samedi 13 octobre 2012

Revoir 1982 (13/31): Double feature- On la refait !:The Thing

DOUBLE FEATURE: ON LA REFAIT!: The Thing
The Thing- John Carpenter- 1982- Etats-Unis
VS.
The Thing- Matthijs Van Heijningen jr.- 2011- Etats-Unis-Canada.

Double Programme le samedi soir, comme l'an dernier ! Cette fois, on voit double. Chaque semaine, on se recolle devant deux films d'affilée, l'un étant toujours le remake de l'autre, et l'un des deux nous provenant, évidemment, de l'inégalable an 82. Cette semaine, on continue à se méfier les uns des autres avec la barbe et l'anorak dans The Thing et The Thing.




VS.


featuring:




1. Mais pourquoi il voulait le refaire, ce film, il est pas bien ?
Matthias: Si en 1982, les executives américains mettent en chantier les remakes de films datant de quarante ou cinquante ans, c'est qu'ils supposent qu'il y a là une matière comme « endormie », et cette idée s'accommoderait très bien d'une histoire comme celle de The Thing, qui ne demande qu'à être remise en route. Les exemples de La Féline ou de The Thing illustrent parfaitement cette démarche : quel spectateur de 1982 a vu ou a simplement en tête le fait que ces films sont des remakes ? Très peu d'entre eux, ce n'est pas le propos – il s'agit de faire du neuf avec du vieux en évitant de faire référence au vieux. Un lifting, une remise à la mode, en quelque sorte.
Il en va tout autrement en 2011. Le remake de Matthijs van Heijningen ne peut se dispenser de la référence au chef d'œuvre de Carpenter, vieux de trente ans. Dans l'intervalle, nous pouvons donc constater avec un certain plaisir qu'une histoire du cinéma populaire a désormais intégré la mémoire d'un certain public, auquel ces remakes sont également adressés – en plus du public à pop-corn qui vient consommer de la pellicule... Cette manière de refaire des films que le spectateur a donc en tête a trouvé l'une de ses premières occurrences avec le succès mondial du King Kong de Peter Jackson, film en forme de mise en abyme du premier King Kong, un film RKO encore une fois !, à la fois hommage, commentaire, modernisation du film de Schoedsack. Avec la mise en chantier quelques temps plus tard de Prometheus, que nous avons déjà évoqué jeudi dernier, prequel d'Alien par son créateur même, Ridley Scott, le projet d'un remake/prequel de The Thing, film devenu culte en 30 ans, devient imaginable. C'est qu'au simple projet d'actualisation, le prequel vient ajouter une dimension nouvelle à l'œuvre originale, dimension évidemment jouissive pour les innombrables fans de l'œuvre de référence : nous allons vous expliquer l'origine de l'histoire que vous vénérez. Cette promesse d'un éclairage sur les zones d'ombres du film original, est à la fois le cœur du projet de ces prequel, dans le même temps tout de même qu'il est aussi ce qui vient nier l'œuvre d'origine. Une sorte d'antithèse pourrait-on dire : vous voulez savoir d'où vient la Chose ? Vous voulez savoir ce qu'est ce double visage carbonisé abandonné dans la neige et que MacReady et ses compagnons découvraient au début du film ? Vous voulez ôter tout mystère à la charge du film de Carpenter ? Suivez-nous, et entrez dans le The Thing version 2011...

