ça marche comment ?
Mais c’est le grand classique : c’est par la magie de
l’amour ! De La belle et la bête, 1946, à Matrix, 1999, la mythologie
cinématographique demeure inchangée par
son histoire : a condition d’être aimé d’un amour sincère, le défunt peut
revenir d’entre les morts. Ici, la résurrection est doublée d’une
transformation, presqu’une transfiguration, puisque la Bête révèle sa véritable
nature. Le film fonctionne d’ailleurs comme une sorte d’avertissement nous
invitant à nous méfier de ceux qui ont l’apparence des princes, à l’image
d’Avenant : ils révèlent parfois des cœurs de bête. Christophe Gans, qui
réalisera une belle version du même conte, conclue d’ailleurs son Pacte des
loups, sur une morale qui conviendrait parfaitement au film de Cocteau :
Du point de vue de la mise en scène, Cocteau procède comme
dans le reste du film par trucage : il y a cette statue vivante de Diane,
cette surimpression du visage de la bête sur celui d’Avenant, le réveil du
prince, qui se redresse comme s’il ignorait les lois de la gravité, tous ces
trucages s’enchaînent, faisant du film un exemple unique, à ma connaissance,
dans le cinéma français à l’époque de long métrage « à effets
spéciaux »- Méliès étant le grand génie, 30 ans plus tôt, du domaine alors
restreint aux courts-métrages. Ces trucages artisanaux, inventés pour le film,
vont être repris tels quels dans un autre film, avec lequel la comparaison peut
être éclairante. Dans le final de Dracula, Coppola, qui trahit d’ailleurs son modèle
littéraire- le roman de Stoker- au profit de son modèle (littéralement !)
cinématographique, rejoue le final de La belle et la bête.
Scénographie similaire : le salut vient d’un personnage
à l’apparence identique à celui qui est devenu un monstre. Chez Coppola il
s’agit d’une peinture, d’une image,
mais est-ce vraiment différent chez Cocteau ? Il faudra prendre une vie
pour que le prince revive- chez Coppola, la dramaturgie est inversée :
c’est le visage du prince qui se superpose à celui de la bête, et si l’amour
triomphe également, c’est pour la paix de l’âme du monstre, et non pour sa
résurrection. Chez Coppola, le ressuscité cherche à mourir. Coppola ressasse,
alors Que Cocteau invente… Il célèbre l’immortalité de la beauté. Le cinéaste américain, par contre, nous
avertirait-il, dans un geste mégalomaniaque, qu’après lui, la beauté du cinéma
peut mourir en paix ?
ça vaut le coup ?
La tension sexuelle est absente du film de Cocteau. Je crois
que ce qu’incarne le prince, c’est la beauté- en laquelle le poète croit, et qui est
l’horizon de sa quête esthétique. Cela paraît dérisoire aujourd’hui, quand on
voit la postérité du film, mais c’est ce qui lui a été reproché à l’époque. La
plupart des critiques de l’époque reprochent au film son esthétisme calculé et
glacé… aujourd’hui on lui trouve une sorte de force primitive telle, que Coppola
va reproduire ses images avec ses techniques pour retrouver une sorte
d’innocence du cinéma. Mais à sortie, La belle et la bête est qualifié de film
« d’arrière garde » ! Mais oui, pour Cocteau, la quête de la beauté
vaut toutes les peines, et il en eu beaucoup, à fabriquer son film.
c’était mieux avant ?
Les critiques le disaient du Sang des poètes en voyant la Belle et la Bête, Coppola le revendique
quand il a son étrange projet de faire Dracula avec des techniques désuètes, le
cinéma naïf, le cinéma qui se revendique du conte est toujours accueilli avec
cette étrange critique : c’était mieux avant, l’innocence a été perdue
entre temps. Peut-être, parce que comme Cocteau le rappelle dans son panneau
liminaire, c’est un cinéma qui cherche à raviver un émerveillement propre à l’enfance,
celui que procurent les histoires entendues pour la première fois, et qui par
définition, ne peux être, au mieux, qu’évoqué. Finalement, c’est peut-être à ce
projet, plus qu’à sa mise en œuvre que s’adressent les critiques. Et pourtant, aujourd’hui,
La belle et la bête est un film dont la poésie ne semble ni fabriquée, ni artificielle.
Cocteau veut simplement célébrer une beauté qui n’a rien d’un idéal. Il la sait
faite de plâtre et de projecteurs, de pellicule qu’on passe à l’envers ou de
chair se faisant passer pour de la pierre. Et c’est sans doute cela qui touche :
ce regard n’est pas tourné vers les cieux, mais prend sa source devant la
caméra, où se tient Jean Marais et cette tension là, pour le coup est palpable
et on ne peut plus sincère. Peut-être est-ce ce qui donne au film sa vitalité
inextinguible ? Le cinéaste cherche à nous faire partager une émotion au
présent, ici et maintenant. Il n’y a aucune religiosité chez lui. D’une
certaine façon, dans La belle et la bête, il n’y a ni avant, ni après. Il n’y a
que notre regard au présent, qui n’attend qu’un basculement pour voir le beau
derrière le laid.
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