Gandahar, René Laloux, 1987,
France.
La dette du cinéma fantastique
envers la littérature est, dès le début, immense. L'évocation du Frankenstein
de Whale posait hier toute la complexité de cette filiation ambigüe: c'est
souvent en trahissant en apparence les livres dont ils s'inspirent que les
meilleurs films fantastiques trouvent leur singularité purement
cinématographique et finissent par respecter l'âme de l'oeuvre originale. Ainsi
de Frankenstein ou de Dracula, monstres autant cinématographiques que
littéraire. Comment dissocier le monstre du Baron du maquillage de Jack Pierce,
ou comment imaginer Dracula sans une cape doublée de rouge ?
C'est aussi d'une filiation
littéraire forte que se revendique René Laloux, déjà évoqué ici ,
et pour le cinéma duquel j'avoue avoir une grande affection. Le corpus
littéraire qui inspire Laloux est remarquablement homogène: c'est la science
fiction française d'après guerre, qu'on pourrait identifier un peu
paresseusement aux auteurs de la célébrissime collection Anticipation du Fleuve
Noir- même si tous les auteurs adaptés par Laloux n'y ont pas publié.
Wul, Andrevon, Brussolo, pour son
film inachevé, retravaillé ensuite par son assistant Philippe Leclerc: à la
seule évocation de ces noms, on voit s'esquisser très précisément vers quel
science-fiction tend René Laloux. Une
S.F baroque, débridée, dans laquelle le déchainement de l'imagination
est préféré à la cohérence d'un univers, ou à l'exploration raisonnée d'un
postulat scientifique. Des images fortes et poétiques, un traitement aux
limites du symbolique qui dévoile un message sous-jacent, et un mépris total
des conventions commerciales au profit de l'expression de visions d'auteur.
Quelques éléments de l'identité des films de Laloux, présents dans ces trois
long-métrages avec la même force.
Dernier de cette trilogie,
Gandahar succède, 5 ans après, aux Maîtres du Temps. Après avoir supporté
un Moebius en pleine période
macrobiotique, c'est à un autre grand nom de la S.F française graphique que
Laloux confie la direction artistique de Gandahar. La moindre des qualités de
Laloux n'est pas de savoir laisser s'exprimer l'imagination des auteurs qu'il
embauche justement parce que leur univers le séduit. La présence de Philippe
Caza se fait sentir à tous les niveaux du film, pas seulement au seul poste de
directeur artistique. Quand on voit à quel point les long-métrages d'animation
sont formatés à tous les niveaux aujourd'hui- on y embauche des gens talentueux
pour qu'ils abandonnent à la seconde où ils sont sous contrat ce style même qui
a séduit en premier lieu- on ne peut que chérir encore plus qu'à l'époque de
leur sortie ces films de Laloux qui revendiquait si crânement la paternité
partagée de ses adaptations.
Le style de Caza, impossible à
confondre avec celui d'un autre, est là tout entier dès le premier plan. Un panoramique
sur une mer azur, rencontrant une barque, à bord un pêcheur. humanoïde chauve à
la peau bleue typique du dessinateur. Comme il se doit, on nous pose rapidement
l'univers-cadre du récit. C'est, brossé en un superbe paysage qui n'a pas honte
de ces traits de pinceaux et de sa chair faite d'encres, une sorte de
matriarcat à la fois antique et futuriste, là encore une caractéristique
typique de Caza. La cité de Jasper, qui a l'apparence d'une montagne luxuriante
à profil de femme abrite une humanité de savants, de décideuses, et de dévoués servants. Parmi eux, Syl, est envoyé parcourir
Gandahar pour découvrir l'origine d'une menace aux contours flous.
Comme très souvent chez Caza, la
société que doit défendre Syl est un mélange d'utopie écologiste et de
totalitarisme feutré, observée avec autant d'idéalisme que d'ironie.
Ambisextra, et les chefs du conseil des femmes de Jasper, s'ils ont bâti une
société qui est parvenue à vivre en harmonie avec la nature, ont néanmoins
organisé une société de castes, inégalitaire, où peu règne sur beaucoup, et où
chacun semble programmé à ne tenir qu'un seul rôle. Et cette harmonie avec
l'environnement ne s'est pas construite sans essais infructueux. Ce sont les incarnations
de ces essais qui constituent les authentiques monstres de Gandahar: Les
transformés, des mutants au corps grotesque, produits rejetés, comme on le
ferait de déchets ménagers, des expériences ratées dans les laboratoires de
Jasper. Mais, revers de la malédiction, ces corps difformes abritent des âmes
capables d'entrevoir l'avenir. Très belle idée que celle de ces clairvoyants
rendu plus sensible à la vérité d'une société en étant contraint de la regarder
de l'extérieur.
Cette fois, c'est à Laloux qu'il
faut attribuer l'importance des transformés. Simple péripétie dans le roman,
Caza ne voit pas tout de suite l'importance qu'ils peuvent avoir dans le récit,
même s'il prend beaucoup de plaisir à les concevoir.