Le chef de gare
:
Plus concrètement j'ajouterais qu'avant le remake de King Kong, il y a quand même eu un certains nombres de fils refaits - et même pas mal de films de Carpenter, puisque The Fog, Halloween et Assaut ont déjà eu droit au leurs. Ce qui est peut être différent dans le cas de cette vague de remakes récents, c'est qu'on commence à voir des nouvelles versions de films des années 80. Ces films qui étaient méprisés à l'époque sont aujourd'hui l'objet d'une reconnaissance critique nouvelle via une génération de critique et de cinéphiles, dont nous sommes, qui sont entrés en cinéma comme en religion avec La guerre des étoiles - à l'époque ça ne s'appelait pas encore Star Wars ! Ces films regardé avec une certaine nostalgie sont devenu un mausolée sacré,et chaque fois qu'un de ces remakes est annoncé, on se sent plus ou moins heurté. The Thing, en l'occurrence, s'attaque à un gros morceau, puisqu'il s'agit d'un pur classique. Mais pour Hollywood, et c'est aussi la beauté de la chose, rien n'est sacré. Je pense que si ce n'est nous, nos enfants verront un remake de La guerre des étoiles !
Pour The Thing,  Je pense que le projet est devenu valide à partir du moment où les producteurs du remake de Dawn of the dead (Zombie/ l'armée des morts) sont entrés dans l'affaire. Ce remake de Zack Snyder  a été un gros succès, et a été plutôt bien reçu par la critique, et adoubé par les "fans". Il a dû paraître logique d'enchaîner avec The Thing, autre grand film fantastique de l'époque.
Matthias : Nous sommes donc à nouveau en 1982, et les plans d'ensemble qui ouvrent le film nous rappelle en tout point l'ouverture du film de Carpenter. Un blanc immaculé dans lequel un véhicule, petit point lointain, vient laisser sa trace dans la neige. Nous sommes très vite à bord de ce « camion des neiges », en compagnie d'un groupe de scientifiques norvégiens, qui parlent dans leur langue – et sont donc sous-titrés dans la version originale du film, véritable rareté dans le cinéma américain, dont on peut supposer qu'il classe ce film directement dans la catégorie du « film d'art », signe une fois encore de l'ambition qui est celle, toute estimable, de van Heijningen. Un signal sonore en forme d'écho emplit le petit véhicule, et tandis qu'à l'avant les deux chauffeurs à l'allure de bons gros bûcherons vikings se racontent une histoire drôle, à base d'inceste, à l'arrière l'on est attentif à l'origine du signal sonore, là juste sous nos roues, ou plutôt sous nos chenilles... Tout à coup, le véhicule s'effondre sous son poids dans une crevasse : c'est ainsi que quelques mètres plus bas, il découvre, dans les entrailles phosphorescente de glaces de ce sous-sol sombre quelque chose, mais nous ne saurons pas quoi... Pas encore. En fait, ce n'est pas très grave, puisque nous savons déjà ce qui se trouve enfoui sous la neige.
Cette scène d'ouverture renvoie bien entendu à la scène du film de Carpenter où l'équipe d'américains découvrent l'immense soucoupe volante, prise dans une crevasse à ciel ouvert, mais rappelle plus précisément la scène du film de Nyby, de 1951 donc, où la même équipe américaine, trouve quelque chose sous la glace et tente d'en extraire la forme humanoïde repérée à ses côtés. C'est que si le film de van Heijningen est un prequel du film de Carpenter, d'une certaine manière, il est beaucoup plus proche, dans sa narration, du film de 1951.
A la suite de cette découverte, les Norvégiens, peuple européen à la limite de la civilisation... font appel à une jeune paléontologue américaine – ce qui nous vaut une séquence hors du strict espace Antarctique – qui vient les rejoindre pour examiner la Chose qu'ils ont découverte.
On notera là l'une des grandes « évolution » de ces différentes versions du même film : la place des femmes. En 1951, celles-ci sont des secrétaires qui servent le café aux hommes de la station, en 1982, elles ont tout simplement quitté le film pour laisser les hommes se battre entre eux, tandis qu'en 2011, non seulement l'une d'entre elle est devenue une scientifique reconnue que l'on vient recruter jusque dans son laboratoire, mais encore elle va vite devenir le personnage principal de cette histoire, le MacReady contemporain, dont il reconnu par les autres qu' « elle est intelligente ! », avec toutefois une pointe de dépit dans la voix : s'il s'agit de combattre la Chose et son emprise, la femme elle est d'ores et déjà parvenue à imposer son autorité à des hommes qui toutefois n'en semblent pas si heureux...
Le film de Carpenter, nous l'avons dit, traitait d'un conflit au sujet du pouvoir entre semblables, des hommes virils à la force toute masculine. Le film de Nyby traitait exactement du même sujet, mais entre deux autres catégories de mâles : le soldat et le scientifique, celui qui a la force et celui qui a la connaissance. Je vous laisse deviner qui parvenait à « vaincre » en 1951... En 2011, la prise du pouvoir par cette femme, scientifique, se fait au motif non de sa force, mais de sa capacité à transformer un rapport de force en rapport de coopération – nous sommes bien passés dans une autre époque : lors de la scène « des dents », équivalente à la scène du test sanguin de 1982, Kate, l'héroïne, contrôle l'ensemble du test, et le partage des membres de la base entre suspects et alliés. Et le premier d'entre ces hommes inquiets à être disculpé est Lars, le seul desNorvégiens à ne pas parler anglais. Ainsi l'allié sur lequel Kate fonde son pouvoir est celui qui lui est le plus dissemblable : le gros et poilu Lars – qui sera tué par les américains au début du Carpenter - qui se lie contre toute attente à cette jeune femme avec laquelle il ne peut pas communiquer : la confiance, motif qui ne va cesser d'être éprouvé tout au long du film, trouve ici l'une de ses expressions. Le film de 2011 n'est pas un film paranoïaque, son sujet est tout autre. Mais quel est-il ? 
 
