mercredi 3 octobre 2012

Revoir 1982 (3/31): La dernière licorne

LA FEMME CACHEE
LA DERNIERE LICORNE (The last unicorn)- Arthur Bass Jr. et Jules Rankin-1982- Etats-Unis, Royaume Uni, Japon, République Fédérale d'Allemagne 


Si le temps qui passe creuse les visages des vedettes et lie leur jeunesse à une époque de gloire fatalement destinée à passer, les dessin-animés semble échapper au ravages du temps et bénéficier d'un attrait intemporel. De génération en génération, la placidité de Droopy, la témérité de Mickey, la malchance de Wile E. Coyote produisent les même effets et s'attachent toujours autant de public. Plus destinés aux adultes les Simpsons ont dépassé leur 20ème année de diffusion consécutive sans jamais avoir eu à opérer de changement esthétique majeur.



La dernière licorne, long métrage animé par celluloïds, produit en 1982 dégage donc un charme sans âge, intact, sans doute identique à celui qu'aurait eu le film fabriqué 10 ans plus tôt ou plus tard.
Pourtant, si on se penche sur ses conditions de production, nul doute que nous avons là un pur produit de ce monde des deux blocs que nous évoquions hier. En témoigne en premier lieu le financement, fragmenté entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et la République Fédérale d'Allemagne.

Nous sommes encore à l'époque où, d'un point de vue commercial, il y a les long-métrages Disney d'un côté, et tout le reste de l'autre. Il était alors possible, pour un jeune spectateur (ce que j'étais) d'aller voir tous les films d'animations distribués- ils étaient presque tous destinés aux enfants. Et bien souvent c'est la ressortie d'un film Disney qui attirait le plus de spectateurs.

La solution de la co-production, comme à la grande époque du cinéma populaire, est alors une bonne alternative pour faire exister des films. Le montage consiste généralement à séparer la conception de la fabrication proprement dite. Aux producteurs/réalisateurs de concevoir le film, de dessiner le storyboard, d'engager un musicien et des comédiens de doublage. Puis un studio est engagé pour l'animation et la fabrication des éléments nécessaires au tournage. Et les clivages politiques de l'époque transparaissent dans ces associations, à priori purement financières. En France, Jean image travaille avec Moscou et René Laloux, sympathisant du PCF travaille avec la Corée du Nord, la Tchécoslovaquie et la Hongrie communistes. Nous reparlerons d'ailleurs de lui dans une prochaine chronique.
Des collaborations inimaginables pour Jules Rankin et Arthur Bass, américains œuvrant de l'autre côté du rideau de fer. Les associations sont souvent difficiles à reconduire et les films demeurent souvent des prototypes sans descendances mais eux ont, réussi à mettre en place un système de fabrication efficace aussi bien pour des séries télé (Kid Power, Thundercats) que des longs-métrages (The Hobbit, Le vol du dragon ). C'est grâce à un studio Japonais, Topcraft, créé en 1972, que Rankin/Bass pourront maintenir une production constante et homogène. La Dernière Licorne est leur œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie.

Rankin et Bass, après avoir utilisé à leur début l'animation image par image se tournent, au moment de produire la série télé Kid Power vers l'animation en dessins sur celluloids, plus économique et plus rapide. Outre pacifique, le Japon a une tradition dans le domaine, inaugurée dans les studios Mushi Productions de Tezuka, aussi efficace que déjà décriée, pour fournir des kilomètres d'images plus ou moins animées dans des délais imbattables. Rankin et Bass vont bientôt devenir les commanditaires presque exclusifs de Topcraft. La dernière licorne ne sera d'ailleurs pas distribué au Japon. Mais si l'on se penche sur leurs réalisations, on peut comprendre pourquoi.


La référence de Rankin et Bass, pour leurs productions médiévales fantastiques réalisées par Topcraft est de tout évidence l'illustration européenne du XXeme siècle. On songe, en voyant les personnages et les arrières-plans de La dernière licorne à Aubrey Beardsley, à Arthur Rackham, à Kay Nielsen. De ces inspirateurs, Tsuguyuki Kubo tire des personnages étrangement inadaptés à leur exploitation. Leurs silhouettes longilignes et pleines de cercles quasi fermés sont enrichies d'une multitudes de traits rendant la multiplication des dessins nécessaires à l'animation sans doute plus que fastidieuse pour les animateurs. D'autant plus que plutôt que d'opter sur une animation fondée sur une alternance de stations immobiles ponctuée par des mouvements brusque, et de jouer avec les déplacement de la caméra et différents effets statiques (changements de couleur par filtres etc...) à la manière de la plupart des autres studios, les animateurs de Topcraft optent pour une animation constamment en mouvement « à l'occidentale ». Le résultat à l'écran est souvent bien malheureux, sans vigueur, sans rythme, sans poids. Mais les qualités de La dernière licorne sont ailleurs.

Illustration de Kay Nielsen

Dans son histoire d'abord. Rankin et Bass ont un goût prononcé pour une Fantasy, qui n'est pas encore la coqueluche des studios et des éditeurs- ils n'ont pas encore réussi à industrialiser les recettes du succès du Seigneur des anneaux. Au cinéma, les difficultés à matérialiser les créatures et les mondes fantastiques du genre rendent très périlleuse la crédibilité d'un long-métrage ne fleurtant pas avec le second degré. Un film de John Milius s'apprête à changer la donne, mais lorsque les Rankin et Bass achètent les droits du roman de Peter S.Beagle, le dessin-animé semble être la seule voie viable pour un film médiéval fantastique ambitieux.

