Pet semetary (Simetierre), Mary Lambert, 1989, USA
Si comme nous le racontait hier le Chef de gare, la Science-fiction reste un genre relativement peu populaire auprès du « grand public » - mais quel est-il ce grand public ? – on peut douter qu’il en aille de même pour le cinéma d’horreur. Et il s’agit bien de douter : d’un côté nous ne pouvons que constater le réel déferlement de ce cinéma, pourtant à l’origine marginal, sur les écrans les plus en vus depuis les années 70, mais d’un autre côté, nous ne pouvons que nous interroger sur la réalité de ce cinéma le plus souvent « replié » sur d’autres genres, depuis le film d’action, comme nous l’écrivions à propos de Night watch, le thriller ou même la comédie. La morbide pulsion voyeuriste à l’origine du genre s’est très largement débarrassée de son mauvais esprit au profit du seul divertissement à sensation forte, présent néanmoins dès l’origine, notamment littéraire, du genre. L’équilibre entre cette appétence pour l’abject, ou l’obscène pour reprendre un terme déjà utilisé, et le souhait d’amusement, s’est franchement rompu durant les années 80 et 90 au profit du seul divertissement. D’une certaine façon, en se banalisant, le genre de l’horreur est devenu acceptable, peu importe ce qu’il montre, pourvu que cela soit moralement « toléré » par un dénouement qui permette de sauvegarder les apparences. Ainsi en va-t-il d’une série comme Saw, qui assume de nous présenter comme un amusement sensationnel une succession de scènes de tortures, mais dont le dénouement, par sa « palinodie » toute cinématographique – « mon Dieu, que c’est mal, ce que l’on vient de voir ! » - permet de présenter ce film à un public dont on se demande de plus en plus s’il regarde même ce qu’on lui présente… L’horreur, la vraie, celle qui s’impose et oblige à regarder, est quant à elle retournée à son ghetto, celui d’une marge dans laquelle surnage par exemple un Frank Hennelotter, mais aussi un Clive Barker aujourd’hui – ou pour la France un Laugier qui doit se sentir bien seul… Bien entendu, la plupart de ces authentiques films d’horreur sont très mauvais, et le plus souvent très pauvres, sur tous les plans, mais cela ne doit pas non plus tromper sur l’autre cinéma, le plus riche, dont la production est en proportion au moins tout autant mauvaise. On retrouve là ce fameux rapport qualité/prix qui est aussi l’un des critères du genre.
La popularisation de l’horreur a débuté à la fin des années 70 avec quelques grands films, dont au moins deux d’entre eux, Carrie au bal du diable de Brian de Palma, et Shining de Stanley Kubrick étaient des adaptations d’un encore jeune auteur dont la renommée allait très vite envahir Hollywood, Stephen King. J’avais rapidement évoqué le cas King la saison passée, lors de ma chronique sur Creepshow, et je n’y reviendrai pas ici, sinon pour souligner que ce Pet Semetary dont il question aujourd’hui, fut la première adaptation pour l’écran, sept après sa parution, de l’un de ses romans par King lui-même, scénariste du film. Pour ceux qui n’auraient pas lu le livre, voici l’argument très brièvement exposé : dans la campagne de Nouvelle-Angleterre, un jeune couple et ses deux enfants emménagent dans une grande maison située à proximité d’un cimetière pour animaux, principalement entretenus par les enfants du coin. Mais derrière ce premier cimetière s’en trouve un second, invisible et presqu’inaccessible, où les indiens Micmacs enterraient leurs morts, qui alors, revenaient à la vie… Bien entendu, vous l’aurez compris, il y a des morts qui vont se relever, et qui ne seront pas contents !
Autant le dire tout de suite, le roman de King, tout en étant typique de ce moment où se popularise l’horreur et le Fantastique, et éventuellement agaçant par certains tics très américains, est vraiment effrayant. L’angoisse, puis l’épouvante y sont distillées par petites touches d’abord, dans cet environnement très domestique si caractéristique de King. L’identification aux personnages fonctionne parfaitement, l’usage important du récit psychologique y participe, et lorsque l’horreur survient, certes on l’attend, mais néanmoins la terreur est au rendez-vous. Je ne suis pas un grand fan de King, mais ce Simetierre est un épatant ouvrage d’épouvante dont les « images » et sensations restent longtemps gravées dans la mémoire. Il n’en va pas tout à fait de même de son adaptation au cinéma…
Tout se passe comme si King, en auteur intransigeant, s’était arrangé pour torpiller cette transposition à l’écran, et faire oublier les réussites mentionnées ci-dessus. Je ne vois pas d’autre explication que ce désir – éventuellement inconscient – d’affirmer sa paternité sur cette œuvre : non, Simetierre n’est pas un film, on lui a déjà fait le coup avec Shining et Carrie, c’est un roman, d’abord, avant tout et peut-être exclusivement ! Si cette explication n’est pas valable – et je doute tout de même qu’elle le soit…- alors il y a quelque chose que je ne comprends pas chez King… Comment trahir à ce point son propre travail ? Tout ce qui fabriquait la peur dans son roman est totalement absent de ce film, qui ne semble exister que pour réduire à quelques images à peine soignée les visions littéraires de l’ouvrage d’origine.