Le chef de gare: Pour moi il est inexistant. Je ne vois pas de sujet dans le film de 2011, mais plutôt une série de motifs d'origine psychologiques, choisis pour le confort intellectuel et affectif du spectateur. Nous avons le capitaine d'industrie cynique et sans cœur (obligatoire dans l'entertainement post Madoff), les pilotes et techniciens bourrus, mal dégrossis, mais fidèles et courageux, d'où se détache forcément un mâle alpha un peu plus futé et tiré d'une page de Men's Health magazine. D'ailleurs, ce grossissement du trait psychologique entre en contradiction complète avec le film de 1982, et rejoint, effectivement le cinéma tel qu'on le pratique en 1951, et dont les rapports humains, aujourd'hui, ne peuvent guère que provoquer des sourires. Et encore... dans le film de 1951, il y a de la tension sexuelle et des sous-entendus salaces plus piquant que la pauvre blague par laquelle Van Heijningen nous accueille. Ici, la femme n'est jamais envisagée comme un objet sexuel, et même pas, en fait, sexué. Ce qui fait expliquer sa présence par la seule nécessité statistique. On se retrouve au bout du compte, avec le cliché que Carpenter voulait éviter il y a 30 ans. La baroudeuse à la Ripley, qui sort le lance-flamme pour faire le nécessaire quand le moment est venu.

2.C'est pas vrai. Ils ont changé la fin ?

Matthias : Ben non... Le projet, évidemment excitant, est d'essayer d'être raccord le plus possible au film de Carpenter. Donc la fin du film de 2011 doit précéder le début du film de 1982. Et là, on peut dire que Matthijs van Heijningen s'en sort plutôt bien, mais d'une manière relative quant à son œuvre : lorsque en guise de générique final, la pulsation grave de Capenter/Morricone résonne tout à coup, alors que l'hélicoptère parvient à la base norvégienne, quelque chose nous saisit : nous allons assister maintenant au film, au vrai ! Les deux derniers rescapés, au comble de la panique, alors qu'un chien vient de fuir de la base en ruine, se ruent à nouveau dans l'hélicoptère. Les derniers plans sont identiques aux premiers du film de Carpenter, dans un geste à la fois de vanité et de modestie qui dit toute l'ambition du film.
A ce moment-là, l'inquiétude est à sa comble, nous voilà vraiment mûrs pour un film qui s'appelle The Thing...

Le chef de gare: ... Et en même temps, ils ont quand même carrément changé la fin, puisque le film de Van Heijningen se termine comme celui de Carpenter par la confrontation de deux survivants, et le spectateur avec eux, se soupçonnant l'un l'autre d'être une chose. Mais le film de 2011 décide que l'ambiguïté totale de la fin de Carpenter ne sera sans doute pas satisfaisante pour les spectateurs contemporain, et qu'il faut tirer les choses au clair. Sans bavures: Carter est une chose, Kate s'en sort... là on contredit totalement le film de 1982. D'autant plus, on pourra y revenir, qu'il me semble que le film de Carpenter, c'est aussi l'histoire d'une contamination rendue possible par la prolifération de montages parallèles, et que la victoire de la chose à la fin est totale, puisque Mac Ready et Childs décident de rester ensemble, et qu'il n 'y a donc plus de montage alterné possible. Le film de 2011 nous dit le contraire: à la fin, l'humanité à gagné, puisque malgré le raccord avec le début du film de Carpenter, Kate, de son côté rejoint la base des russes, et peut-être, parviendra à mettre la chose en échec. L'inverse de ce que dit la fin, littéralement apocalyptique, du film de 1982.

3.Et ils ont pris qui, pour le refaire ?

Matthias : Un parfait inconnu, Matthijs van Heijningen Jr., apparemment néerlandais – et tout de même il y a quelque chose d'un peu européen dans ce film – et probablement un peu « petits bras » pour imposer sa vision aux producteurs américains. Et l'on sent bien d'ailleurs ce conflit entre une vision qui à mon sens fonctionne dans la première partie du film, lors de l'exploration de la crevasse où repose la soucoupe ou du premier examen de la Chose. Nous ne sommes pas loin de l'économie narrative du film de Nyby, où l'on suppose un vrai mystère – et accessoirement en 2011, où l'on présage de la promesse de découvrir, enfin!, les raisons de cette Chose. Très vite, nous ne verrons finalement qu'un film de monstre parmi d'autres, certes relativement tenu, assez beau plastiquement, mais le programme plus ambitieux de cet affrontement entre un groupe de norvégiens, nouveaux explorateurs rustres et sévères, d'un continent inconnu, un peu à la manière des Vikings d'avant Colomb, et un groupe d'Américains qui finiront par prendre le dessus et affirmer leur hégémonie politique et culturelle, et détruire par là le projet même de collaboration portée par l'héroïne. Ce film, il existe certes en filigrane, mais van Heijningen finit lui-même par être la victime de cette Chose sans cesse évolutive qui s'appelle Hollywood...

