83- Innerspace
(L'aventure intérieure), Joe Dante, 1987, Etats-Unis.
L'aventure Intérieure
n'est certainement pas le premier film auquel on pense lorsqu'on se repasse en
revue la filmographie de Joe Dante. Et il s'agit sans aucun doute d'un opus
assez mineur, et pourtant, c'est toute une époque, ou plutôt sa fin que symbolise
L'Aventure Intérieure, au même titre
que Gremlins 2, et quelques autres
long-métrages tournés par d'autres au seuil
des années 90, qu'ils semblent aborder le dos tourné, le regard encore
rivé sur ces années 80 dont on mouline plus que jamais la nostalgie, et dont
pourtant on ne revient pas de la brièveté quand on songe qu'en 87, tout était
déjà dit, et qu'avec Abyss, puis Terminator 2, James Cameron allait
précipiter le cinéma fantastique à grand spectacle dans une ère numérique dont
nous voyons toujours les derniers...avatars.
Des cinéastes qui ont payé le prix fort de la fin des années
80, Dante est parmi les premiers fauchés. Peut-être même, malgré quelques vrais
succès publics, que la place du cinéaste, acquise sur un malentendu-
l'hallucinant triomphe de Gremlins-
n'était pas celle qui lui convenait le mieux, et que c'est plutôt son aura
éphémère auprès des gros producteurs qui est une anomalie.
Difficile de ne pas
associer à son nom, quand on évoque le Dante du milieu des années 80, celui de
Steven Spielberg, souvent un de ses producteurs, et celui d'Amblin, studio de production dont
l'évocation éveille immédiatement la nostalgie de tous les amateurs de
fantastique adolescents dans les années 80. Pourtant, le studio est toujours en
activité, et son âge d'or a été aussi bref que les films marquants portant son
légendaire logo peu nombreux.
S'il présente tous les attributs d'une production Amblin, Innerspace , n'en est pas une. Pas plus que ne l'était, mais on s'y
tromperait, le précédent film de Dante,
Explorers. Néanmoins, c'est à une formule aussi personnelle qu'éprouvée que
répond le film. On reconnaîtra dans le personnage de Dennis Quaid le noceur pas
sérieux, héros goguenard et cynique, mais qui saura se ressaisir face à
l'épreuve, celui de nombreuses
productions de l'époque sous différentes formes, de Top Gun à Piège de Cristal,
sous différentes formes. Evidemment, Dante n'a rien de commun avec un Adrian Lyne, un Tony Scott ou même un John
Mc Tiernan, champions du box-office d'alors.
Au peu très sympathique Tuck Pendleton de Quaid, Dante
associe Jack Putter, attachant nevrosé malingre. Le duo rattache le film à un
sous-genre à succès à l'époque, le buddy-movie tel que réactualisé avec succès par
Walter Hill et Joel Silver dans 48 heures.
L'année 87 compte d'ailleurs parmi ses plus gros succès la nouvelle déclinaison
du genre par Silver: Lethal Weapon. Evidemment,
Joe Dante va apporter sa petite torsion aux conventions: l'association est des
plus ironiques, puisque Tuck est impuissant (un problème qu'il a sans doute
ailleurs, comme le suggère la scène d'ouverture) à agir sans le consentement de
Jack, et pour cause: il est le prisonnier miniaturisé du corps de ce dernier.
La trame du film est donc montée en épingle autour de cette bifurcation de
base- ce dysfonctionnement- qui rappelle autant certains films d'Hitchcock (La
mort aux trousses, L'homme qui en savait trop...) que d'autres de Dante.
