mardi 9 octobre 2012

Revoir 1982 (9/31) : Creepshow

LA CHAIR DE POULE
Creepshow, Georges A. Romero, USA, 1982


Il en va de certaines années de cinéma comme des grands crus pour les vins : dans le registre qui nous intéresse, 1968 fut l’année de 2001, l’Odyssée de l’espace, de La Planète des singes, ou encore d’un petit film sans star ni devant, ni derrière la caméra, mais dont la postérité a dépassé 30 ans plus tard même le fort souvenir laissé par les deux films déjà cités : 1968 est sans conteste l’année de La Nuit des morts-vivants, de Georges A. Romero. Bien entendu, ce chef d’œuvre pivot de toute une cinématographie, mériterait à lui seul une très longue chronique dans ces pages électroniques, mais 1968 n’est pas en l’occurrence le cru qui nous intéresse, nous sommes en 1982, autre année majeure du cinéma fantastique et de ses mutations, et le film qui marquera cette époque et celles qui suivront, n’est occupé ni par des hordes de morts-vivants, ni par un ordinateur devenu fou, ni même par une règne animal renversé, non, le vainqueur de l’année 82, nous l’avons déjà dit, est un petit alien, perdu loin de chez lui, et qu’une bande d’enfants espiègles secourra pour lui permettre de « rentrer à la maison ». Nous reviendrons bien entendu sur ET, l’extraterrestre, en guise de probable conclusion, mais pourquoi dès l’abord d’une chronique sur Creepshow, pseudo-comédie d’horreur à sketchs, le citer en préambule ? 

                                                                                                                 



C’est qu’il y a des filiations plus secrètes, et néanmoins éminentes entre certaines années de référence. Si 1968 marquait l’intrusion d’un Ovni, un vrai, dans le cinéma fantastique, et de son créateur, un certain Georges A. Romero, âgé de 28 ans à l’époque, originaire de Pittsburgh et travaillant au pays, éloigné des grands studios, 1982 achève de museler ce franc-tireur, cet ousider, de six ans seulement le cadet de celui qui allait désormais prendre la pouvoir à Hollywood. Romero n’est certes pas le génie que les living-dead addicts voient en lui, mais c’est l’auteur complet d’au moins deux chefs d’œuvres du genre, dont la grammaire cinématographique dépassera de loin la seule sphère du cinéma d’horreur – et dont on peu penser à certains égards, qu’elle ne sera pas sans influencer la génération des golden boys de l’année 1982. On peut peut-être réaliser un chef d’œuvre par hasard, par coincidence ou par chance, parce que l’on est au bon endroit au bon moment, en réaliser deux, ce n’est plus possible, il faut au moins un peu de talent. Tout spécialement quand les conditions de production de ces chefs d’œuvre, en l’occurrence La Nuit des morts-vivants et Zombies, tournés à dix ans d’écart, sont à ce point précaires et éloignées du système industriel hollywoodien. La pauvreté a parfois ceci de juste – et de cruelle – qu’elle permet de dire si le Roi est nu. Dans le cas de Roméro pour ces deux films, si l’on peu effectivement demander « Combien de division ? », il nous faut reconnaître que la force de frappe de ces œuvres ne correspond en rien à ses moyens effectifs. Et pourtant, si la qualité d’une mise en scène peut s’enrichir de la relative pauvreté de ses moyens matériels, comme donc c’est en cette année 1982 le cas pour Mocky, ou Fulci – encore que nous reparlerons de Manhattan Baby…- le mouvement s’inverse en ce qui concerne Romero : avec Creepshow, il n’a jamais bénéficié d’un pareil budget, ni même d’une pareille couverture en terme de distribution. Visez un peu : si Zombie avait un budget 8 fois inférieur à celui de Creepshow, la sortie de ce dernier s’est effectué sur 16 fois plus d’écrans ! Plus de 1100 écrans rien qu’aux Etats-Unis, contre moins de 70 pour Zombie ! Lequel de ces deux films, vous, amateurs du genre, avez-vous pourtant retenu ? Lequel de ces deux films vous semble riche d’une inventivité plastique, d’images littérales frappantes comme l’évidence ? Lequel de ces deux films vous semble continuer de nous hanter 30 ans plus tard, nous autres amateurs, mais aussi tous les autres, tous ceux qui ne l’ont pas vu, tant il est vrai que les images d’un chef d’œuvre transcendent leurs seuls spectateurs ? Je vous laisse répondre. Si vous concluez par le film à sketchs, alors vous pouvez d’ores et déjà passer votre chemin…


