors de ce mois de Train fantôme : Frankenstein, déjà cité, et qui est sans doute historiquement la première occurence de ce type de récit, naissance probable de la science-fiction moderne, mais aussi évidemment Matrix, film lui-même déjà issue d’une culture du mélange autant que d’un mélange des cultures, Terminator bien sûr, mais aussi, plus loin dans nos wagons, Robocop, dont l’OCP ressemble furieusement à cet Hanka robotics, ou encore Blade Runner, bien sûr, celui inimitable de Ridley Scott de 1982, celui plus dispensable de notre vingt-et-unième siècle par Villeneuve - et ce Ghost in the Shell vaut bien celui-là ! L’attachement au genre existe autant dans l’histoire, très classique donc, que dans les aspects plastiques du film, et notamment la direction artistique, toute de récupération, dans tous les sens du terme, plastique et politique donc. Même la musique de Mansell et Bafle a quelque chose de déjà entendu, comme l’image est déjà vue. Mais au fond, est-ce là véritablement un problème, si tout cela fonctionne ?    

ça vaut coup ?

Pour moi, oui. Bien sûr, au sujet de cette scène de résurrection, nous sommes loin de la poésie élégiaque du dessin animé, qui avec la simple ascension dans un escalator parvenait à évoquer tout l’abîme du ghost dans la machine.

Mais les choix plastiques me semblent néanmoins assumés : nous avons d’abord le cerveau, le fameux Ghost, puis le corps, mécanique, morcelé, inerte, puis laiteux, puis la peau, lisse et sans aspérités, qui fabrique cette créature issue de la Vallée de l’étrange, ce concept d’un roboticien japonais justement, qui a théorisé l’inhumaine perfection du corps de l’androïde dans le regard de l’homme. Johansson trimballe quelque chose de cet ordre durant tout le film, en commun avec certains des robot Geisha, poupées insectoïdes, ou avec le marionnettiste, lui-même triste pantin monstrueux. Il y a encore cette scène étrange, où le Major visite une prostituée, humaine a priori, à qui elle demande de « déshabiller » son seul visage, d’ôter toutes ces cosmétiques affectés, et dont l’aspect étrange finit par nous dérouter : de quoi à l’air l’humain ? Et le non-humain ? Une scène simple et belle, qui n’est pas sans si loin, irl, de quelques scènes de l’anime. De la même façon, l’image du réseau-secte du Puppet Master, avec ces câbles physiques qui relient littéralement tout un troupeau d’êtres humains extatiques, vaut bien quelques-uns des motifs des films précédemment cités.

Pour le reste, et notamment en ce qui concerne cette histoire de retour vers les origines, on peut évidemment ricaner un peu. C’est sûr que l’imbroglio de l’anime de 1997 se retrouve singulièrement simplifié, mais ne soyons pas dupe, le public visé n’est pas le même : il faut faire mondial et grand public. Et après tout, les scènes avec cette maman japonaise qui reconnaît sa fille disparue dans « la manière dont vous me regardez » lors d’un thé partagé, avec un accent et une attitude maladroite et pourtant honorable, voilà qui ne me semble pas complètement ridicule, et participe de la fameuse réappropriation assumée.   
   
Et puis il y a Hong Kong, écrin inhumain et grandiose à toute cette histoire, magnifiquement filmé, avec un regard évidemment occidental, fasciné et horrifié dans le même temps, tout à fait en accord avec le cyberpunk. Là encore quelques scènes tiennent la tension propre au genre : la scène de thé, encore elle, moment de répit au beau milieu du décor cyclopéen d’un bâtiment-monde. Ou encore à la fin, la séquence dans ce cimetières urbain, tout de béton, et où les morts semblent s’entasser les uns sur les autres, mais où l’on redevient humain tout de même, puisque c’est là qu’on vient se souvenir des siens - et de soi-même en ce qui concerne le Major. 

Le fait de voir en vrai ces labyrinthes colossaux, ces skylines monumentales, dans lesquels se déroulent des scènes d’action qui rythment correctement une narration classique, aux rebondissements multiples - même si attendus par un amateur du genre - et aux péripéties nombreuses, participe de ce mélange de matérialité et de simulation qui structure tout le film.   

c’était mieux avant ?

Evidemment, nous sommes en 2017, soit vingt ans après l’anime, trente-cinq ans après Blade Runner ou Tron, films que l’on peut considérer autrement novateurs en terme de formes et de récits du fait de leur antériorité. C’est vrai. 

On peut aussi prendre plaisir à un film grand public qui sait parfaitement recycler tous ces éléments, et les agencer avec un savoir-faire qui rend hommage à ces films que l’on aime. Parfois cette modestie toute relative des ambitions - je n’ai pas dit des moyens, nous sommes à Hollywood ! - permet de réussir des films de genre, certes luxueux, mais après tout cela fait un moment déjà que le genre est passé de la marge au centre dans l’industrie américaine - et mondiale donc ! - du cinéma.

Au fond, avec toutes ses limites, mais aussi ses mérites, ce Ghost in the Shell me semble une bonne conclusion à notre mois parmi les ressuscités, en guise de résumé de thèmes et de formes : une jolie mosaïque pour certains, un méchant salmigondis pour d’autres, entre morts-vivants, monstres, robots, extraterrestres, fantômes et super-héros. 
Tout ce qu’on aime… 

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