Le récit est d'ailleurs
très souvent déclenché chez lui par une utilisation imprévue d'un objet, ou par
un manquement à une règle. Et chez l'iconoclaste Dante, finalement, le meilleur
sera possible grâce à la transgression initiale: Billy va former un couple avec Kate, qui se débarrasse
d'un traumatisme d'enfance (Gremlins),
les enfants vont rencontrer les extra-terrestres qu'ils rêvaient de voir grâce
à la machine construite clandestinement à l'insu de leurs parents (Explorers), Dane surmonte la terreur qui
provoque en lui le menace du retour de son père après avoir osé franchir le seuil
d'un trou à l'entrée condamnée dans sa cave (The Hole). Mais la plus belle des
transgressions, c'est sans doute dans Matinee
(Panic sur Florida Beach) qu'il faut
la voir, et elle est autobiographique, c'est celle que commettent ces enfants fans de films d'horreur en se rendant
à l'avant première de Mant ! Dante,
et ça nous le rend si attachant, n'oublie jamais qu'aux fondement de son amour
(fou) pour le cinéma fantastique, il y a eu ce désir de voir les films qu'ils
ne fallait pas voir, et que les adultes trouvaient dégoûtant, soit par leurs
images, soit par leur bêtise supposée, soit par leur amoralité certainement
contagieuse. On devine chez Dante tout l'épanouissement, au contraire, qu'il a pu
vivre au contact de ces films, dont il tire un optimisme très personnel,
faisant tout le sel de ses films, et
rendant leurs conclusions moins
conventionnelles qu'en apparence, tant elles emblent sincères.
D'ailleurs, faire la morale n'est pas vraiment le genre de
Dante. En valorisant toujours le geste transgressif de ses héros, il touche une
limite dangereuse pour son public premier- les familles américaines, qu'il touche
parfois -horreur !- lorsqu'il oublie de doubler la mise en scène de la transgression
d'une discours moral normatif. C'est Gremlins
2,film mal aimé mais reflétant parfaitement son auteur: une succession de
méfaits joyeux orchestrés par les bestioles qui massacrent tout ce qui
constitue la société américaine d'alors sans qu'on ne vienne jamais leur faire
vraiment la leçon.
Et dans Innerspace,
c'est sous une forme discrète et peu spectaculaire que va s'opérer la plus
touchante de ces transgressions joyeuses.
Jack, que le hasard de sa rencontre avec Tuck a mis sur le
chemin de Lydia (Meg Ryan) est très sensible au charme de la demoiselle, qui
vient de quitter Tuck. Ce dernier reste convaincu qu'il ne s'agit que de l'une
de leurs nombreuses ruptures passagères. A notre relative surprise, Ludia n'est
pas insensible au charme de Jack, qui n'a pourtant pas les attraits physiques
de Tuck. Dante, au passage, nous brosse un portrait d'héroïne nettement moins
caricaturale qu'on pourrait s'y attendre- mais ça aussi, c'est un trait
récurrent de son cinéma. Naturellement Jack et Lydia, partageant un moment
d'intimité, vont s'embrasser. Tuck fulmine. Et que pourrait-il faire pour empêcher
Jack d'agir ? Néanmoins ce dernier
voudrait que Tuck respecte ce moment d'intimité, et coupe les communications
qui lui permettre d'entendre et voir la même chose que lui. Il lui faut donc la
bénédiction du cocu, en quelque sorte ! Et non seulement Tuck l'obtient, mais
loin de générer une sous intrigue revancharde menée par Tuck, la scène
rapproche au contraire les trois héros, et rend enfin attachant le personnage
assez pitoyable de Pendleton.
Car au fond, celui-ci n'a pas grand chose à faire sinon
gesticuler dans la cabine minuscule de son vaisseau microscopique. Et même dans
le climax du film- son affrontement avec un tueur miniaturisé venu l'éliminer-,
Tuck ne doit sa survie qu'à sa capacité à convaincre Jack de s'angoisser suffisamment
pour que ses sucs gastriques montent et digèrent le méchant.
La relation des deux personnages évoque d'ailleurs celle de
Jiminy Cricket et Pinocchio. Le récit de Collodi est aussi présent dans cette situation d'enchâssement
d'un personnage à l'intérieur d'un organisme gigantesque- c'est à l'épisode de
l'engloutissement de la baleine qu'on songe. Sauf qu'avec le malicieux Dante,
c'est par la fesse que Tuck se retrouve à l'intérieur de son Jack !
