mercredi 24 octobre 2012

Revoir 1982 (24/31): Swamp Thing

ADRIENNE !
La créature du marais (Swamp Thing)- Wes Craven- 1982- Etats-Unis.


Il y avait de l'idée. Depuis que Superman a prouvé par son triomphe financier et artistique qu'on pouvait traiter sérieusement une histoire de super-héros et y consacrer un budget déraisonnable sans mettre la clef sous la porte, les têtes pensantes de DC Comics, se demandent comment donner suite à leur bonne idée. Et pourquoi ne pas dépenser une poignée de dollars à l'adaptation du comics d'horreur Swamp Thing 




Les adaptations live de super-héros sont à la mode. Pourquoi au début des années 80 et pas à un autre moment ? L'air du temps... On a souvent attribué le succès de Superman a un besoin de l'Amérique de retrouver confiance et fierté, cette fameuse Amérique qui va élire l'acteur Ronald Reagan. D'autant plus facile de le faire via Superman que le film de Donner évacue soigneusement toute référence à l'histoire récente, et si Clark Kent est journaliste, ce n'est certainement pas pour chercher des squelettes dans les placards des hommes du président. Lois Lane ne rapporte pas de photo du Vietnam ravagé par la guerre, Luthor ne s'allie pas avec des russes machiavéliques, et c'est presque dans un monde intemporel que Superman prend son envol. Malgré les conflits d'ego et les difficultés de production, ce sont les suites de Superman The Movie qui constituent l'essentiel des investissements pour les adaptations de DC Comics. L'essentiel mais pas tout. Swamp Thing fait figure de curieux prototype.

Produit pour un budget modeste, mais supérieur à celui du film d'horreur moyen, le film est tiré d'un comics mainstream d'un genre un peu particulier, qui explique sans doute la présence de Wes Craven au poste de réalisateur. Swamp Thing est un comics d'horreur. Dans les années 70, ces périodiques ont le vent en poupe. Cruelle ironie, pourrait-on dire, puisque les EC Comics de William Gaines- évoqués à l'occasion de Creepshow par Matthias- qui ont popularisé le genre 20 ans auparavant ont disparu sous l'éteignoir de la Comics Code Authorithy, organisme d'auto-censure dont DC et Marvel furent, d'une certaine façon les complices, trop contents de pouvoir se débarrasser d'un concurrent sans même avoir à porter bataille sur le terrain éditorial. Mais ironiquement ce sont les recettes popularisées par Gaines qui vont apporter un sang neuf vital au deux éditeurs majoritaires alors que la baisse de popularité des Super-héros se traduit de manière préoccupantes sur les ventes. Marvel renouvelle son catalogue en créant deux mensuels au format similaire aux aventures de Spider-Man, Hulk ou Daredevil, mais dont les personnages, au fond n'ont rien de commun avec ces Super-héros, leur création leur étant bien antérieure. Ces deux revues ce sont Conan the Barbarian (1970) et Tomb of Dracula (1972), qui vont connaître un succès durable.

Une vignette de l'histoire originale.
Chez DC, on émule encore plus franchement la formule de Gaines, fondée sur le regroupement d'histoires courtes dans des revues anthologiques. House of Mystery, apparue dans les années 50 est le concurrent direct des Tales from the Crypt et autres Vault of Horror. House of Secrets, apparue un peu plus tard, accueille dans son numéro de juillet 71 une histoire courte, The Swamp Thing. Apparemment très populaire, ce récit de 8 planches va servir de base, à la demande des éditeurs, à une série autonome. Egalement nommée Swamp Thing, elle transpose l'action du XIXeme siècle à l' époque contemporaine et change un peu les origines du personnages, pour ouvrir des pistes permettant de développer une narration plus feuilletonesque. Ecrite par Lein Wein et dessinée par le génial Bernie Wrightson, c'est cette série qui va être adaptée 10 ans plus tard par Wes Craven.

D'un certain point de vue, Craven est dans un position similaire à celle des éditeurs du comics. Venant du milieu des films d'horreurs indépendants à micro budget, il doit sa jeune gloire à des titres d'exploitation réputés pour leur violence, La dernière maison sur la gauche (1972) et La colline a des yeux (1977). Or Craven, comme il le fera tout au long de sa carrière, veut changer de registre, et redoute de se laisser enfermer dans l'étiquette de horror director. S'il n'a pas le Comics Code à respecter, c'est aussi à une forme d'auto-censure que doit se plier Craven en acceptant le cahier des charges de Swamp Thing, qui lui permet aussi de travailler avec un budget plus confortable qu'à l'accoutumée.