Le chef de Gare: C'est clairement un projet de producteurs, ce The Thing 2011. En 1982 aussi, mais Carpenter avait vraiment envie de faire le film, qu'il a d'ailleurs repris des mains de Tobe Hooper après que le succès de The Fog et Halloween l'ai rendu crédible auprès des créanciers d'Hollywood. Carpenter, lui avait depuis longtemps manifesté son interêt pour l'histoire, et le film de Nyby, dont on aperçoit un extrait à la télé dans Halloween ! 
 
4.Franchement, les effets spéciaux ils avaient pas l'air vieux ?
Matthias : C'est bien entendu l'une des attentes du fan du Carpenter que de se demander comment il vont à l'ère du numérique traiter des effets spéciaux qui sont restés mythiques. Essayons d'en dire un mot de ces fameux effets d'animatronique, dont l'aspect baroque contrastaient avec l'univers très classique du film de Carpenter. La Chose est donc un métamorphe, entendez par là qu'elle a la capacité à sa transformer à son gré, en l'occurence en prenant la forme de son hôte, celui qu'elle envahit puis gouverne – encore une question de pouvoir. Cette pouvoir particulier de l'imitation, il n'en est encore nullement question dans le film de Nyby, en 1951. La Chose ressemble à être humain, mais tient au moins autant du végétal, et n'est finalement qu'un monstre parmi d'autres, à l'allure vaguement agressive – entre le Frankenstein incarné par Karloff et un radis géant – tandis que chez Carpenter, l'horreur provoquée par la Chose n'a pas tant à voir avec son côté monstrueux, ça l'Alien de Scott nous a déjà fait le coup trois ans plus tôt, qu'avec son atroce capacité à démultiplier ses formes, à partir de sa copie humaine. Et cette évolution en direct depuis l'Homme, classiquement admis comme le sommet de la chaîne évolutive, vers la bête, mi-insecte, mi-carnassier, c'est tout le programme du film de Carpenter. L'homme, voire le mâle, est voué à se détruire lui-même, incapable qu'il est de dépasser ses contradictions, quand la Chose a la capacité à réagir, à s'adapter à l'avenant : le corps dont elle vient de prendre possession est brûlé, qu'à cela ne tienne : la tête – d'origine humaine – se décroche pour rouler au sol, et de là s'enfuir en mutant en une forme d'araignée qui s'esquive discrètement, à l'insu des personnages, mais non des spectateurs – ce mouvement de la transformation est ce qui provoque l'horreur, dont la technique pré-numérique de l'animatronique n'a jamais si bien portée son nom : l'essence de l'horreur visuelle, c'est son âme, son anima, qui la mets en mouvement, caractère particulier du cinéma. Il est notable à ce sujet que les apparitions et transformations de la Chose sont filmées en pleine lumière, plein cadre, absolument pas dans la pénombre évocatrice typique de films comme Alien ou comme... The Thing version 2011, dont le monstre numérique n'a finalement plus grand chose à voir avec le bestiaire « boschien » du Carpenter, mais beaucoup plus avec les monstres de fantasy, rapides, efficaces, armés de mandibules ou de tentacules acérées – un peu à la manière dont les Zombies depuis 28 jours plus tard ont totalement changés leurs représentations dans le cinéma populaire. Les effets spéciaux du Carpenter ne visait pas cette performance du monstre, mais bien son horreur, qui la rapproche paradoxalement d'une forme de beauté, pour le moins d'une esthétisation du répugnant, et partant de la mort, lorsque MacReady par exemple découvre dans la base l'un des Norvégiens suicidé, et dont le froid environnant a figé l'instant de la mort, dans une sculpture à la fois macabre et néanmoins fascinante – d'autant que l'on ne sait pas encore ce qui s'est passé à ce moment-là. Cette ambiguïté des effets spéciaux du film de Carpenter dit quelque chose de notre rapport à ce cinéma, quand van Heijningen se contente de rattacher son film à une tradition du monstre dans le noir, qui surgit de sa boite comme le diablotin que l'on ne parvient plus à prendre au sérieux.

