vendredi 5 octobre 2012

Revoir 1982 (5/31): Frère de sang

LE FREAK, C'EST CHIC
Frère de Sang (Basket Case)-Frank Henenlotter-1982- Etats-Unis


Le cinéma d'horreur, cette année-là, est à la veille de sa récupération hollywoodienne. Steven Spielberg, qui s'apprête en un seul film à définir ce cinéma fantastique familial qui reste encore aujourd'hui le symbole absolu des années 80, produit en même temps Poltergeist, pur film d'épouvante pourtant nanti d'un gros budget et destiné à un large public( il est classé PG ), qui sort sur 890 écrans. Soit seulement une centaine de moins qu' E.T, pour un budget équivalent. Le succès du film valide la démarche des studios, qui vont désormais aborder l'horreur comme un genre tout public, auquel on peut consacrer des budgets confortables.
Les projets des maîtres d'Hollywood, Frank Henenlotter s'en tamponne le coquillard. 


Et ils le lui rendent bien : totalement auto-produit avec l'aide de Edgar Ievins, Frère de sang a été tourné avec 35 000 dollars. Poltergeist en coûte 10 millions. La dernière fois que j'ai apperçu maman elle était en train de brûler dans le living-room, Femmes blafardes, Le fils de Psychose quelques titres qui donnent le ton des films réalisés par le jeune Franck avant d'entreprendre Frère de sang. La plupart durent tout de même une heure et sont sonores. Henenlotter n'est pas du genre à demander la permission pour devenir cinéaste. Ni pour tourner ! Frère de sang a été entièrement filmé sans aucune autorisation, ce qui laisse songeur sur le dégré d'inconscience- ou la foi qui confine à l'illumination- du noyau dur entourant le réalisateur : une scène implique tout de même le sprint de Kevin Van Hentenryck, remontant une rue nu comme un ver. La mise en boîte est possible grâce à deux camionnettes, placées aux extrémités de la piste de course. L'acteur bondit de la première, qui démarre aussitôt, et fonce vers la seconde, précédé par le cameraman. Sans s'arrêter, ils grimpent tous cette deuxième fourgonnette, qui démarre aussi sec.

Pour ce plan comme les autres, Henenlotter ne savait même pas ce qu'il avait filmé. D'autant moins que sans argent, la pellicule stagnait parfois des mois au labo sans être développée. Des anecdotes hallucinantes, pour un film qui n'est pourtant jamais réductible à son origine trash et bricolée. C'est toute la force et le charme du cinéma de Henenlotter. Il y a chez lui un amour candide du cinéma d'horreur, qu'on pourrait comparer à celui de Joe Dante, mais qui s'exprime sans aucune recherche de confort de production. Le hasard fait naître Henlotter à quelques blocks de la 42eme rue, et il ne cherchera jamais son bonheur ailleurs. Il s'est habitué aux habitants du coin. « il y a quelques règles basiques à respecter : ne jamais s'asseoir avant que vos yeux se soient habitué à l'obscurité » voilà le conseil que le réalisateur peut prodiguer après ses années de cinéphilies furieuse passée dans les salles d'exploitation de 42nd street. Dès qu'il peut, le jeune Franck sèche la high-school pour se précipiter à un double ou triple programme. Ce cinéma d'exploitation qu'il découvre l'éblouit et les salles qu'il fréquente jusqu'à leur disparition une par une sont sa caverne d'Ali Baba son Eldorado. Il garde de ces années 70 un souvenir plus qu'ému, d'autant plus touchant qu'il est lucide. « C'est le repère des prostituées et des clochards les plus affreux que je connaisse. Horrible. »

La 42 ème rue, avec les cinémas d'exploitation chers à Frank Henenlotter, en 1982.

Et pourtant, son New York natal, il ne le quittera jamais, et les clochards et les laissés pour compte vont naturellement se retrouver sous la caméra de  Frère de Sang, et avec quelle tendresse. Celle qu'on éprouve pour cette vieille femme paranoïaque laissant Duane, franchement débarqué en ville comme deux ronds de flanc. Celle qui lie une pute au grand cœur au héros, celle, amusée, avec laquelle on observe le tenancier de l'hôtel Broslin monter et redescendre sans cesse les étages de son établissement pourri au gré des scènes de paniques et des crises d'hystérie de ses locataires. Le film, dans ces moments là, est plus proches de Muppets- le film que de Hairspray. Tendresse, surtout, pour le monstrueux Belial qui est le « cas du panier » du titre original.