Le film existe dans deux versions différentes, un montage européen et un montage américain, différence qui donnèrent naissance à une anecdote croustillante. Exploitant par erreur en DVD le montage européen, la MGM (actuelle détentrice des droits) découvre la boulette quand une mère de famille texane menace la firme qui a corrompu la psyché de son cher petit. Craven aurait-il réservé aux vieux monde les baquets de sang qu'il brûlait de déverser sur son montage PG ? Voyons ! Ce sont bien sûr quelques poitrines dénudées et rondeurs postérieures qui scandalisent la dame.

Mais l'anecdote est révélatrice. Car en regardant cette version uncut, il semble évident que ces quelques passages licencieux, concentrés principalement en une séance d'orgie chez le grand méchant, sont celles qui ont le plus mobilisé son interêt et auxquelles il parvient à donner une petit goût de souffre. C'est ce que le film a de plus relevé à proposer. Sinon, tout est d'une platitude soporifique, du scénario à la photo, jusqu'au montage. Dans une scène de poursuite nerveuse sur le papier, il faut quatre longs plans à Craven pour faire faire demi-tour à la voiture qui poursuit l'héroïne... Autant dire qu'on ne se fait pas trop de soucis pour elle. Quand on sait que même au milieu de films aussi bancals que Scream 2, Craven demeure capable de réaliser de purs moments d'angoisse reposant sur un espace bien exploité, et une tension jouant avec les règles les plus classiques du suspens (Est ce que ce que je redoute va se produire et quand?), on ne peut être indulgent avec la mise en image absolument consternante de ce Swamp Thing. Quel qu’ai été son intérêt pour le projet au départ, il n'en reste rien à l'écran.

Un extrait efficace de Scream 2, nous prouvant que si Craven en a encore sous la semelle, il peut aussi se trouver un gros poil dans la main.

Pourtant, le film contient déjà tout entier ce qui permettra le triomphe, vingt ans plus tard, du genre super-héroïque qui constitue aujourd'hui la rente la plus sûre des studios, prêts à risquer leur année sur l'un d'entre eux. L'un des instigateurs de SwampThing est d'ailleurs Michael E. Uslan, alors trentenaire fou de BD, qui rêve de porter Batman à l'écran. Il sera de toutes les adaptations du personnage, à partir du film de Burton sept ans plus tard. Et son idée n'est pas mauvaise : aller chercher un réalisateur de films d'horreur pour un film qui est au fond un film de monstre. C'est d'ailleurs un autre réalisateur du genre, Sam Raimi, qui en réalisant Spider-Man fera entrer les films de super-héros dans leur second âge d'or, à l'aube des années 2000, et provoquera une vague de productions sans commune mesure avec ce qui se passe au cours des années 80. Avec Raimi, précédé de Norrington (Blade, 1998) et Singer (X-Men, 2000), les studios trouvent enfin la formule, reconductible, de la transposition des super-héros sur grand écran. Et a bien y regarder, Swamp Thing, sous la houlette de Uslan est certainement une expérimentation complètement ratée de ce qui fonctionnera industriellement 20 ans plus tard, à savoir un nivellement de tout ce qui peut heurter, en ne gardant de ce qui donne son identité à la bande-dessinée d'origine que le minimum. SwampThing est au départ une histoire de monstre évoquant par sa silhouette et sa naissance la créature de Frankenstein, habitée d'un même désir de vengeance, mêlée à un récit plus classique de savant-fou, et dans le film de Craven plus que dans la bande-dessinée épicée d'une très légère préoccupation écologique. Du film de monstre à la Jame Whale il ne reste que quelques motifs, pauvres gimmicks qui ne sont là que pour créer une identité à la « marque » Swamp Thing. Le monstre manifeste donc ces sentiments par quelques gestes naïfs : il offre une fleur, médite tristement sur le médaillon le représentant avec sa sœur morte, et va délivrer sa fiancée, à la fin, qui a été enchaînée, en déshabillé blanc dans un donjon du bayou (!) Le maquillage, la lumière, la mise en scène sont déterminés par cette volonté d'aboutir à un produit sans aucune personnalité, pouvant convenir à n'importe quel spectateur. Un art de l'insipide porté au plus haut par les productions Marvel Studio ces dernières années.