Le chef de gare: C'est exactement ça: van Heijningen fait un film de monstre. C'est très symptomatique du glissement de beaucoup de films d'horreur, d'ailleurs, vers le film d'action. Ce qui n'est pas dû seulement à un progrès technique permis par l'apparition des effets numériques. Déjà Predator proposait cette hybridation. Dans The thing, il me semble que c'est une perversion profonde du projet de Carpenter. Tu disais justement combien les créatures, avec Carpenter sont aussi belles. Là encore, pardon d'y revenir, je crois que ce n'est pas tant dû à l'aspect des créatures qu'au regard que Carpenter induit envers elles. Par la force des choses- c'est à dire les limites techniques- les créatures possèdent souvent une partie immobile dans le plan,  parfois très majoritairement (à tel point que certains morceaux des créatures étaient fabriqués en fibre de verre) induisant une immobilité de la caméra qui nous met dans un position de contemplateur des créatures. C'est d'ailleurs un peu le ton du film. Il y a ce refus de developper les personnages qui sont quasiment sans personnalité et sans "profondeur", il y a cette caméra de Carpenter qui scrute sans compatir, et peut aller jusqu'à se mettre à hauteur de regard de la créature. il y a ce refus total de sentimentalisme, illustré par trois moments que j'adore. Le premier, c'est l'annonce du délais avant la fin de l'humanité, que Carpenter ose filmer sur un écran d'ordinateur. impossible de faire plus froid. Ensuite c'est Blair qui réagit non pas en devenant triste, mais en devenant fou. Enfin, c'est l'absence totale d'émotion de MacReady quand il tue un humain non infecté par la chose. La musique de Morricone va d'ailleurs dan ce sens, et ne joue jamais la carte de l'effet dissonant appuyé pour souligner l'horreur. On n'en dira pas tant de celle de Beltrami, qui contient aussi de beaux passages, pour le film de van Heinjningen. Il y avait pourtant des compositions de ce genre chez Morricone, qu'on entend sur le disque, mais que Carpenter a écarté. Il y a aussi un orgue d'église, et quand tu parles d'images "boschienne" je crois que c'est tout à fait ça. The Thing est un film apocalyptique. Il y presque une dimension religieuse- tu n'es pas d'accord je crois- qui me rappelle décidément Prince des ténèbres- et on pourrait voir l'arrivée de la créature comme la manifestation de la fin des temps- inévitable, quand on y songe, puisque Blair comprends qu'elle ne peut pas mourir. Je trouve que The Thing, de Carpenter, est un film d'un nihillisme incroyable.

Tu dis que les créatures sont montrées en pleine lumière mais j'ai eu moi l'impression contraire. Elle m'ont semblées souvent dévoilées dans une pénombre qui laisse travailler l'imagination et rend incertain le contour réelle de la chose. Celles du film de 2011, virevoltantes et exposées sous toutes le coutures impliquent un autre regard: cette caméra tremblotante et paniquée, qui ne nous laisse pas tellement d'autre alternative que le point de vue de la proie. Par contre, la plus belle idée du film de van Heisjningen concerne les effets spéciaux. lorsqu'elle pénètre dans le vaisseau, Kate découvre une étrange colonne, dont la fonction restera un mystère, composée de polygones crénelés, semblables aux pixels apparaissant sur les images dont la définition est mauvaise, et qui sont typiques de l'image numérique. Cette image nous fait entrevoir ce qu'aurait pu être la mise en scène du film, sous la caméra d'un cinéaste contemporain de la trempe de Carpenter. Il y a là une grande idée visuelle qui est évidemment aussitôt abandonnée. Tu dis aussi que l'aspect de la créature tranche avec l'esthétique de Carpenter. ça me semble très juste et d'ailleurs, on verra une créature beaucoup plus "Carpenterienne" dans la cuve de Prince des Ténèbres. Je crois que l'aspect de la créature, une fois trouvée l'idée de son pouvoir d'imitation n'avait plus tellement d'importance pour Carpenter, tant le coeur du film est ailleurs, certainement pas dans le surgissement des bestioles. D'ailleurs, les concepteurs du film était dans une impasse, quand à savoir quel forme lui donner, et c'est Rob Bottin qui a eu cet éclair de génie de répondre: "elle va ressembler à n'importe quoi" Et là encore, le film de Van Heisjningen se prend les pieds dans le tapis, puisqu'à la fin, il donne un visage à la créature ! Ce que Carpenter, en fait, avait l'intention de faire avec  un monstre qui aurait intégré, très reconnaissable, le visage de Blair.  

