Le questionnaire qui décompte, deuxième édition, pour 2... yeux maléfiques.
Two Evil Eyes (Deux yeux maléfiques), George A. Romero et Dario Argento, Etats-Unis, Italie, 1990
1-Les
10 commandements du cinéma, d'après Romero et Argento ce
serait quoi ?
Chef de
gare:
on va donner une tablette à chacun des deux larrons, donc 5 commandements pour
George, et 5 pour Dario.
Dario, ce n'est pas vraiment le genre à
respecter trop de commandements, ou peut-être ceux d'une des trois Mater-
sûrement celle qui soupire en regardant le film.
Tu
ne liras ni Poe ni aucun autre auteur que tu adaptes, que ce soit Stoker ou
Leroux.
Tu capitaliseras sur ton nom tant que ce sera
possible.
Tu mettras ta caméra n'importe où ça te
chante.
Tu trahiras ton talent, mais tu ne trahiras
jamais la caméra: tu t'y installeras à chaque fois que ce sera possible.
Tu seras toujours considéré comme un maître,
quoi que tu fasses, car tu nous a donné les plus beaux cauchemars du cinéma
infernal.
Matthias: Tu mettras au moins un zombie dans chacun de tes films
Tu voudras croire qu'Adrienne
Barbeau est une femme séduisante.
Tu ne vendras certes pas ton âme au
diable, car il n'en veut point.
Aux films courts tu seras condamné.
Oh Roméro, mon Roméro, qu'as-tu fait
de ton Art ?
2-Si
ce film avait 9 vies, il en aurait épuisé combien ?
Matthias: Il faudrait déjà considérer que chacun de ces deux
films n'a droit qu'à quatre vie et demi, et on peut dire que celles-ci sont
très largement dépensées déjà à la fin du film, tant ce qui nous est présenté là
a plus à voir avec quelques séries télé de piètre renommée ou de films à
sketchs type Creepshow, dont nous avions déjà parlé l'année précédente, et qui
marquait à mon sens la fin d'une certaine attention au genre par ceux-là même
qui l'avaient hissé très haut. Romero avait commis cette trahison, et l'on
pouvait éventuellement lui trouver quelques circonstances atténuantes. Qu'il
récidive avec ce Two evil eyes en compagnie du Maestro Argento a quelque chose
d'un peu pathétique : non content de sombrer, il veut entraîner avec lui les
autres maîtres du genre. Quand on imagine que le projet fut proposé à Carpenter
et Craven, on ne peut que rester rêveur, surtout quand on sait ce qu'est devenu
Craven, et l'immense difficulté aujourd'hui pour Carpenter de faire ses
films...
Le chef de
Gare: Moi je lui donne une demi-vie pour deux. C'est seulement parce que le
mode de production le permet que ce film sort encore au cinéma. Quelques années
plus tard, c'est dans le cadre des Masters
of Horror que ce genre d'exercice sera produit. Argento en a d'ailleurs
fait un formidable. Je n'ai pas vu le Romero.
3-
Tu penses qu'il a fait les trois 8, pour boucler l'affaire ?
Matthias: Voilà bien deux films
particulièrement paresseux, qui reprennent les arguments de deux nouvelles
d'Edgar Allan Poe, qu'un petit plan sur la tombe en ouverture suffit à
remercier, pour littéralement les défigurer, en faire des morts vivants – ce
pauvre chat noir écorché en animatronique... Le problème, c'est qu'il ne s'agit
pas là d'une critique de quoi que ce soit, mais bien seulement d'une
caricature, pour Romero tout au moins, tant Argento semble même absent de son
film, de ce qui les a rendu célèbres et admirés. Un malentendu, probablement,
un de plus dans l'histoire du cinéma Fantastique.
Chef
de Gare: c'est sûr, ils n'ont pas beaucoup mouillé la chemise, les deux
larrons. Mais en 1990, Romero était au plus creux. C'est même quasiment fini:
il a fait Incident de parcours deux ans avant, un échec, tout comme le sera son
adaptation de King 3 ans après. Ensuite, il mettra 7 ans à refaire un film. Je
crois que son Valdemar est un film purement alimentaire. C'est assez déprimant,
d'ailleurs. Il n'y a rien là dedans, ça aurait pu être réalisé et écrit par
n'importe quel réalisateur de série TV.
4-
On finit au 7 ème ciel ou on l'enterre 6 pieds sous terre ?
