mercredi 6 mai 2020

24/31 : Triangle 2009





ça marche comment ?

Toi qui entres ici et n’as pas encore vu ce film, abandonne tout espoir de surprise à sa vision si tu continues cette lecture. 

Ça marche par un twist final, fameux ‘truc’ narratif ! Dans Triangle, on trouve de nombreux personnages qui meurent et qui reviennent, au sens littéral : la même situation est répétée ad libitum, un peu à la façon dont nous l’avons déjà vu du Edge of Tomorrow de Doug Liman, mais dans une version autrement plus angoissante ! 

Nous allons en l’occurence plus précisément nous intéresser à Jess, jeune mère célibataire d’un petit Tommy autiste obsessionnel, qui nous est présenté au tout début du film en pleurs dans les bras de sa maman qui le rassure en lui répétant qu’il « a fait un mauvais rêve ». Cette première séquence apparait d’abord comme une étrange introduction, en dehors du récit lui-même, mais aussi bien sûr comme la clé dramatique, si l’on peut dire, de ce qui va advenir par la suite. Le cauchemar, c’est l’espace même de l’irrationnel, avec ses formes inintelligibles et pourtant familières, et sa logique hermétique qui finit par prendre un étrange sens néanmoins pour le rêveur. Lorsque le voilier de plaisance, le Triangle, chavire sous l’effet d’une tempête impromptue, et que les survivants de la croisière brutalement avortée finissent par trouver refuge sur le paquebot Eole, qui parait vide d’abord de toute présence humaine, l’apparente confusion propre au monde onirique semble oeuvrer. D’autant que nous avons été spectateur avant cela du comportement pour le moins singulier de Jess lorsqu’elle est arrivée sur le ponton où l’a accueillie son soupirant, le skipper du voilier, Greg, puis du sommeil dans lequel elle est tombée peu après, juste avant cette tempête inopinée. 

Ce sentiment est renforcé par la confusion que provoque l’exploration du paquebot : les longs couloirs tous semblables qui se croisent et ouvrent sur des salles abandonnée depuis peu - un buffet est encore installé sur sa table de réception dans l’une d’elles. Evidemment, il est impossible de ne pas penser au Shining de Kubrick lors de ces longues déambulations dans ces corridors angoissants. d’ailleurs Christopher Smith ne cache pas ses sources d’inspiration : la cabine où va se nouer une partie du drame porte le numéro 237, fameuse chambre du Overlook Hotel. Toutefois, là où le film de Kubrick nous faisait basculer progressivement dans la folie de Jack Torrance, Triangle nous sert d’abord ce délire insensé avant de progressivement le rationaliser. C’est là il me semble l’un des intérêts principaux du film : en fait de cauchemar démentiel, nous avons affaire à une belle mécanique tout à fait construite, et c’est sans doute pire encore ! La raison est plus horrible que la déraison. Et nous parlons bien là de récit, pas de psychologie des personnages - même si celle-ci n’est pas complètement absente du film, mais plutôt pour donner un motif au déroulement rationnel du récit - qui pourrait tout à fait se passer de cette cause initiale.

Ainsi nous allons finalement comprendre durant ce film pourquoi tout semble si fou, nous allons le comprendre depuis le point de vue de Jess, et dire à ce sujet qu’elle revient à la vie, finalement, n’est pas du tout souligner un happy end jubilatoire…    

ça vautre coup ?

Pour la pauvre Jess, c’est tout simplement d’entrée en Enfer qu’il est question… Peu importe que « tout ça n’arrive que dans ta tête », comme lui reproche Greg lors de leur incursion dans les couloirs vide du paquebot, ce qui compte, c’est qu’il n’y a plus que cela qui arrive : tel le disque rayé qu’elle s’obstine à remettre en place, Jess revit la même situation, celle en boucle de ce groupe de naufragés accostant le bateau, dès lors que chacun de ceux-ci ont finalement été tué sur le paquebot, soit accidentellement, soit par un tueur d’abord mystérieux, puis qui s’avèrera être Jess elle-même poussée à la violence pour fuir cet enfer de répétition. 

Un peu difficile à résumer en quelques mots tout cela, mais la mise en scène fluide de Smith permet de parfaitement comprendre la mécanique à l’oeuvre, qui s’éclaire progressivement dans toute son horreur mais également donc dans toute son évidence. Quelques images terribles, absconses hors du récit, prennent alors tout leur sens, voire éclairent même la compréhension du récit : les dizaines de corps sans vie de Sally qui s’amoncellent sur une passerelle, couverts de fientes d’oiseaux, voilà une image tout à fait digne d’un cauchemar et qui pourtant nous explique la situation alors. 

Et même si le récit prend son temps à se développer, et qu’au bout d’un moment, on a compris, pourrait-on dire, au risque de s’ennuyer peut-être un peu, le sens plastique de Smith, et le jeu inquiétant mais posé de Melissa George - on est loin de Nicholson…- permet de nous garder à l’affût de ce récit, dont la conclusion va confirmer le caractère logique, finalement.    

c’était mieux avant ?

Pour Jess, difficile à savoir. C’est que tout se tient, et ce qui fut le passé déclenche ce qui sera l’avenir, que ce soit dans ce paquebot infernal où le temps s’écoule à la façon du triangle de Penrose, mouvement perpétuel replié sur lui-même, ou plus globalement que ce soit pour la vie d’après ! Puisque cette histoire finalement se révèlera appartenir à ces apologues fantastiques où l’on assiste à la punition d’une faute. En l’occurence la violence de Jess à l’égard de son fils obsessionnel, qui sera donc payée de ce sisyphien éternel retour du même. 

Jess ressuscite donc mais seulement le temps de revivre son Enfer, jusqu’à sa propre mort, la première, celle qu’elle se donne à elle-même, non comme un suicide, mais en assassinant son propre double, première punition, puis donc, la seconde, en acceptant enfin de passer de l’autre côté - plusieurs scènes de miroirs nous avaient soulignés ce motif classique du fantastique - c’est-à-dire dans son cas de revenir à la vie pour mourir encore et encore. Ici, nulle grâce, nulle jubilation, juste l’horreur de comprendre ce qui arrive.

Cette ruse du fantastique, souvent présente en littérature, par exemple chez Agapit avec ses nouvelles éditées dans l’inoubliable collection Angoisse de Fleuve noir, est plus rare au cinéma, et ce n’est pas la moindre des qualités de ce film qui pourrait être un épisode luxueux de la Quatrième dimension que de nous rappeler par l’image que l’on peut épouvanter, non en égarant, mais en orientant le spectateur. Peut-être l’un des sens de ce très polysémique Triangle du titre…     

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