Il est stupéfiant que Carpenter réussisse cette gageure, d'ailleurs, de ne pas amoindrir la force de suggestion du film en montrant les monstres. Pour parler encore une fois de montage-à mon avis la grande qualité de Carpenter portée ici jusqu'à un niveau éboulissant- je crois que la fascination produite par le film réside dans l'absence de raccord entre la créature copiée et la créature copiante. C'est à dire qu'on doit accepter l'idée que la chose peut être un des personnages interprété par un acteur, et dans ce cas sa faculté atteint le mimétisme: la créature imite la voix, le caractère, la façon de parler etc... mais avant, la chose est un magmat caoutchouteux de formes fondues les unes dans les autres. Et il est, en fait, impossible de croire que l'un puisse devenir l'autre, ce qui créer un sentiment assez fascinant, même si le film de Carpenter n'aurait pas été gâché par une métamorphose plus détaillées. Et là, je reconnais au film de van Heisjningen l'intelligence de ne pas avoir cédé à l'envie de le faire.

5.Ça m'a donné envie de revoir l'autre, non ?

Matthias : La vraie réussite du film de Matthijs van Heijningen, comme je l'ai déjà dit, ce sont ses cinq dernières minutes, qui donnent la furieuse envie de reprendre le film de Carpenter là où on vient de le laisser – et ça après tout, c'est peut-être le plus bel hommage qu'il pouvait lui rendre.

Le Chef de Gare: je suis d'accord avec toi, mais je n'en tire pas les mêmes conclusions. Effectivement, quand les plans repris à l'identique de 1982 arrivent, on se dit que quelque chose se passe enfin, et quie le cinéma reprend les rênes. le problème, c'est que ce sont des images de Carpenter, pas de Van Heijningen, et oui, ça donne envie d'enchaîner avec une énième nouvelle vision du film de Carpenter. Ce The Thing 2011 n'a rien de honteux. Face à ce type de produit, il y a deux réactions possibles: soit on accepte les conventions, celle du genre, celles de l'époque, et on consomme ce qu'on nous propose.Pour l'amateur de film de monstre, le buffet est garni, mais pas indigeste. Ou alors on peut aussi rejeter toutes ces conventions, et se désespérer de l'industrialisation d'un genre qui aboutit à des films comme celui-là. Il y a tout ce que j'aime dans The Thing (2011), mais aussi tout ce que je déteste: un sentimentalisme forcé, une valeur ajoutée psychologique à tous personnages, des scènes d'horreur qui deviennent des scènes d'action, un propos consensuel, une volonté affichée, comme pour Zombie/Dawn of the dead/l'armée des morts de gommer tout discours politique du film. Tu évoquais L'invasion des profanateurs de sépulture, Abel Ferrara, un auteur, en avait fait un très beau remake, largement oublié aujourd'hui, qui ne courbait pas l'échine devant les standards de l'époque. Clairement, Van Heijningen n'est pas de cette trempe. Son film n'a absolument rien à dire, et presque rien à raconter. D'ailleurs, son ambition revendiquée, c'était de faire un fil dont les évènements pourraient permettre de faire raccord avec les images que Carpenter filme dans la base détruite des Norvégiens. Pourquoi il y a la hache avec du sang dans le mur, d'où viennent les grenades  etc... On est vraiment dans l'anecdote, et du coup, on aboutit forcément à un film anecdotique. Même si la fabrication technique de son film est très honorable, et possède toutes les qualités formelles que tu évoquais. Je l'ai regardé sans déplaisir, avec une part de mon cerveau qui rejetait totalement le film.



6.Et la scène là, elle y est aussi dans le nouveau ?