Syl pense d'ailleurs, en les
rencontrant, qu'il sont la grande menace à l'assaut de Gandahar. loin de là !
Il s'avèrera qu'ils en sont l'exact revers. Car aux corps tous uniques des
transformés, qui, d'une monstrueuse façon porte l'empreinte d'une créativité folle,
certes, mais baroque et unique dans ces différentes expressions, les vrais
ennemis de Gandahar sont les hommes-machines, des robots au corps parfaits,
mais tous identiques, et si dépourvus d'âme qu'ils sont vides. La mise en scène des hommes-machines, toute
faite de plans symétriques et de composition plates jouant sur la
multiplication de silhouettes identiques souligne évidemment l'analogie avec
les défilés fascistes et nazis des années 30. Mais la beauté des dessins,
l'inventivité de la musique (une rythmique répétitive binaire scandée par un
souffle rauque) rend la symbolique plus digeste qu'on ne pourrait si attendre.
Et puis ces hommes-machines, et
c'est le point de bascule du film et sa belle trouvaille narrative, ne sont pas
étrangers à Jasper, puisqu'ils viennent même de son coeur. Ce sont les produit
de l'expérience la plus folle créée par les savants de la cité, le Métamorphe,
un être aux buts confus, mais capable de se régénérer, à condition de disposer
de cellules vivantes. Un vampire titanesque, en somme, qui a besoin d'une armée
de serviteurs, puisqu'il a l'apparence, nous dit-on, d'une île cerveau géante.
Quand on y regarde d'à peine plus près, c'est à un gland géant que renvoie plutôt
la chose. Signé Caza, c'est évident, quand on connait le goût du dessinateur
pour les symboliques sexuels plus qu'explicites. Pas mal, pour un dessin-animé
dont la promotion fut assurée notamment dans Le journal de Mickey...
Mieux encore: les hommes
-machines, envoyé par le Métamorphe pour capturer des Gandahariens, envahissent
le pays en passant par une porte... temporelle. Ils viennent du futur !
On a parlé des monstres et de
leur personnalité, on appréciera autant les qualités de la figure héroïque.
Syl, pressé de trouver une solution pour stopper l'invasion le fera non pas en
multipliant les exploits physiques et en adhérant au modèle du soldat bravant
mille dangers et dix milles pièges pour vaincre. Non, c'est uniquement en
parlementant avec ceux qu'il rencontre qu'il finit par entr'apercevoir une
solution. Une sorte de diplomate de l'espace, qui finit par convaincre le Métamorphe
de stopper de lui-même ses projets. Celui-ci est trop fort pour être vaincu
lorsque Syl le trouve, alors la créature propose au servant de l'endormir pour
la réveiller mille ans plus tard, lorsqu'elle sera suffisamment affaiblie pour
être vaincue. Une très belle idée, encore une fois, ambigüe et subtile: le
grand adversaire dit en substance: "laisse-moi profiter de ma jeunesse,
dont la joie vient de l'asservissement de ton peuple, en échange de quoi je
t'épargne le spectacle de la souffrance des tiens, tout en faisant de toi le
héros qui va me vaincre, mais seulement quand j'aurai bien joui" Pacte
amer et étrange, dans lequel il n'est pas interdit de voir, finalement, un
précipité pas si naïf de l'histoire de bien des conflits humains, et qui permet
au cinéaste une ellipse assez folle de mille années en avant.
Reveillé, Syl découvre une
planète entièrement aux mains des hommes-machines, et dont les transformés sont
les seuls survivant originels. Ironie du sort ! Dotés d'une longévité
exceptionnelle, ils ont été rejetés par le Métamorphe car leurs cellules,
dégénérées ne sont pas compatibles avec les siennes.
Le récit s'achève d'une façon un
peu abrupte, on n'a pas de nouvelles de la promise de Syl, et le retour
d'Ambisextra et de la tête de Jasper résonne un peu comme un deus ex machina
expédié. une précipitation qui jure avec le rythme extrèmement régulier du
film, pourtant associé à une récit plein de péripétie et de rebondissements.
Mais c'est sur ce genre d'associations à priori contraires que fonctionne
souvent le cinéma de Laloux. Comme l'animation de Gandahar, qui se déroule sur
un rythme aussi immuable et régulier que la durée des plans, presque toujours
la même (environ 6 secondes nous dit Caza), ou que la mise en scène, composée
de succession de plans fixes.
Paradoxalement, à l'heure où il
techniquement possible de réaliser des long-métrages animés avec une caméra
constamment en mouvement, on aboutit à des films tous semblables, ou tout est
raconté à coup de travellings à toute blinde et de zooms brutaux, (essayer de tenir
plus de 15 minutes devant Hôtel Transylvanie !) quel que soit le sujet ou le propos. Ces
films-machines, quelle que soit leur beauté ne font que rendre plus belle et
plus essentielle encore la qualité d'un film comme Gandahar, dont les défauts,
vu d'ici et maintenant, ne pèsent plus rien.
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