Peter S. Beagle, qui adaptant son scénario, ne fait pas de concession à son récit. Ne cherchant pas à adhérer à une formule plus conventionnelle en alternant soigneusement les scènes courtes, aux tonalités variées pour maintenir l'attention du public. Les réalisateur n'hésitent pas à faire apparaître des personnages le temps d'une seule scène (la bande de Jingly Jack), à basculer dans un fantastique grotesque (Schmendrick coincé entre les seins énormes d'une femme arbre rose!), à désamorcer des effets d'attentes (la confrontation avec le méchant roi Haggard se solde... par l'installation des héros dans son château, à son invitation !) ou à ne pas conclure toutes les intrigues plus ou moins initiées (on peut se demander quelle est l'utilité de Schmendrick à partir du moment ou la troupe arrive au château.)

Illustration d'Aubrey Beardsley
Si le rythme étrange du film pourra surprendre, voire même carrément ennuyer, on appréciera aussi de se laisser raconter une histoire qui ne semble aller que là ou l'auteur veut la mener, et non chercher à anticiper ce qu'il penserait être nos attentes. Même si elles sont finalement comblées. Car la Dernière Licorne est un conte évocateur, remplissant la fonction première du genre : donner forme à des angoisses et des tensions intérieures fondamentales et structurantes. Ici : comment on devient une femme en étant prise dans le désir des hommes.

La licorne est bien entendu une image virginale de la jeune fille- et elle est associée à une série de symboles visuel féminins : la forêt luxuriante aux eaux dormantes où elle vit, mais aussi le cycle des marées commandant à l'apparition de ses soeurs. Le premier homme qu'elle rencontre, le magicien Schmendrick- il est maladroit, c'est une sorte de puceau en magie- va, littéralement, la transformer en femme. A partir de ce moment, le récit confronte la licorne devenue humaine à une série de personnages masculins répondant chacun à un régime de désirs différents.

Le taureau de feu, d'abord, qui poursuit les licornes- incarnation limpide du désir dans sa forme la plus pressante. « Il vient quand c'est l'heure, ni avant, ni après »dit un personnage- autant dire que La licorne n'a aucun contrôle sur ce désir qui ne demande pas la permission.
Le prince Lir, lui, doit écrire un poème à la belle pour lui demander de l'aimer. C'est le désir rassurant, celui qui se propose. D'ailleurs, lorsque Lir se montre plus brutal, et terrasse un dragon pour offrir sa peau à la jeune femme, elle le repousse.
Enfin, la figure d'Hasggard, le vieux roi, incarne le désir devenu stérile. Son château, tout en tours verticales de roches grises, qui abritent un trône surmonté d'un crâne, se caractérise en une opposition limpide à l'espace naturel de la licorne, la forêt vue au début.
Le film n'essaye jamais de donner artificiellement chair à ces archétypes- les dialogues dans une langue aussi ornementée que les silhouettes des personnages traduisent leurs doutes intérieurs plutôt que des échanges destinés à nous les rendre vivants.

La dame à la licorne- tapisserie du XVeme siècle- musée du moyen-âge, Paris.
C'est ce ton qu'on appréciera de bout en bout, d'un très beau générique voyant des créatures magiques se figer pour se fondre dans l'arrière plan (magnifique image littérale : mourir pour un dessin-animé, c'est quitter le celluloïd pour rejoindre le décor peint et condamné à l'immobilité) et finir par constituer la célèbre (et attendue ici) Dame à la licorne de Cluny, à un final accompagné d'une autre citation picturale, cette fois Les chevaux de Neptune de Walter Crane.
Ayant retrouvé ses sœurs, la licorne redevient cheval et repart dans son royaume. Le prince Lir, qui était prêt à sacrifier pour elle demeure seul en son château, avec le vieux Hasggard, en attendant, sans doute, de régner à son tour.


Rares sont les conteurs a refermer leur récit sans marier prince et princesse. Peter S.Beagle, Rankin et Bass osent le faire. En 2012, Blanche-Neige et le Chasseur, de Rupert Sanders se conclura aussi par l'image d'une jeune reine couronnée laissant son promis repartir sans elle. Ce film, qui met aussi la psyché féminine au cœur de son imagerie partage plus d'un point commun avec La dernière Licorne. Ne l'y aperçoit-on pas, inchangée, dans son sanctuaire, où Blanche-Neige se réfugie ? Le film emprunte aussi beaucoup à l'imagerie popularisée par Peter Jackson avec Le Seigneur des Anneaux. Le réalisateur vient de réaliser une adaptation du Hobbit...déjà porté à l'écran par Rakin, Bass et Topcraft en 1977.
Que leur œuvre soit devenue aujourd'hui assez confidentielle, et que d'autres cinéastes effacent leurs pas, ne doit pas nous faire oublier qu'ils furent les premiers à invoquer sur les écrans dragons, hobbits, magiciens, troll et licornes.




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