Le film s’ouvre pourtant par un plan séquence relativement poétique sur ce fameux cimetière d’animaux, dont les tombes maladroites ont été visiblement réalisées par les enfants propriétaires des animaux domestique enterrés ici. Un chœur d’enfants illustre musicalement la scène au cas où l’on n’aurait pas bien compris. Et pourtant, dans ce générique quelque chose du roman passe : l’enfance est là, bien qu’absente, tout autant que la mort, pourtant elle aussi invisible. Quelque chose de ce mystère propre au fantastique fonctionne, assez poétique et assez cruel, presque « burtonien » pourrait-on dire, et l’on espère que tout le film tiendra ce niveau.
Et bien, non. Très vite, une grammaire strictement télévisuelle s’impose à l’écran. Plans rapprochés, champs/contrechamps, éclairages fonctionnels, etc. L’un des rares plans d’ensemble du film sera celui de l’autre cimetière, celui des Micmacs, composé de larges cercles concentriques. Une idée visuelle relativement impressionnante, mais de là à considérer que cela rattrape le reste… Ce film est foncièrement laid, mais encore très peu intelligible pour qui n’a pas lu le roman. Alors, certes tout y est : le joggeur mort d’un accident de la route et qui visite régulièrement le personnage principal, le chat noir revenu à la vie – décidément les chats noirs…-, le mort-vivant, la sœur monstrueuse, l’enfant tueur… Pour ceux qui n’auraient pas lu le roman, cette énumération doit paraître bien obscure et éventuellement engageante. N’en croyez rien, le talent de Mary Lambert, la réalisatrice – je n’ose dire la metteur en scène – de ce ratage, consistant à justement dépouiller de son éventuel halo de mystère chacune des séquences du film. C’est sûr, tout cela est très direct, il n’y a pas de fioriture, contrairement au roman qui « psychologise » à longueur de page. Mais en même temps, il n’y a plus aucun enjeu : Lambert enfile les perles que lui tend King… Pour l’angoisse, il faudra repasser. Bien sûr, il y a toujours moyen de faire entrer brutalement quelque chose ou quelqu’un dans le champ, de manière à faire sursauter le spectateur, et à ce titre, le chat est assez rentable avec pas moins de 5 occurrences de « coucou, c’est moi » brutal… Il faut bien aussi soigner un peu les maquillages, et de ce point de vue, ce n’est pas si mal réussi, notamment pour Zelda, la sœur malade et monstrueuse de l’héroïne. Mais à aucun moment, l’on n’a peur, ce qui pour le moins pose quelques soucis pour un film prétendument d’épouvante. Tout est fonctionnel. Lorsque Louis, le père, terrassé de chagrin par la perte brutale de son fils, décide d’aller déposer le corps du garçon dans le cimetière Micmac, il est assailli en pleine forêt par des visions dantesques, dont le roman m’avait laissé un souvenir d’angoisse absolue, ne sachant jamais si ce qu’il voit existe ou non. « Ce n’est que mon imagination », déclare cette fois le personnage, et c’est précisément ce qui pose problème, puisque ces visions, nous les avons nous aussi vues, et que jamais l’équivocité de ce point de vue ne sera posée. Ce que l’on voit est ce que l’on voit, point. Il n’y a pas de hors champs. Mais loin de fabriquer une horreur viscérale, cet effet de réduction à une image ne fait qu’appauvrir la force symbolique du roman. Ce n’est peut-être que son imagination, à Louis ou à Lambert, mais celle-ci est bien pauvre, et ne parvient jamais à nous inquiéter.
Lorsque dans sa dernière partie, le film tourne au slasher avec le jeune garçon revenu d’entre les morts en guise de croque-mitaine, jamais nous ne parvenons à être mal à l’aise de voir un enfant de deux ans torturer son monde avec une lame de rasoir. Ce sujet de l’enfance cruelle, qui se confronte pour la première fois à la mort dans toute sa violence, motif qui devrait être récurrent tout au long du film jusqu’à cet affrontement final, n’est que l’ingrédient supplémentaire d’un mille-feuille fantastique qui échoue à aborder chacune de ses parties. Lorsque la main de Gage, le petit garçon, sort de terre pour venir se venger des vivants, le ridicule est même atteint : Lambert parvient à filmer ce petit poing comme elle le ferait de n’importe quel mort-vivant en voie de décomposition de série B, et elle signe avec cette seule image toute la faillite de son film.
L’épilogue du film dit aussi tout de sa différence avec le traitement du récit dans le roman. Si Louis a échoué à faire « revenir » son fils, il veut désormais réussir avec sa femme, assassiné par le jeune garçon. Celle-ci lors de son retour à la maison depuis le cimetière Micmac, lui pose la main sur l’épaule, invisible à son regard et lui dit simplement « Mon chéri ». Le roman s’achève sur cette note en suspens, terrifiante et sinistre : l’histoire n’est pas finie, elle ne pourra jamais finir. Le film quant à lui choisit son camp et résous toute ambigüité : l’histoire se poursuit sur quelques instants, la femme de Louis saisit un couteau et une trainée de sang gicle sur la table. Le générique démarre aussitôt sur du hard rock de bas niveau. Tout est dit, tout est en ordre, rien ne nous a échappé, nous pouvons quitter la salle tranquillement. Et oublier ce film dans la minute, tirez la chasse ! Et pourtant ce Pet Simetierre a connu un succès probablement lui-même inattendu – et franchement incompréhensible. On ne saura pas si King s’en est finalement réjoui ou non…
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