dimanche 13 octobre 2013

Kiwis à la tonne.









King Kong Lives (King Kong 2), John Guillermin, Etat-Unis, 1986.

On ne se souvient guère qu'après y avoir sans doute repensé dans un moment d'égarement, Dino de Laurentiis décida, dix ans plus tard, de donner une suite à son King Kong de 1976. Pourtant, quand on a vu ce King Kong Lives, impossible, croyez-moi, de l'oublier !
Chez Dino, on n'est pas à la Canon: quand on annonce une suite à un film "prestigieux", on met la main à la poche. Tourné avec un confort raisonnable, King Kong Lives n'est pas de ces attrape-nigauds chiches dont les promesses ne sont que sur l'affiche. On a (un peu) d'argent et ça se voit !  Généreux, le film aligne donc à un rythme soutenu les séquences attendues: exotisme, singe géant, destruction massive, figurants nombreux et affolés... mais c'est sans aucun doute dans le domaine de la connerie que King Kong Lives a bénéficié des plus grandes largesses. Tellement mauvais qu'il en est bon ? mieux que ça, en fait. Ici, on n'est pas vraiment des amateurs de nanars, mais ce qui fait tout le sel de ce second Kong, c'est le mélange de sérieux papal et de semi-parodie qui ravi et surprend bien plus qu'il ne consterne, finalement.

Et quel que soit la bêtise dont il fait preuve, King Kong Lives n'ennuie jamais, et se révèle même bien plus divertissant que son prédécesseur. Grâce, d'abord, à son histoire, qui a le mérite d'être originale, et nous sort un peu de la routine paresseuse du remake. Et puis, quand même, Dino, il fallait oser... une suite à King Kong ? Bon, survivre au balles des helicoptères, admettons, mais la chute des tours du World Trade Center ?
Fier de son audace, le producteur fait d'ailleurs débuter son film par la conclusion du précédent épisode, se tirant ainsi une balle dans le pied, tout en mettant la barre assez haut: et maintenant, qu'est ce qu'on fait?  Eh bien, on n'a qu'à faire n'importe quoi !
Mais pas n'importe comment ! Attention, De Laurentiis a refusé plusieurs scénarios avant d'accepter celui de Schusett, qui lance pourtant son pitch comme une blague:  On n'a qu'a faire une transplantation cardiaque à Kong Un peu gros ? Qu'à cela ne tienne, on va même situer l'action en 1986, comme il faudra opérer le singe dix ans après sa mort. Banco réponds Dino, à qui on n'avait pas encore proposé quelque chose d'aussi bon.
Et la suite est sur les rails !

On commence donc par nous détailler le laboratoire-hangar dans lequel Kong est veillé par une armée de médecins, qui se promène sur lui tels les lilliputiens sur Gulliver. On peut apprécier une certaine poésie dans cette image, d'autant plus que John Scott,  comme ces grands compositeurs kamikazes qui saisissent l'occasion de faire de la grande musique, quelle que soit la qualité ou le ton des films à illustrer, livre une partition splendide, digne du chef d'oeuvre de John  Barry pour le premier film, et qui aurait pu illustrer sans rougir le film de 1933 tant elle déborde d'un romantisme propre à l'âge d'or.


On s'affaire donc au labo, et King Kong Lives bientôt, c'est sûr. Ce n'est d'ailleurs pas la transplantation qui pose problème aux scientifiques, c'est la transfusion indispensable à la survie du singe géant à l'issue de l'opération.
Qu'à cela ne tienne: nous voilà transporté à Bornéo (à moins que ce ne soit derrière le studio), où l'aventurier Hank Mitchell se prépare à une sieste bien méritée en pleine jungle. Tapotant le lit de feuilles qui doit lui assurer le confort d'un sommeil réparateur, quelle n'est pas sa surprise de voir sa literie s'agiter ! Et pour cause: il allait s'assoupir dans une main de singe géant. Et voilà, tranquille Dino, en deux plans on a de quoi assurer la transfusion. On devine d'ailleurs que la technique employée par Mitchell pour trouver son singe doit avoir été directement inspirée aux scénaristes par leur propre méthode: l'impératif d'une bonne sieste.


Les trucages du film, malgré les mensonges d'un Carlo Rambaldi affublé d'un pif à faire rougir le Pinocchio le moins honnête, sont presque tous réalisé en costumant des acteurs en singes, suivant la méthode adoptée depuis le début par les kaiju-eiga japonais. Une proximité technique qui rapproche le film des deux célèbres Godzilla des années 60: King Kong contre Godzilla et La revanche de King Kong. Et c'est bien à un hommage involontaire à Inoshiro Honda que se livre De Laurentiis et Guillermin.



Mais privé de l'exotisme propre aux productions japonaises pour un public occidental, King Kong Lives ne bénéficiera jamais de l'aura de ses fameux confrères nippons. On mesurera là tout le snobisme dont est capable un public qui est pourtant le premier à dénoncer celui d'une critique supposément affublée d'un complexe de supériorité dédaignant massivement les formes les plus basses de cinéma dont le film de monstres géants fait assurément partie.
Néanmoins il faut bien reconnaitre à ce deuxième King Kong les mêmes qualités que beaucoup de Kaiju Eiga de série: le mélange de sérieux inébranlable et de situations et personnages pour le moins baroques et naïfs, le décalage avec des effets spéciaux loin du photoréalisme ou même d'une ressemblance anatomique avec les créatures représentées. Le "message" est aussi présent, forcément écolo -sympathique, l'aventurier ayant découvert le deuxième singe se transformant rapidement en éco-warrior avant l'heure. En face de lui, principalement des militaires bas du front, qui fourniront pas mal de maquettes de tanks, d'hélicoptères et de hangars à broyer à nos grands gorilles.
Car ils sont plusieurs: pas un, ni deux, mais trois. C'est la grande surprise- et encore une fois, un clin d'oeil à Godzilla- le second singe est une femelle, et elle va donner à Kong un fils, qui est l'exacte réplique, version poilue de celui de Godzilla, et partage avec lui la même bonhommie permanente.

Guillermin nous laisse d'ailleurs sans voix sur l'ultime scène de son film, nous montrant junior batifolant au ralenti parmi les lianes, dont il se sert pour voltiger, tout sourire, tel Tarzan, à travers la jungle de Bornéo. Trop de bonheur tout ça, mon bon Dino.
Il faut tout de même dire un mot des acteurs héroïques de cette chose, au premier rangs desquels Linda Hamilton, alors à l'aube d'une gloire très brève, et qui incarne avec une conviction même pas risible son personnage de Dian Fossey cardiologue. Le plaisir de la revoir dans un premier rôle, n'est pas pour rien dans  celui, même pas coupable, que j'ai pris à voir ce film. Je suis bien le seul, car la suite, évidemment amorcée par la présence de Kong Junior ne fut jamais tournée, étant donné le bide monumental du film et sa réputation désastreuse. Mais le cinéma a ceci de merveilleux  qu'on peut avoir une grande joie, envers et contre tous,  à regarder un très mauvais film, ce qu'est sans regrets et sans honte King Kong Lives.

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