On essaie d'oublier ces deux petits
« essais » insignifiants, et vraiment bâclés. Rien à ajouter...
5-
Et la 5 ème roue du carosse ?
Matthias: C'est
bien il me semble pour le coup le pauvre Edagr Allan, dont la poésie noire ne
sert ici que de prétexte à une mise en scène indigente qui n'a pour vocation
que de fabriquer de l'horreur de supermarché, à peine digne d'une seconde
partie de soirée. Dans le genre, nombre des épisodes des Contes de la crypte me
semblent plus inventifs, n'ayant pas le besoin de se légitimer à bon compte sur
le dos d'un écrivain qui précisément se situait le plus loin possible de ces
divertissements jamais effrayants.
Chef
de Gare: D'accord avec toi, ce pauvre Edgar doit bien se retourner dans la tombe
que les deux ricaneurs nous filment parfaitement cyniquement. Enfin, s'il était
de ce monde il aurait sûrement pris le chèque des producteurs pour aller le
boire, non ? Par contre, le sketch d'Argento, je l'ai trouvé assez répugnant
par moments. Le pauvre chat, quand même. J'aime pas qu'on fasse du mal aux
vrais animaux dans les films. Rappelle-toi que j'ai trois chats, et que je me
battais avec les autres gamins, chez les scouts parce qu'ils arrachaient les
pattes des moustiques. Du coup, Dario m'a quand même fait grincer des dents.
Matthias:
Allez, je t'accorde que les nombreux gros plans sur la matou son parfois saisissants
- surtout quand on sait toute la patience qu'il faut ne serait-ce que pour
photographier un poilu...
Chef
de Gare: En même temps, là, ils ont pas l'air d'avoir toujours été très
patients avec le bestiau !
6-
Il y va par 4 chemins ?
Matthias: Ils y vont chacun pour 8
ou 9 chemins au moins. Tout est très clair d'emblée, mais comme il faut que
chacune de ces histoires dure au moins une heure, il faut bien délayer... Il
n'y a peut-être que l'ouverture du Chat noir qui me semble un peu digne
d'intérêt : cette vision cauchemardesque et néanmoins très contemporaine, presque
légiste, de cette femme assassinée par le fameux pendule d'une autre nouvelle
de Poe, voilà une ouverture incongrue mais plastiquement impressionnante, selon
l'adage déjà mentionnée qui veut que des images puissantes sont choquantes dès
lors que l'on ne sait pas d'où elles débarquent. Un vieux souvenir, une
réminiscence, en l'occurrence, et cela c'est peut-être le seul moment d'hommage
véritable à Poe.
Chef
de Gare: C'est la tradition dans les adaptations de Poe: plutôt que de
s'interesser à l'esprit du texte; on en extrait les deux ou trois faits
anecdotiques, on traduit les images marquantes en plans de cinéma, et autour on
brode un scénario, souvent psychologique en diable, qui fait rentrer les
hallucinations de Poe dans des cases bien rassurantes. Ici, c'est la syntaxe
des Ec Comic qui est rameutée pour achever Edgar: on est vraiment dans l'esprit
des Tales from the Crypt, avec morale punissant les personnages qui ont agit
sous l'influence de pulsions répréhensible. Evidemment la luxure, l'égoïsme, la
soif de gloire, et le goût du lucre. Là, les deux cinéastes sont un peu
gonflés. Celà dit, les quelques voies buissonières prises par Argento sauvent
son film. Il y a quelque purs images, très belles, qui me restent: le souffle
de Keitel faisant apparaître la potence sur le pelage du chat, ce corps coupé
en deux, le livre de photo de Usher qui envahit les étals- pas mal d'ailleurs
ce principe de l'aveu du personnage visible partout, alors qu'il semble tout
faire pour cacher son crime, il y a quelque chose de l'ordre de la folie qui
transparaît là-dedans, non ? Et puis,
c'est aussi le livre qui précipité la chute du personnage...
7-
Peut-on penser que ça ne casse pas 3 pattes à un canard ?
Chef
de Gare: C'est le moins qu'on puisse dire. Maintenant, désolé mon cher
Matthias, mais le sketch de Dario est carrément au-dessus de celui de George,
qui a dû complètement s'identifier à ce vieux Valdemar. Tandis que dans le Chat
Noir, il y a quand même une certaine folie, un malaise, et du n'importe quoi
certes mais imprévisible. Dario, il met la caméra dans le pendule, il filme un
maniaque qui arrache les dents d'un cadavre, il met la caméra à la place du
chat, il se paye une scène onirique au moyen-âge, il colle un portrait de
Baudelaire dans l'escalier... confondant avec Poe ? Je l'ai suivi avec un
certain plaisir ce Chat Noir, je t'avouerai. Par contre, le Romero est nul.
