mardi 23 octobre 2012

Revoir 1982 (23/31): Star Suburb, la banlieue des étoiles

LE CROISEUR DE L'OUBLIE
Star Suburb- la banlieue des étoiles- Stephane Drouot- 1982- France

 A l'aube des années 80, en France, un frisson passe. Un frisson descendu de l'espace, qui soulève l'échine de tous les accros de S.F de l'hexagone. Quelques courts-métrages, un long du jeune Luc Besson, les films de René Laloux... La science-fiction française est-elle en passe d'enfin devenir un genre populaire auprès du public et des producteurs ?


Beaucoup l'espèrent. On a déjà évoqué ici l'influence de la revue Metal Hurlant, qui est alors le paratonnerre des orages qui se lèvent dans la tête et sous les pinceaux de dessinateurs revenus de l'espace. Accueillis pas Dionnet et manœuvre, ils vont développer une vision de la SF qui, si elle s'abreuve comme partout au succès de Star Wars n'en demeure pas moins autrement plus libre et folle. De la folie qui transpire des pages de Druillet et Moebius, pères fondateurs dont l'inconscient a été rejeté par la revue Pilote et vient habiter dès le premier numéro les pages de Metal. L'un comme l'autre ne doivent rien à Georges Lucas. Pourtant, la SF, circa 1982, c'est bien sûr La guerre des étoiles et L'Empire contre-attaque, dont le succès est inégalé, et la formule émulée partout, avec plus ou moins de fidélité et de précision. Cette année là, un anglais n'en fait qu'à sa tête, et tourne avec Harrison Ford comme s'il ne s'était jamais rien passé dans un galaxie lointaine, très lointaine, où il a pourtant pêché sa vedette. Ridley Scott, lucide, le regrettera, et y verra une des raisons de l'insuccès de Blade Runner. Le réalisateur sera d'ailleurs un des premiers à puiser dans le vivier des Humanoïdes associés, en demandant quelques recherches graphiques à Moebius pour Alien, puis en reconnaissant l'influence de ses planches de The long Tomorrow, mettant en scène un privé du futur et paru dans le journal sous la plume de Dan O'Bannon (scénariste de... Alien !). Pour le grand public, il semble déjà impossible d'accepter qu'Han Solo puisse être autre chose qu'une silhouette sympathique de contrebandier de l'espace vaguement canaille. Si Scott ne parvient pas à imposer une image de la SF divergente du canon de Lucas, imaginez les autres.



animatique vidéo (projet de Minje Chung, étudiante) à partir de la bande-dessinée
de Moëbius et O'Bannon.
                                       
Justement, ils imaginent les autres. Ils rêvent pas mal, beaucoup sur le papier, presque jamais sur grand écran. Les italiens, avec trois bouts de ficelle et un érotisme absent de la galaxie lointaine, ont produit Star Crash, qui ramène Star Wars à son origine, le Flash Gordon de la Universal. On pourrait dire d'ailleurs que les films produits par Georges Lucas ne sont pas grand chose de plus qu'une nouvelle version du serial avec Buster Crabbe revu par le génial art director Ralph Mc Quarrie...et une petite pointe de Mézières, peut-être ?



Mézières à propos des emprunts de La guerre des étoiles.

L'inventeur de Valérian, avec Pierre Christin, est un souvent considéré comme une des grandes influences de Lucas. Quoiqu'il en soit, la rumeur persistante et entretenue par les créateurs eux-même du pillage par l'inventeur de La guerre des étoiles d'une bande-dessinée français de 10 ans antérieure est un des symboles les plus parlants d'un sentiment d'injustice quand à la reconnaissance d'une science-fiction qui pourtant, semble avoir apporté du sang neuf à un genre dont les standards repris par Lucas sont vieux de 40 ans. Sentiment sans doute d'autant plus fort que pour les créateurs publiant dans Metal Hurlant, le cinéma continuent à poser des lapins. Innombrables sont les rendez-vous manqués. Même si, rétrospectivement, il faut réévaluer certaines productions, pour les auteurs, à l'époque, le sentiment que le chemin des salles obscures est maudit domine : du Dune avorté de Jodorowsky et Moebius, au montage financier de Gandahar, que René Laloux abondonne, en passant par un dessin animé de long-métrage américain portant le titre de la revue mais artistiquement consternant et n'impliquant pas les français les expériences, quand elles ont lieu, sont loin d'être à la hauteur du talent visible sur le papier.



Le parcours de Stéphane Drouot, d'une certaine façon est peut-être une image parfaite et terrible de ces difficultés et de la relation compliquée de la scène française avec le cinéma américain de l'époque. Pendant 5 ans, dans son propre appartement, Drouot filme Star Suburb, finalement proposé au public en 1982. S'il bénéficie du soutien du producteur Ulysse Laugier, le jeune cinéaste doit tout de même travailler dans des conditions matérielles proches de l'abandon. Et c'est, tout symboliquement, littéralement, Star Wars qui fait rêver Star Suburb. Mais à la guerre du titre américain, le titre français substitue la banlieue. Une substitution qui cristallise ce qui sépare cette SF à la Métal Hurlant du modèle Space Opera.