 

Avec ses proxénètes, ses voyeurs et ses hoboes, résidents d'un hôtel miteux, ou secrétaires pour des médecins au pratiques douteuses, avec sa caméra tremblotante, et son approche documentaire par la force des choses, Frère de sang n'en demeure pas moins un film de monstre classique. Produit 20 ans plus tôt en Angleterre, en couleurs flamboyantes, l'action aurait pris place dans un village prussien reconstitué en studio peuplé de cochers veules, de taverniers lâches et de villageois vindicatifs. Filmé 50 ans plus tôt, dans un noir et blanc classieux, nous aurions assisté à la destinée mi-pathétique, mi-repoussante de Frank et son frère monstrueux fatalement condamnés à mourir dans l'incendie de laboratoire d'un savant fou.

Les seuls feux qu' Henenlotter peut se payer pour son final sont ceux dessinant l'enseigne à laquelle sont suspendus Duane et Belial, feux de néon du Broslin Hotel,. Peu importe. La foule, vue en plongée est la réplique de celles, anonymes qui réclament toujours la destruction des monstres. Elle l'obtiendra.

 Avant cette fin sans issue, nous aurons découvert, au fil d'un récit impeccablement construit, le lien fusionnel qui unit Duane et Belial. Leur visite à New-York n'a qu'un but : assouvir le désir de vengeance de Belial, qui veut tuer les médecins qui l'ont laissé pour mort des années auparavant. Car pour sa famille, Belial était un parasite qui interdisait à son frère siamois de vivre une vie normale. Révélée en un flashback cauchemardesque, qui fait la lumière sur toute la première partie du film, l'enfance, puis la séparation au cours d'une opération sanglante et clandestine des siamois expose avec limpidité les liens à la fois monstrueux et banals qui unissent les personnages. Bélial, qui est une sorte de gnome hideux, sans jambes, avec une bouche garnie de dents pointues, est privé de l'usage de la parole, mais n'en a besoin pour communiquer avec Duane. Ils ont conservé un lien d'empathie totale, l'un ressentant la moindre émotion de l'autre quelle que soit la distance qui les sépare. Henenlotter n'élude pas l’ambiguïté de leur relation. Belial, présenté comme un handicapé éprouve des désirs semblables à ceux de son frère, mais leur accomplissement lui sont inaccessibles. Duane, en retour, se sent tour à tour coupable de les éprouver puis revolté par l'injustice de cette dépendance aliénante. L'attirance de Duane pour une secrétaire médicale engageante va cristalliser ces sentiments et pousser les frères de sang à un inévitable fratricide. Il y a dans ce récit à la simplicité classique des échos à de grandes figures fantastiques mythiques : Jeckyll et Hyde, évidemment, mais aussi Frankenstein et sa créature. La modicité du budget oblige à une économie de moyens qui en fait, sert le film en lui donnant cet aspect primitif auxquels son sujet et son déroulement renvoient.



C'est le paradoxe de ce film que de proposer sous un vernis formel à priori complètement contingent de l'époque du tournage et des contraintes matérielles un récit à la force indémodable, dégageant un malaise bien plus fort que celui que peuvent provoquer les images presque documentaires saisies dans les ruelles sordides du New-York de 1982. Henenlotter restera toujours conscient de ses qualités, et on les retrouvera dans tous ces films suivants, qu'ils tourne lorsque c'est possible. Pour le dernier, il a attendu 16 ans.

2 commentaires:

  1. Je suis bluffé, je pensais être le seul à avoir vu ce film qui m'avait presque traumatisé gamin (un soir sur la tsr) et touché à la revoyure en dvd. Je n'ai pas encore visionné les deux suites...

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  2. Moi non plus, et je pense que ça attendra un peu...C'est tellement frais Frère de Sang, comment pourrait-on retrouver pareille innocence dans les deux autres ?
    Par contre j'ai de très bons souvenirs de Frankenhooker, bien délirant, mais que je n'ait pas revu depuis, ce qui doit faire... 20 ans. La vache.

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