Une fois arrivé au milieu des entrailles du commis de
supermarché, gros comme un demi-globule, Tuck est l'objet de plus de scènes de
comédie jouant sur le lien bizarre des deux personnages que de scènes à effets
spéciaux spectaculaires. C'est sans doute une part de la déception provoquée
par le film: au bout du compte, la partie du métrage consacrée aux tribulations
du micro-batiscaphe est réduite presque au minimum. D'autant plus frustrant que
les effets spéciaux, optiques et physiques (on est en 87 !) sont aussi réussi
plastiquement que du point de vue du pur trucage.
L'autre part de notre frustration vient sans doute de la
façon dont Dante organise l'évolution de la relation entre Tuck et Jack.
Finalement, il ne s'agit de rien d'autre que de rendre littérale l'injonction
de bien des feel-good movies: Trouve le héros qui est en toi ! A partir de
ce postulat, Dante bâti des scènes drôles, délicieuses, efficaces, bien réglée
et imaginatives. Mais on aurait presque envie qu'il bascule dans un registre
plus sentimental, voire mélodramatique, lorsque, selon la tradition de la
construction en 3 actes, les choses deviennent sérieuses dans la dernière
partie du film, et les enjeux vitaux.
Mais Dante n'est pas un cinéaste épique. Ces choix ne sont
pas des maladresses. Toute sa filmographie est constituées de films intimes,
dont les enjeux ne concernent finalement que deux ou trois personnages, même
pas une ville, au mieux un quartier. Et quand le cinéaste tente de penser plus
grand, plus fort, cela donne Gremlins 2,
qui souffre de son statut de suite typiquement bigger,
greater, louder.
Ce goût pour les enjeux intimes, alors qu'un bon blockbuster
doit mettre dans la balance, au minimum, le devenir de l'Amerique, ou du monde-
mais c'est la même chose- se double d'une autre tendance, tout aussi problématique
dans le cadre d'un pop-corn movie: le
goût de Dante pour le grotesque. Ici, ce sont ces méchants: un milliardaire
tout vêtu de rose, de blanc et de
fourrure, un sbire dont le doigt tire comme un pistolet (!), une complice,
cliché de la bourgeoise froide, qui
finiront à la moitié de leur taille, pour fournir une série de gags reposant
sur leur nanisme.
Cette sensibilité carnavalesque, dont Gremlins est certainement le sommet, me fait penser qu'au fond, par
son esthétique et son parcours, Dante est un cinéaste beaucoup plus proche d'un
Tobe Hooper, que d'un Chris Columbus (on reparlera de lui cette année), pour
prendre deux cinéastes dont les plus
gros succès sont alors directement liés à Steven Spielberg, et qui suivront
ensuite des voix bien différentes. Hooper se retrouvant, finalement, victime
des mêmes malentendus-Gremlins pour
l'un, Poltergeist pour l'autre.
Le film de Dante, comme son cinéma, est fragile: il faudra
toute la sympathie du spectateur pour profiter de l'émotion réelle du film.
C'est cette scène de baiser évoquée plus haut, ce sont les retrouvailles de
Jack et Tuck à la fin du film, qui sont aussi une vraie rencontre- ne nous
dit-elle pas en substance: tant que nous n'avons pas été mis en présence, quelque chose nous manque
de nos amis. Pas difficile de compendre dès lors, que le passage à l'ère des
effets tous numériques compliquera encore le parcours d'un Joe Dante déjà mis à
l'écart des studios par quelques échecs successifs.
L'aventure Intérieure repose sur une idée de départ qui
aurait pu donner un film sans doute "plus fort" par un cinéaste
travaillant un registre plus lyrique ou mélodramatique que Joe Dante. Mais tel
quel, c'est peut-être encore mieux, un "petit" gros film, moins fort,
mais tellement plus attachant.
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