Romero est donc passé dans le camp de ceux qui ont les moyens, de ceux qui peuvent être majoritairement vu. Cette sortie hors de la marge, désirée secrètement par tout artiste, qui pour le moins désire simplement que son travail soit partagé par le plus grand nombre, il se fait chez Romero en compagnie d’un autre grand nom du fantastique de ce début des années 80 : Stephen King. Là encore, nous tous amateurs du genre, nous avons forcément lu l’un ou l’autre des ouvrages de ce conteur hors pair, habile à manipuler son lecteur tout au long de pavés dont la destinée fut durant les deux décennies 80 et 90 de se voir portés à l’écran. C’est que King a tout lui aussi, à l’instar de la génération des jeunes metteurs en scène américains de ces années-là, du golden boy, dont le succès fulgurant doit autant à une marginalité dans les sujets traités, qu’à une conformité avec le goût de l’époque dans le traitement. Des histoires anormales racontées de manière normale, voilà ce qui pourrait définir son rapport au fantastique – un peu à l’instar d’un Spielberg à la même époque avec ses « gens ordinaires plongés au cœur d’évènements extraordinaires ». Carrie, son premier ouvrage de 1974, sera porté à l’écran par le jeune et talentueux Brian de Palma deux ans plus tard, et deviendra l’un des modèles d’un genre en plaine explosion, dont Creepshow n’est pas le dernier des avatars, le « Teen horror movie », qui produira quelques chefs d’œuvre, le plus souvent sur la base de malentendus – pensons au Halloween de Carpenter – mais qui participera surtout à « dévitaliser » la dimension subversive du cinéma fantastique. Et partant, à dévitaliser tout un cinéma fantastique tout de même… Il reste toutefois quelques résistants – ou revivalistes !- je vous conseille ainsi Rob (le bien nommé) Zombie, et son… Halloween !
King verra six ans plus tard son Shining adapté avec tout le génie plastique d’un Kubrick, qui vient ainsi achever de consacrer cet auteur de genre comme un auteur tout court – et l’un des plus rentables de l’histoire de l’édition ! Le fantastique littéraire lui aussi vient de sortir des bas-fonds des Comics dont il est question dans Creepshow pour intégrer le cœur de l’industrie de l’Entertainment américain. Dans les 20 ans qui ont suivi, King a connu d’innombrables adaptations, dont certaines, comble de l’académisme artistique américain, finiront aux Oscars… Le fantastique est désormais partout, il est riche et bien portant, admiré et reconnu – nous devrions être contents… Et pourtant, donc, tout est dit, déjà, dans ce Creepshow, premier film écrit par King, et réalisé par Romero. Nous l’avons dit, si Romero est l’homme de chefs d’œuvre du genre, il se soumet corps et âme à son jeune auteur à succès dans ce téléfilm sorti sur écran, qui reste à ce jour son plus gros succès en salle…
De quoi est-il question ? Romero et King voulait rendre hommage aux publications d’EC Comics, un éditeur de comic books des années 40 et 50. Le E de EC Comics signifiait à l’origine Educationnal, mais se transforma bien vite, après un premier dépôt de bilan, en E d'Entertainment. Le mouvement était lancé, mais s’accompagnait d’un changement de ligne qui traduit aussi toutes les ambiguïtés du fantastique populaire américain de ces années-là, en littérature ou au cinéma. Un comic « éducatif », réalisé à destination des ligues de vertu ou de l’enseignement religieux, ne pouvait tenir qu’un temps : il n’est plus possible dans l’Amérique du baby-boom, de vendre du papier sur un programme ouvertement puritain. Se spécialisant alors dans le polar, puis dans l’horreur, EC comics devient l’une des publications les plus importantes en matière de comics : 400.000 exemplaires mensuels des comics d’horreur au début des années 50 ! Hélas pour eux, le succès attise les critiques de certaines associations, religieuses principalement, qui voient dans cette entreprise à destination des adolescents principalement, le ferment d’une délinquance sauvage et impie. Une commission sénatoriale finira par déboucher sur le fameux Comics Code Authority, sorte de Code Hays du Comics, toujours en vigueur – et dans la foulée, EC Comics, remisé à sa marge, commencera une lente agonie, son propriétaire ayant toujours refusé d’adhérer au CCA, et se trouvant contraint à vendre son affaire au début des années 60 à DC Comics – qui finira absorbé par la Warner, productrice de Creepshow... La parenthèse est refermée d’un fantastique, certes marchand – mais qu’est-ce qui n’est pas marchand au Etats-Unis ? – mais néanmoins contre-culturel, en ce qu’il s’adressait d’une manière inconvenante et provocatrice à un lectorat, celui des enfants, contre un autre lectorat, celui des parents. EC Comics participa dans les années 50, à sa manière, à l’émergence d’une génération qui allait vouloir renverser les valeurs héritées de la précédente. Un sujet en or, au fond, pour un film des années 80, dont les auteurs sont précisément eux-mêmes les héritiers et les continuateurs – au moins pour le Romero de 1968 ! - d’une telle tradition de désordre !