Matthias : Il y a évidemment un petit jeu qui peut consister à comparer les scènes « similaires » : la découverte de la soucoupe volante, la scène du tests, les transformations, les scènes de destruction, la fin... Nous avons un peu évoqué déjà ces différentes scènes. Je me contenterais donc de gloser encore un peu sur le projet lui-même, en fonction des modifications qu'il apporte par rapport au film original. Dans les trois films, le comportement des personnages face à la menace me semble être le même : nous sommes en présence de scientifiques, ou de soldats, qui ont pour point commun de ne jamais refuser ce qu'ils ont sous les yeux. Ils sont là pour comprendre et s'adapter, exactement comme la Chose elle-même. Jamais dans ces trois films, il n'est fait référence à une puissance strictement fantastique ou surnaturelle. Si les créatures de Carpenter notamment, mais celles de Matthijs van Heijningen également, peuvent évoquer du Lovecraft, jamais il n'est fait référence à un outre-monde. Ce « rationalisme » du récit est éloquent : nous ne sommes jamais dans un film puritain, où la Chose viendrait punir de quelque faute les pauvres personnages. Cette dimension très rationnelle des différents récits, soulignée dans le Carpenter par l'unique référence à Dieu en forme de remarque ironique de MacReady à l'un de ses camarades - « Trust God » -, nous permet de saisir quelque chose des époques auxquelles ont été tournées ces différentes versions de la même histoire, même si à la version de Nyby, nous pourrions presque préférer le Profanateurs de sépultures de Siegel. Après la menace venue du ciel, mais vaincue par l'armée contre les scientifiques qui voulaient l'examiner – cette opposition du savant contre le soldat deviendra d'ailleurs un motid récurrent du cinéma de science-fiction – après la dislocation de la communauté de l'intérieur que la Chose ne vient que révéler, nous avons droit dans la version de 2011 à un affrontement tout ce qu'il y a de plus pragmatique : les savants de van Heijningen ne se suspectent les uns les autres que lorsqu'ils ont de sérieuses raisons de le faire, le groupe n'est mis en danger que par la volonté tout à fait affirmée d'une Chose à la stratégie délibérément retorse – presque terroriste pourrait-on dire – qui ne finit par triompher qu'en s'expatriant. L'ambition d'offrir au monde un résultat encore inouï est certes battu en brèche, mais les fondamentaux sont sains : à la fin l'ordre règne, la Chose semble vaincue. Il ne nous reste plus qu'à faire à nouveau attention à ce qui vient du ciel, que ce soit une soucoupe volante ou un hélicoptère.

Le Chef de Gare: Watch the skies ! oui, si on se fie à la mise en garde sentencieuse du film assez bonhomme de Nyby. Pour revenir un peu plus précisément à la question, les emprunts de Van Heijningen au film de Carpenter sont si nombreux que le film relève du remake déguisé plutôt que de la prequelle. On retrouve telle quelle, en apparence, la scène de test, dans laquelle il s'agit de débusquer la chose et surtout d'exacerber la tension entre les personnages. C'est une scène essentielle dans le film de Carpenter, c'est un passage obligé pour Van Heijningen. Chez Carpenter, la scène est le basculement du film, d'un point de vue thématique. Pour moi, The Thing (1982) c'est l'histoire d'un changement de point de vue. Ceux que l'on peut regarder comme des semblables deviennent des objets indéterminables. Et dans le film, littéralement, le monstre c'est quelque chose qu'on ne sait pas comment regarder, ce qui se traduit par cette idée de prolifération des formes, la créature pouvant être chez Carpenter, tout à la fois. Voilà ce qu'accomplit de plus monstrueux la chose: nous rendre incapable de savoir si ce qu'on regarde existe ou pas. En somme, anéantir l'altérité. C'est d'ailleurs la nature de la chose: la destruction de la communauté n'est qu'une conséquence de son pouvoir d'indistinction des choses. Et je reconnais là un trait typique de Carpenter, l'individualiste forcené. il se passe en quelque sorte le même phénomène dans Prince des Ténèbres, qui est presque un remake (déjà !) à petit budget de The Thing.
La mise en scène de ce passage du test est révélateur des différences entre les deux films. Carpenter construit la scène admirablement. Ces cadrages sont nets, tenus, et quand il insère les portraits des personnages, filmés en légère plongée, accusatrice (de quoi ? D'être encore humain ou de ne peut-être plus l'être ?) Et ensuite, quand la créature se découvre, la caméra ne bouge pas, ce sont les personnages qui s'affollent. Chez Van Heijningen, la caméra tremblotte tout le temps, et ça change tout. C'est un point de vue qui cherche à forcer l'empathie avec les personnages, en nous mettant d'emblée du côté de l'humanité. C'est une caméra un peu compatissante, qui semble émue par la situation. Bien sûr, ce n'est pas un vrai choix du réalisateur, c'est un choix dans l'air du temps. Mais c'est d'autant plus signifiant, sans doute. On pourrait se faire une reflexion similaire à ce qu'on constate en musique: on va cherche aujourd'hui à fabriquer un son sale et "vivant" alors qu'il y a 30 ans c'est ce qu'on évitait. Carpenter, pour moi, c'est aussi la recontre avec Dean Cundey, son chef opérateur, et l'emploi de la steady cam, qui permet le déplacement de l'opérateur aux cotés des comédiens, mais sans donner l'impression que la caméra est confiée à l'un d'eux. Il est passionnant de voir a quel point une image tremblée, comme si la caméra était maladroitement tenue, par quelqu'un qui ne serait pas un technicien, mais un acteur de l'histoire, est devenu la norme de la mise en scène américaine- jusqu'aux films d'animation ! C'est un point de vue étranger à celui de Carpenter. Et je trouve que la mise en scène du test sanguin, mais aussi de tout le film est certainement un des moments ou l'instinct de réalisateur de Carpenter est transcendée par la rencontre avec son sujet. Autre passage extraordinaire chez Carpenter, absent chez Van Heijningenn ces plans mettant en scène le chien. Chez Carpenter, ils sont filmé à sa hauteur. nous sommes presque de son point de vue. Il y a une image magnifique, à un moment: le chien s'avance, et juste derrière le profil de son museau, il y a un profil d'homme, mais en ombre. avec cette image, Carpenter révèle, pour moi, qu'en fait, il filme du point de vue de la chose. je trouve qu'au bout du compte, son film raconte l'opposé de celui de Van Heijningen, qui rejoint Nyby, et va même plus loin.  Tu as raison de donner de l'importance à l'adjonction du personnage féminin, puisque dans le film de 2011, c'est elle qui sauve l'humanité !