8-
2
ou 3
choses à ajouter ?
Matthias:
Non.
Chef
de Gare: Miaou.
9-
S'il ne devait en rester qu'un, ce serait celui-là ?
Matthias:
si l'on ne devait en sacrifier qu'un il faudrait peut-être sacrifier celui-là,
car tout de même voir sombrer Romero et Argento dans un telle débâcle, c'est pathétique.
Cela dit probablement quelque chose aussi du genre et de ce qu'il est devenu.
Lorsqu'il s'agit de ne pas tout à fait faire familial, il n'y a plus d'autre
choix que de se replier vers ce type de production standardisée que même un
Corman n'aurait pas revendiqué dans ses grandes années. Alors bien sur, on peut
au moins se dire qu'ils n'ont pas fait une version du Chat noir où celui-ci,
mignon finalement, c'est un chat, aurait permis à sa maitresse de se venger de
son méchant mari. On est quand même plus dans le ton de Poe, m'enfin, vraiment,
il y a des fois où plutôt que de s'obstiner à vouloir faire, ne vaut-il pas
mieux s'abstenir tout simplement ? Le silence est parfois la plus grande des
victoires...
Chef
de gare: Toi tu n'as pas vu les derniers Argento. Je peux te dire qu'il vaut
mieux largement garder celui-là qu'un Giallo ou Vous aimez Hitchcock ? Et puis
s'il ne fallait en garder qu'un, de Chat Noir, ça serait celui de Fulci, qui
est loin de Poe, mais qui est le seul à avoir gardé une vraie fibre poétique,
et une certaine étrangeté. Tu parles de Corman, mais son film à sketches sur
Poe, L'Empire de la terreur, c'est quand même pas fameux. Le Chat Noir de Poe,
c'est d'ailleurs presque devenu notre mascotte, au Train, on doit en avoir 3 ou
4 versions maintenant, non ?
Matthias: D'accord avec toi, si on ne devait en garder qu'un des deux, ce serait sans aucun doute ce pauvre chat noir, d'une tenue plus baroque que le déchéant Valdemar - Romero ne s'y trompe guère pourtant, son surgelé/décongelé mort-vivant pourrait bien être à l'image de son cinéma de ces dernières années, même si Diary of the dead n'est pas si mal.
Chef
de Gare: D'ailleurs tu ne trouves pas qu'il y a une veine complètement
autobiographique dans les deux films: Valdemar, c'est vraiment Romero,
apparemment mort et qui essaye juste, avec une voix d'outre-tombe, de se faire
entendre, en vain, des vivants. Et de l'autre côté, il y a un Argento à la
dérive, en photographe obsédé par les sujets morbides, qui se complaît à la
mise en scène de meutres. Je suis d'ailleurs prêt à parier, selon sa tradition,
que ce sont les mains de Dario qui malmènent le chat ! Finalement, Two Evil
Eyes est peut-être un pur film d'auteur ?
Matthias:
On est sympa quand même... Mais, bon, c'est l'avantage du genre que d'être à
multiples lectures. Et puis c'est vrai qu'on a tellement envie de les sauver,
ces deux-là. Mais je n'oublie pas que Romero avait déjà trahi sa postérité avec
Creepshow. Après tout, il n'a peut-être eu que ce qu'il méritait. A l'image de
Valdemar qui a prostitué cette "jeune" femme pour finalement tomber
sous son joug. C'est différent pour Argento. En 1990 le cinéma italien est
définitivement mort. Et il me semble qu'au moins ses obssessions demeurent
intactes, même si elles ne peuvent plus s'apparenter à autre chose qu'à des
cadavres dans le placard.
Chef
de Gare: Nous sommes quand même objectifs:
on peut dire d'une voix que Two Evil Eyes, c'est mauvais. Mais il y a deux
trois éclats dans le Argento qui, s'ils ne sont pas dignes de lui, témoignent
effectivement d'un homme qui continue à vouloir faire son geste. Et qui trouve
encore des images. Peut-être qu'à minima,
c'est une idée du cinéma fantastique qui me plait. Ce que fait Romero, par contre,
je préfère le lire en BD.
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