Il en va tout autrement… Dès le prologue du film, il nous est rapidement et conventionnellement présenté l’affrontement de deux générations : celle du père qui interdit à celle du fils – vraiment jeune, mais ce détail n’est pas si anodin…- de s’adonner à de tels plaisirs coupables. Cette dispute a lieu le soir de Halloween – là encore ce détail a son importance – comme l’indique la courge en forme de visage malicieux illuminé posé sur le rebord de la fenêtre. Le comic book est jeté aux ordures, et, avec l’enfant puni, nous nous trouvons embarqués, à l’instar des Garçons perdus, par un Peter Pan macabre, à l’allure de mort-vivant sympathique – oui, oui, sympathique - vers un Neverland de cauchemar – où l’on se doute tout de même à l’allure joyeuse de l’habillage graphique en dessins animés de ce prologue que l’on va aussi un peu rigoler !
Et, là on a le choix, ou en effet, l’on rigole bien des déboires de personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres, ou l’on pleure à chaudes larmes devant l’enterrement en grandes pompes d’un genre par celui-là même qui l’avait porté au plus haut point – et qui se caricature définitivement lui-même… 
Il est beaucoup question de pères dans Creepshow. Après ce prologue en forme de clin d’œil du vieil enfant au plus jeune – mélange générationnel assez typique des années 80 – la première histoire, justement nommée Father’s day, soit Fête des pères en bon français, nous introduit dans une grande demeure bourgeoise, où jeunes et anciens sont réunis pour une fête des pères, dont sont précisément absents ces derniers… C’est que le patriarche est décédé il y a 7 ans précisément, et que personne ne semble ici le regretter. Certes, les quelques séquences de flash-backs, toujours dans l’habillage burlesque que l’on voudrait typique des comics, nous présentent un vieillard acariâtre et violent, qui n’hésite pas à maltraiter sa famille et son personnel – nous sommes chez les grands bourgeois ! Sa fille finira par lui écraser le crâne à coup de cendrier en marbre, suite à l’intentionnel accident de chasse dont a été victime son propre mari et qu’elle impute à son père. La fille, comme son père avant elle, parviendra à camoufler le meurtre en accident. Tous les ans, à l’occasion de la commémoration de la mort du père, la famille se retrouve, sa fille visitant sa tombe dans le jardin familial avant de rejoindre le reste de la bande. Cette année-là, alors que l’on se fait raconter cette macabre histoire, Bedelia, la parricide, s’enivre sur la tombe de son père, qui finit par s’éveiller brutalement de son sommeil mortel – sa main surgit du sol, tel un diablotin sortant de sa boite, dans une lumière nocturne baignée d’un rouge digne d’Argento – pour assassiner sa fille, au son du chuintement de sa voix d’outre-tombe réclamant sa « piece of cake ! ». Oui, vous avez bien compris, sa part du gâteau de la fête des pères… On pourrait imaginer, si l’on voulait ergoter, tout ce qu’il y a là d’éloquent quant à la situation propre de Romero, lui-même vieux (42 ans !) père d’une génération qui vient de l’assassiner, et revenant – comme les personnages qu’il a mis au monde et dans le même état qu’eux - aux affaires en réclamant sa part du gâteau, dans une posture peut-être sarcastique mais néanmoins pathétique… 