7.Alors c'est lequel que tu préfères ?

Matthias : Le chef d'oeuvre de ces trois films est évidemment celui de Carpenter, même si je n'ai pas envie de détester celui de van Heijningen. Il y a dans ce film une ambition contrariée me semble-t-il, qui rejoint bien le propos même du film. Cette blague « incestueuse » en guise d'ouverture raconte un peu tout. Sur un mode que l'on peut déplorer – encore ce foutu second degré – quelque chose d'essentiel est dit : le projet même de faire un remake sous forme de prequel est forcément incestueux, de la même manière que cet Chose dont la ressemblance avec nous a pour corolaire notre destruction, dit quelque chose de la vanité à vouloir toujours faire mieux, à toujours vouloir être aller plus haut, plus loin, plus fort. Si le film de Carpenter est aussi une longue réflexion sur l'impasse de la volonté de pouvoir, le film de van Heijningen dit quelque chose de l'impasse d'un monde qui voudrait s'en passer. Peut-être dans ce cas ne sommes-nous condamnés qu'à répliquer éternellement des figures qui n'ont plus ni consistance, ni enjeux – des figures dégénérées, débiles, impuissantes, qui ne laissent que le souvenir de leur lointains aïeux.


Le chef de gare: Je t'avouerai que le film de van Heijningen me semble dire surtout des choses sur l'état du cinéma hollywoodien. Le reste est tellement générique, où directement greffé du film de Carpenter que je n'arrive pas à voir un vrai propos dans le film de 2011. Tu as raison quand à l’ambiguïté du projet. Il s'agit exactement comme pour Alice in Wonderland, de proposer "la même chose, mais pas pareil" !, c'est à dire des suites ou des préquelles (de la nouveauté donc)  qui sont en fait des remakes déguisés (les scènes marquantes, les personnages restés en mémoire, les maquillages célèbres, voir certaines répliques des films d'origine sont ramenés) et qui parfois porte exactement le titre de l'original. Le ver est dans le fruit dès le début, en plus, dans le cas de The Thing. Quand on a vu le film de Carpenter, on comprend très bien, à postériori ce qui s'est passé dans la base Norvégienne: exactement la même chose que dans la base américaine. Ce que le film de van Heijingen confirme... Je ne te surprendrais pas en te disant combien je déteste l'idée d'un film qui se construit en allant planter ses caméras dans le hors-champ de l'autre. Ridley Scott, avec la même commande, s'en est sorti avec une tout autre classe. D'ailleurs je ne vois pas d'ambition dans le film de 2011, qu'elle soit contrariée ou pas. L'idée de départ, raconter les évènements de la base norvégienne, où en dire plus sur les origines de la chose, n'a pas de sens. Dans le film de Carpenter, le monstre est accessoire. Ce qui est important, c'est ce qui va arriver à ce groupe d'hommes là, et comment petit à petit, il vont devenir incapable de se regarder, c'est à dire de se distinguer les uns des autres. Le film traduit d'ailleurs plastiquement ce projet, d'une façon magnifique, en faisant progressivement disparaître les personnages sur le décor enneigé, blanc sur blanc. Ce n'est pas un film sur des mecs en anorak qui essaient d'empêcher une bestiole lovecraftienne véloce de se carapater ! Le film de Carpenter est un chef d'oeuvre du cinéma fantastique. Le film de Nyby une curiosité dont le seul interêt aujourd'hui me semble historique. Le film de Van heisjningen est un accident industriel.

8.Et ils pensaient que ça allaient marcher ?

Matthias : J'en sais rien ! Et puis, j'm'en fous.

Le chef de gare : j'te le dis quand même : nan, ça a pas marché.

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