Wolfen, Michael Raleigh, Etat-Unis, 1981.
Quand j'ai découvert avec le même
appétit le cinéma de genre et la littérature qui lui est consacrée, Wolfen
était un petit classique, un de ces films qu'il fallait avoir vu si on voulait
prétendre sérieusement en "être".
Et puis les années passant, et le
nombre de productions s'allongeant, Wolfen
a lentement sombré dans l'oubli, et il n'a certainement plus, aujourd'hui
l'aura d'autres grands films du début des années 80.
Pout tout dire, j'aurai, pour le
voir, attendu jusqu'à ce que le hasard de notre entreprise cinéphilico-ludique
me designe un film a commenter commençant par la lettre W. On est bien peu de
choses...
L'ouverture de Wolfen est remarquable, et pleine de la
promesses.
En quelques plans, Michael
Raleigh installe une atmosphère prenante, avec une grande économie de moyens et
parvient à doubler son beau moment atmosphérique d'une esquisse thématique
immédiatement excitante.
La caméra aborde New-York, au
début des années 80. Rapidement, des immeubles en ruine sont énumérés, des
individus en guenilles passent dans le
cadre, mais reste au second plan de l'image. Déjà, on ne sait plus très bien à
quelle époque se déroule l'action: sommes-nous dans un récit post-apocalyptique
?
Une grue abat un immeuble: nous
assistons donc simplement à une étape d'un chantier de démolition, mais malgré
tout l'atmosphère de fin du monde ne s'évapore pas tout à fait. On regarde de
plus près ces homeless: des noirs,
des indiens surtout, qui nous sont détaillés. On a l'impression de regarder un
portrait de ceux sur qui les blancs ont bâti l'Amérique. Raleigh nous le
confirme au plan suivant: encore un immeuble qui s'écroule pour révéler... une
église à contre-jour. La lumière est indécise: petit jour, ou début de
crépuscule: s'agira-t-il de nous raconter les derniers feux d'une Amérique exsangue
revenue à ses tensions premières, ou du récit d'une refondation ?
La première scène s'inscrit dans
la thématique admirablement posée: Christopher van der Veer, un des puissants
de la ville (on découvrira plus tard dans quel domaine), à la veille de signer
pour un grand projet, va rendre un hommage nocturne- et arrosé- à un de ses
ancêtres, justement un des fondateurs de la ville, à qui un monument est érigé
dans un parc.
C'est au cour de cette scène,
conclue par l'assassinat sauvage de van der Veer et son épouse, que se manifeste pour la première fois ce qui
a fait la réputation de Wolfen: ses
prises de vue subjectives solarisées, nous plaçant du point de vue de la Bête,
qu'on suppose tout de suite être un loup, si on est un poil anglophone. Disons
que le film se prend un peu les pieds dans le tapis: la première partie du film.
On invite le spectateur à faire semblant de ne pas savoir que la créature est
un loup, afin de suivre l'enquête qui va révéler, au grand étonnement des
personnages, que la créature... est un loup ! Mieux vaut, si on veut vraiment
surprendre, ne pas baptiser son film Wolfen.
Le genre de pacte que peut propose un film et qui est peut-être un peu difficile
à accepter parfois.
L'apparition du loup fait
basculer le film dans un nouveau registre donc, celui de l'enquête policière à
mi-chemin du giallo et du film de
possession, car assez rapidement, on soupçonne la créature d'être démoniaque,
d'autant plus que les stigmates laissés par ses attaques sur ses victimes sont
difficiles à expliquer rationnellement. La bête semble en effet n'attaquer que les
organes malades ou nécrosés de ses proies.
Si la narration de Wolfen emprunte, passée sa formidable
ouverture des rails plus conventionnels, son traitement visuel reste
passionnant. Si on se lasse vite de la caméra solarisée baladeuse et
remarquablement souple (les grandes heures de la steady cam commencent) très
répétitive, on appréciera par contre le montage particulièrement nerveux et dynamique
des scènes de meurtre ponctuées d'effets sanglants judicieusement brefs, des
audaces assez folles, comme cette scène où un Olmos bien allumé et complètement
à poil poursuit Albert Finney en jappant comme un loup !
Il y aussi la photo très fine,
nous donnant l'impression que quand le récit ne se déroule pas de nuit, c'est
au crépuscule ou au petit jour- entre chien et loup, littéralement ! Décidément, c'est l'atmosphère qui est la grande réussite du film.
Le scénario, en son milieu, en semant toutes les pistes possibles pour expliquer les meurtres, ne démérite pas: on évoque des éco-terroristes avant l'heure, un animal dressé pour tuer, un maniaque, ou des indiens revanchards...et lycanthropes. C'est évidemment cette piste qui s'avère la plus riche, d'autant qu'elle réactive celle, bien plus intéressante que l'enquête policière, d'une relecture poétique et fantastique des premières heures des pionniers.
Le scénario, en son milieu, en semant toutes les pistes possibles pour expliquer les meurtres, ne démérite pas: on évoque des éco-terroristes avant l'heure, un animal dressé pour tuer, un maniaque, ou des indiens revanchards...et lycanthropes. C'est évidemment cette piste qui s'avère la plus riche, d'autant qu'elle réactive celle, bien plus intéressante que l'enquête policière, d'une relecture poétique et fantastique des premières heures des pionniers.
Parmi les indiens, révélés petit
à petit au fil du récit, Raleigh s'attarde sur le portrait d'Eddie Holt, joué
par un jeune et charismatique E.J Olmos, ancien détenu devenu ouvrier constructeur
de gratte-ciel. La visite du policier sur les sommets du chantier où il veut
interroger Holt est l'occasion d'une phrase mémorable du contre-maître:
"Il n'y a que les indiens qui montent si haut, ce sont les seuls à pouvoir
construire nos immeubles"... tout est dit, et guère besoin d'appuyer plus
le propos.
Raleigh va pourtant s'employer à
le faire, avec une naïveté dont le seul mérite sera de nous rappeler pourquoi
le réalisateur du film Woodstock
(c'est lui !) est bien celui de ce Wolfen.
Car les loups- c'est toute une
bande- sont un peu les esprits de la nature, et ils assassinent tous ceux qui
participent à la croissance incontrôlée des grandes villes- on apprendra
d'ailleurs qu'ils attaquent dans d'autres métropoles que New-York. Il suffira
que le policier joué par Albert Finney détruise à grand renfort de ralentis, la
maquette du projet urbain monumental de van der Veer sous les yeux des loups
pour que ceux-ci retournent à leurs limbes, l'âme en paix.
Le rôle de Finney, celui,
indispensable, de vecteur d'identification pour le spectateur, est aussi inintéressant
que la romance avec sa collègue que Raleigh laisse parasiter le récit. A
l'image de cette sous-intrigue inutile (sauf commercialement ?) Wolfen est un film bancal, aux images
pourtant superbes et souvent étonnantes, empruntes d'une vraie poésie urbaine. Ses
ambitions certaines se diluent dans un mélange de récit policier conventionnel
et de discours écologiste terre à terre et bêta. Si le film demeure une vraie
curiosité à découvrir, on lui préfèrera largement, en matière de loups géants incarnant
les forces telluriques, celui de Joe Carnahan dans le magnifique The Grey.
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