  

La seconde histoire, qui met en scène un Stephen King désormais acteur après avoir été scénariste, n’a qu’un intérêt éventuellement plastique, avec cette végétation envahissante qui finit par dévorer tout son environnement – jusqu’à provoquer le suicide du pauvre fermier incarné par King. Peut-être là aussi sommes-nous de manière acerbe dans l’illustration littérale du projet même de Creepshow : son auteur se suicide, envahi qu’il est par ce qu’il vient de libérer, bien malgré lui, et dans l’espoir toutefois de se faire un paquet de billets verts. Cette mauvaise herbe n’est-elle pas d’ailleurs aux couleurs de la marée d’argent qui va venir submerger tout ce cinéma, auparavant dédié à quelques marginaux inadaptés ? L’on en rigole une fois encore, et d’abord du pauvre fermier traité comme le plus pur des losers par King et Romero, puisque, comble du ratage, il ne voulait « que » 200 dollars de sa répugnante découverte. Ne pas être capable de faire de l’argent sur tout et n’importe quoi, et beaucoup, beaucoup d’argent, voilà ce qui représente le véritable échec, ce qui devrait logiquement pousser au suicide – bienvenu dans les années 80…
L'épisode suivant est éventuellement le plus intéressant. Il nous présente la vengeance machiavélique d'un mari trompé vis-à-vis des amants coupables. L'intérêt de cette vengeance un peu saugrenue – les deux amants seront noyés sur une plage par la marée montante, incapables qu'ils sont de quitter l'endroit puisqu'enterrés jusqu'au cou dans le sable – réside moins dans le double meurtre que dans le fait que le mari, voyeur compulsif, filme ces meurtres et jouit à leur vision. De la même manière, s'il noie « simplement » sa femme, il prend bien soin de noyer son rival en le soumettant au spectacle de la mort de son amante, par le truchement très technique – pour l'époque – d'un moniteur de télévision. Ainsi l'amant avant de se retrouver lui-même submergé par le flot de la marée, aura-t-il pu « expérimenter » son sort à venir par le spectacle de la mort de sa compagne. Cette sorte de mise en abyme, la noyée contemplée au moment de sa mort par le futur noyée, dont la mort elle-même sera contemplée par le mari jaloux, cette chaine achevée par nous autres spectateurs, contemplant l'ensemble des trois protagonistes, dit quelque chose d'un rapport au cinéma fantastique ou au cinéma d'horreur, dont il a déjà été question dans ces pages : le genre fait sa propre analyse, en acte. Quel type de plaisir pouvons-nous éprouver à la vision de spectacles dont la réalité nous ferait horreur ? Ne sommes-nous pas l'égal, en tant que spectateur, de ce mari voyeur, s'abreuvant d'une souffrance qui vient apaiser son besoin de vengeance ? Mais c'est qu'il n'est pas seulement spectateur, cet « obsédé », figure désormais presque classique du cinéma de genre, mais également metteur en scène, et très techniquement, de ce supplice. Là encore pouvons-nous abuser d'une interprétation un peu littérale : Romero filme comme « au second degré » la femme infidèle du héros – elle ne nous est à nous autres spectateurs présentée que par le truchement de l'image-télé – et cette femme infidèle, c'est celle qui interpréta l'héroïne de Zombies, quatre ans plus tôt. Ainsi Roméro met-il en scène non la mort, mais l'image de celle-ci, d'un personnage qui ne lui est plus désormais accessible que par ce truchement : ses films, ses grands films, désormais, c'est à la télévision – littéralement « vu de loin » - qu'il les verra, la réalité de sa mise en scène étant celle maintenant de la mise à mort de ce qu'il a aimé... Certes, j'entends que l'on puisse considérer que je tords un peu le sens de petits films qui n'ont pas d'autres prétentions que de nous amuser en nous faisant peur – au fond, l'un des aspects fondamentaux du genre – mais mis bout à bout, je pense que l'on peut considérer ces cinq sketchs avec ce sous-texte légèrement dépressif. Et puis, soyons franc, à la fin tout rentre dans l'ordre : les deux amants reviendront se venger du mari assassin, tout simplement en lui infligeant le même supplice – mais sans télévision ou caméra cette fois, celle, toute réelle, de Roméro à destination de nous autres spectateurs étant suffisante. Le rire aliéné de Leslie Nielsen, l'interprète du mari arroseur arrosé au moment où la marée se rapproche de lui, nous renvoie aussi à l'avenir de ce cinéma : Leslie Nielsen a à cet instant tout à fait la tête qu'il aura lorsqu'il interprètera en série quelques années plus tard toute la série des Y'a-t-il un flic...