Pourtant, il y a avait quelque chose à réussir avec cette figure mi-humaine, mi-végétale du Dr. Alec Holland. Les dessinateurs de la bande-dessinée l'ont bien compris qui ont rivalisé d'imagination pour jouer de l'identité du personnage avec son décor. Encore un aspect qui désintéresse Craven au point de se contenter, non seulement, d'un costume qui porte bien son nom, mais presque sadiquement s'amuse à l'éclairer sous toutes les coutures. Les cables et leurs mousquetons sont apparents dans TOUTES les scènes de projection.

Si sur les planches de Wrightson, la vie animale du bayou donne un sens à la sensibilité écologiste du héros, elle est totalement absente du film de Craven. Qu'il ait planté ses caméras en Louisianne et n'ait même pas pris la peine de trouver le stock-shot d'alligator de rigueur en dit long sur le laxisme du projet . D'ailleurs, le film parvient même à paraître la moitié de son budget de 3 millions de dollars, ses décors se limitant à quelques cabanes, un intérieur de salon, et une cave-donjon.

La créature autrement plus végétale sous les pinceaux de Bernie Wrightson.


Pourtant, deux accidents heureux entravent l'entreprise de nivellement entreprise. Le premier c'est le choix d'Adrienne Barbeau, convaincue par son mari de Carpenter de s'embarquer dans cette galère dont elle ne voulait pas entendre parler. Pas fan de fantastique et d'horreur, elle se laisse pourtant tenter, pensant logiquement, mais naïvement tourner « quelque chose comme Superman II ». La comédienne, au visage si particulier, à la plastique rebelle (pas son truc le soutien gorge !) fait merveille ici comme ailleurs. Sans se forcer, elle dégage une énergie quand il s'agit de résister aux gros bras ( là, elle fait songer à Jennifer Jones) qui ne la fait pas sombrer dans la caricature de la pépée à mitraillette et n'empêche pas l'expression d'un ironie et d'une tendresse qui semblent toutes naturelles. Elle croise dans le film Reggie Batts, un jeune noir dont il semble que ce soit le seul rôle, qui est une trouvaille incroyable. Sa voix, son débit de parole particulier, son air mi-canaille, mi-ahuri nous rappellent que le cinéma, c'est aussi parfois, être l'heureux témoin d'une cinégénie accidentelle qui crève l'écran et laisse un souvenir indélébile.

Inoubliable Reggie Batts

Swamp Thing se termine par un hommage direct aux films de monstres : la créature des marais combat un autre mutant, pour défendre sa belle, réduite pour l'occasion au rôle de la demoiselle en détresse. D'une certaine façon, l'entreprise de Craven, qui ne fait pas d'étincelles au box-office réussit parfaitement : une série télé (aboutissement logique de l'esthétique mise en place) de presque 100 épisodes dérivera du film, qui connaîtra une suite. Y sera gommé le seul élément un peu étonnant : la présence d'Adrienne Barbeau, remplacée par Eather Locklear (Dynastie, Hooker, Matt Houston... ouf!). Nous aurons également droit à une série animée, qui permettra de vendre quelques jouets Swamp Thing.



Matthias évoquait l'entreprise de dilution du discours de Romero dans Creepshow. Craven écrit aussi, avec ce Swamp Thing plus que mineur, une page de cette histoire là. Exemplaire de cette tendance, l'année 82 verra aussi Tobe Hooper aux prises avec son image dans Poltergeist. Romero, Craven, Hooper vont tous, cette année, d'un manière ou d'une autre devoir brader l'héritage de leurs années 70.



Quand à SwampThing, il faut absolument en lire les aventures de papier. Car dans la foulée de la préparation du film, les responsables de DC décident de ressusciter le titre disparu en 76. Rebaptisé Saga of the Swamp Thing le titre vivote gentiment jusqu'à ce qu'y soit lâché un jeune Alan Moore, prié d'y faire des étincelles. Il y fera des miracles. Sa série, débutant après avoir fait table rase de l'héritage de son prédécesseur débute par une magistrale Leçon d'anatomie. Si Swamp Thing appartient à la toute petite histoire du cinéma fantastique, il entre avec ce numéro 21 dans l'histoire de la très grande bande-dessinée.

Une suite ? mieux, un retour. Mon Dieu, pardonnez-leur...















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