  
Dans une banlieue spatiale qui paraît sans fin, une jeune fille, Mireille, rêve à un univers jumeau de Star Wars, et se verrait bien en Princesse Leia. Tourné dans un scope très large, le film pervertit l'usage habituel du format, destiné au spectaculaire et au grandiose pour au contraire insister sur l'enfermement et le banal. L'espace est cher, pour les producteurs, mais aussi pour les habitants de la banlieue de étoiles. Entassés dans un appartements, ils doivent se tortiller autour de la table pliante de la cuisine pour pouvoir jeter un regard par la fenêtre. Un univers qui a tout de la prison, filmé en noir et blanc, complètement contemporain de celui de Blade Runner. Les mêmes vaisseaux publicitaires géants sillonnent les allées entre les barres d'habitations et vendent du rêve. Un jeu radiophonique est proposé à Mireille- lui donnant immédiatement l'impression d'être l'élue de quelque divinité à la marque déposée. Un situation qui rappelle celle de Julie Christie, déjà banlieusarde désespérée du futur dans le Farenheit 451 de Truffaut. Farenheit 451, un des ancêtres de cette SF des années 70 que Drouot n'a pas oublié. Quelques passages à la couleur, très subtils, symbolisent les moments ou Mireille est traversée par l'espoir d'échapper à son aliénation. Le jeu avec la voix de l'animateur radio, et du vaisseau spatial l'abritant- limité à une maquette- repose sur un hors-champ dicté par l'économie mais servant le propos du film. Le travail sur le son est d'ailleurs remarquable.


Il est toujours facile de comparer un film et son contexte de production, ou avec lavie de son auteur. Mais dans le cas de Star Suburb, c'est tellement signifiant, qu'il est difficile d'écarter par principe cette lecture. Cette jeune fille coincée dans un décor exigu, qui rêve de Star Wars c'est autant l'image du cinéaste français aspirant à la réalisation d'un film de science-fiction, que celle de Stéphane Drouot lui-même, qui hélas, ne sortira jamais de la prison de sa psyché, puis de sa maladie.



Décédé cette année, séropositif, personnage apparemment complexe, mais auquel beaucoup semblaient attachés- parmi lesquels Lucile Hadzihalilovic et Gaspar Noé (qui lui ménage une apparition dans Irréversible) Stéphane Drouot ne parviendra jamais à faire financer le long métrage qu'il rêvait de faire. Les propositions qui lui sont faites ne l’intéressent pas, et il s'enferme de plus en plus, jusqu'à une disparition qu'aucun média ne relie, hormis quelques blogs amateur, dont le notre. L'année où Star Suburb est terminé, Luc Besson voit la sortie au cinéma de son premier long-métrage, Le dernier Combat. Fan de S.F, Besson fait partie des auteurs de cette génération qui réussiront à percer et prospérer au cinéma. Mais il ne reviendra à la SF que bien plus tard, en partie pour rendre justice à la SF à la française des années 80. Il embauche entre autres Mézières, Moebius, Vatine, pour aboutir au désastre artistique du Cinquième Élément. Récemment, en tant que producteur, Besson est reparti dans l'espace en finançant et en écrivant Lock Out. Issu lui aussi des pages de Metal, Marc Caro se souvient avec une juste nostalgie de cette époque.



En remplacement de notre précédente vidéo, maintenant disparue dans l'enfer de la toile, cette entretien avec Caro dans lequel il mentionne Metal Hurlant, et revient sur la santé des productions de science-fiction en France.

Il a connu de beaux aboutissements dans les années 90 avec Jean Pierre Jeunet, avant de tenter le voyage en Amérique à ses côtés pour Alien Résurrection, tentative intéressante et ratée inversant le mouvement habituel : cette fois ce sont les canons américains qu'il faut adapter à l'esthétique marquée des auteurs français. Le duo qui s'est rencontré en 1974 a été l'auteur, en 1981, d'un court métrage marquant, Le bunker de la dernière rafale, en noir et blanc (comme Le dernier combat et Star Suburb), déploie une esthétique à l'opposé du clinquant du Soap Opera hollywoodien. On y fait la guerre sous terre, sans trop savoir pourquoi, au rythme d'une musique sourde bien loin des fanfares à la Williams. Caro continuera sa route seul, travaillant à différents postes artistiques sur différents films, clips, courts-métrages. Il parviendra finalement à tourner un long-métrage de SF bien dans l'esprit Metal, Dante 01 (2008). Moebius disparaitra avant d'avoir pû mener à terme son projet d'adaptation d'Arzach, et sur un dernier rendez-vous raté, Thru the Moebius strip (2005). La dernière participation de Druillet à une production audiovisuelle est sa direction artistique pour la version télévisée des Rois Maudits. Il aura été lui aussi à l'origine d'une série animée à demi satisfaisante, édulcorant son univers à destination des enfants, Bleu L'enfant de la terre (1986). Successeurs de cette génération, des cinéastes comme Philippe Leclerc (Les enfants de la pluie, 2003), Christian Delaporte (Kaena, 2003), Franck Vestiel (Eden Log, 2007), Christian Volckman (Renaissance, 2006), Antoine Charreyron (The prodigies, 2011) ou Xavier Gens (The divide, 2011) poursuivent la route, souvent fragile, d'une science-fiction imaginative mais s'éloignant de l'infantilisme du genre à l'américaine. On aimerait voir aussi, un film de SF signé de Jan Kounen, évident héritier de l'esprit des Humanos, accompagné de ses complices chroniques Stan et Vince, d'ailleurs auteurs d'un court métrage au titre sans ambiguité, Metal Brutal


Pour tous ces films, les succès publics sont rarissimes, et les expériences demeurent souvent orphelines. Malgré cela, il y plus de films entrepris qu'il y a trente ans, et le titre Metal Hurlant, vient d'être donné à une série TV anthologique ambitieuse. Stéphane Drouot fit partie des maudits de cette histoire de la SF cinématographique française. Qu'il ne fasse pas partie des oubliés.


Stéphane Drouot filmé par Gaspar Noé. Un plan fixe bouleversant.

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