La dernière séquence à base de cafards envahissants, un peu à l'instar de végétation extra-terrestre du second sketch, l'espace vital obsessionnel d'un richissime obsédé de l'hygiène, n'est pas sans intérêt non plus. Plastiquement, et même si tout au long du film et de ses cinq sketchs on se demande un peu où est passé le pognon..., c'est assez tenu. Le blanc « hôpital » de l'appartement isolé du reste du monde et connecté à l'extérieur par le seul truchement de caméras – encore – s'envahit peu à peu de hordes de cafards grouillants ; les effets spéciaux ont probablement consisté dans cette séquence à retenir les cafards bien vivants devant la caméra le temps de la prise de vue, et cette réalité matérielle des cancrelats n'est pas tout à coup sans effet. Un peu de réel, sans ironie, du moins un temps, sans camouflage derrière des effets visuels certes non sans talents – la direction artistique comme dirait le Chef de gare est tout à fait correcte dans tout le film – voilà qui nous rappelle que Romero fut en effet l'homme de Zombie, un film au budget qui n'atteignait pas le million de dollars, mais dont chaque cents participa d'une esthétique qui reste sans commune mesure avec le gâteau crémeux que l'on nous sert là.
Un dernier mot sur cet aspect du film. Si le look est soigné, c'est tout le reste qui est bâclé. Les personnages n'ont nulle épaisseur, les situations sont au mieux saugrenues, au pire convenues, il ne sa passe rien qui ne soit pas « codé » dans ce film. C'est que King et Romero, nous l'avons dit, se réfèrent là aux comics de leur enfance, et font le film dont ils pensent que les enfants qu'ils étaient pourraient se délecter. C'est oublier qu'ils ne sont plus des enfants, et que le fantastique passe non par l'oubli de l'enfance – il y a quelque chose de l'imaginaire que d'autres cinéastes, dont Spielberg dans ses meilleurs moments, ont évidement ramené à l'état de l'enfance – mais non plus par la nostalgie de l'enfance. Si quelque chose du fantastique doit survivre dans le passage de l'enfance à l'age adulte, c'est précisément la force subversive, choquante, traumatisante de l'expérience que l'on en fait lorsque l'on est enfant. Ainsi, débuter le film par l'évocation de la nuit d'Halloween raconte tout : la fête des morts, fête païenne et sauvage, n'a jamais, pas plus que les contes de fée de notre enfance, était traditionnellement une fête de la sucrerie. L'industrie Hollywoodienne l'a transformée ainsi, au nom peut-être de la protection de l'enfance, en réalité plus inconsciemment pour sauvegarder les parents, c'est-à-dire ceux garants de l'ordre établi. Imaginer que l'on peut commencer un film qui célèbre les comics affreux, sales et méchants de notre enfance par la collusion au premier degré entre l'adulte derrière la caméra et l'enfant devant, contre son père, c'est ne pas comprendre où se trouve la vérité de la subversion du fantastique. Ce peut-être simplement aussi ne pas vouloir vieillir, et prétendre rester au même niveau que ses propres enfants.
Le cinéma fantastique à partir de ces années 80 va lointainement s'enfoncer dans ce spectacle à destination d'enfants, ou d'adolescents, fait par des adultes incapables de créer autrement qu'en prenant pour unique référence leur propre enfance ou adolescence. La nostalgie, voire la régression, est donc déjà un mode d'expression artistique en 1982. Pour ma part, je ne condamne, ni ne surestime, tout dépendra des auteurs derrière les caméras – nous pourrons en reparler ainsi à propose de Kathryn Bigelow – toutefois, lorsque ce mouvement sera investi par les executives industriels d'Hollywood, on pourra regretter que même l'indiscipline et l'insoumission finissent par être absorbées par la machine à dominer. Toute l'histoire de la génération de nos parents... Qu'on n'arrive plus à appeler des vieux cons...

                                      

3 commentaires:

  1. Chouette ! Pas du tout d'accord avec cette analyse. Pour moi "Creepshow" se déguste comme une friandise ludique, pile-poil comme les Comics que je lisais à l'époque. Je me repasse ce film régulièrement. J'adore sa légèreté assumée et son détachement. Je trouve les acteurs épatants dans le cabotinage (King est génial ! Ed Harris, Bonnie Bedelia, Leslie Nielsen...) Bref, culte pour moi. Et quelle musique géniale !
    Il manque la séquence du monstre sous l'escalier, non ?

    RépondreSupprimer
  2. Chopé Matthias ! ça t'apprendra à sauter les chapitres quand le film te broute...
    Maintenant j'ai pas vu Creepshow depuis... 15 ans je pense. J'avais trouvé ça rigolo, à l'époque. Je pense que Matth juge ça surtout en regard de Zombie et Night of the living dead. Je comprends qu'on puisse voir ça comme une certaine décadence du cinéma d'horreur. Mais je ne crois pas que ça empêche, par ailleurs d'y prendre un certain plaisir coupable. Il te répondras lui-même je pense, s'il sort vivant de sa chronique du jour, sur... Sur... Suspense !

    RépondreSupprimer
  3. Hello. Si, si, je l'ai vu ce sketch de la boite, mais vraiment, je ne voyais pas quoi en dire qui aurait eu un peu d'intérêt...
    Bien entendu que ce film est une sucrerie, c'est même cela que je lui reproche. Après une friandise, ça se déguste toujours agréablement... Mais Zombie alors, c'était un banquet aux saveurs complexes et irrésistibles ! Et certes voir Romero se contenter d'une friandise, ça me laisse un peu coi.
    Quant à la légèreté assumée du film, je continue de penser que c'est ça qui a tué un certain cinéma de genre, devenu par ce détour un cinéma acceptable parce que réassigné à sa place : une plaisanterie sans conséquence. Quant aux comics de notre enfance, je pense - mais le spécialiste du comics, c'est le Chef de gare - qu'ils étaient déjà débarrassés du potentiel subversif qui existait lorsque EC provoquait le sénat américain. D'une certaine façon, Creepshow est bien estampillé CCA, lorsqu'il prétend justement rendre hommage à un éditeur qui n'a jamais accepté cette réduction.
    Mais ça se laisse regarder avec une certaine nostalgie, je ne dirais pas le contraire.

    RépondreSupprimer