mardi 1 octobre 2013

Accélérations et ivresse de la métamorphose





  
 Akira, katsuhiro otomo, japon, 1988.

A la vitesse où l'histoire du cinéma avance, toute génération de cinéphiles peut se souvenir, le moment venu, d'avoir été pionnière.
Pour nous, les premiers à qui on avait servi, déjà, à la télévision, les images animées baroques et folles venues du Japon, ce fut la découverte ébahie- coup de foudre au premier regard- du cinéma d'animation japonais le plus contemporain, lorsque 3 ans après sa diffusion triomphale, Akira sortait- en catimini- en France.

Bien préparée par la version américanisée (colorisation par Steve Oliff, sens de lecture occidental, format comics) publiée en kiosque par Glénat, la sortie du film réalisé par Otomo fut un évènement longtemps attendu et espéré. Ce fut un échec public et critique- hormis quelques gens de goût, l'ensemble de la cinéphilie française au mieux se saisit de l'objet avec des pincettes, mais la plupart du temps, l'ignore tout simplement.





 Et heureusement, parce qu'Akira est un film révolutionnaire, un film de jeune gens, une explosion dont chaque étincelle à été dessinée à la main, avec une patience maniaque, par les brillants artistes emmenés par le génial Katsuihro Otomo.

Et c'est peut-être dans cette nature paradoxale que réside la plus grande beauté d'Akira. Comment qualifier autrement un film dont l'objet- la peinture de la pulsion adolescente- est si contraire, à priori, au medium choisi pour le dépeindre ?

Tout le projet plastique du film semble d'ailleurs être de s'extraire du pur cinéma traditionnel pour aller jusqu'à l'essence du cinéma animé.

Avec pour point de départ, une scène relevant d'un genre qui est peut-être, comme le dit Friedkin, le cinéma par excellence, soit une poursuite automobile (enfin...à motos), et pour point d'arrivée ce qui est peut-être l'essence primitive du cinéma d'animation: le mouvement permanent de lignes décrivant les transformations d'une forme (le corps de Tetsuo) et d'un espace suivant les lois non plus de la physique mais du désir de la main qui les trace.

Entre ces deux moments, le film n'aura cessé de représenter des convulsions, des explosions, des soubresauts. Alors que le long-métrage animé américain, grandi à l'ombre de Disney, semble avoir pour horizon fantasmé une harmonie parfaite entre sons, couleurs et formes (le prototype imparfait étant Fantasia, quintessence de la recherche artistique de Walt), Otomo,lui, déchire ce modèle, foule le drapeau de la souris à grandes oreilles, et presque avec masochisme, exige de son pinceau qu'il lui trace, 1/24eme par seconde à la fois,  l'imprévisible, l'inattendu, le spasme soudain qui ici tord aussi bien les corps que les immeubles ou même l'air et la mémoire.

Mais les corps, d'abord. Ceux de cette jeunesse que le cinéaste place au cœur de son récit. Kanéda, Tetsuo, Kay, Yamagata et les autres, tous acteurs de papier bouleversants, dont les traits vont tous devoir se plier sous l'effet d'une force extérieure: Kay, qui devient une marionnette des enfants mutants, Yamagata, désintégré par Tetsuo, Tetsuo lui-même, dépassé par la puissance qui l'habite et l'étend jusqu'à la dissolution, Kanéda et sa bande, dont la chair n'est parfois que le support des punitions infligées par les policiers ou les professeurs, identifiés les uns aux autres par un raccord aussi drôle que glaçant.

C'est la transformation de Tetsuo qui est la plus spectaculaire. La rage démesurée qui habite l'adolescent trouve une expression terrifiante dans les pouvoirs qu'il se découvre après sa rencontre avec un des enfants-mutants possédant des capacités identiques, mais à un degré moindre. D'abord ivre de liberté en découvrant qu'il peut commander la matière à distance, Tetsuo est rapidement possédé par sa chair qui se gonfle sans limite, lui donnant l'apparence d'un monstrueux nourisson. On ne saura pas vraiment ce qui l'arrêtera, peut-être un de ses souvenirs d'enfance remontant du plus profond de sa mémoire de plus en plus vivement au fur et à mesure que son corps gonfle.



C'est évidemment une illustration baroque des transformations de l'adolescence que nous montre Otomo, mais, c'est ce qui rend Akira si marquant, il le fait en créant une imagerie inoubliable, sujette à mille interprétations auxquelles on ne saurait pourtant la réduire. Comme seule référence, le cinéaste japonais n'avouera que sa passion pour 2001, Odyssée de l'espace, et les images qu'il a crées ont la même qualité mystérieuse et poétiques que celles de Kubrick, elles provoquent le même vertige. Un frisson qui n'a rien de narratif: le récit d'Akira est extrêmement simple malgré le grand nombre de personnages, et l'action est ramassée sur une durée très courte, un jour ou deux peut-être. Pourtant, inoubliables sont les poursuites à moto, dont les phares laissent dans la nuit de Neo-Tokyo des trainées presque palpables, inoubliables la vision de Tetsuo se coiffant d'un linge rouge, les cheveux hérissés, mi-super-héros mi-petit prince des ruines, inoubliable ces dômes tantôt blancs tantôt noirs qui figurent tantôt une explosion nucléaire, tantôt la psyché agitée d'un adolescent débordé par lui-même, inoubliables les visages prématurément vieillis des enfants-mutants, tout comme est inoubliable leur chambre-dôme, moitié prison moitié paradis, inoubliable visage d'Akira, face lisse d'un enfant si sage qu'il semble pouvoir détruire le monde d'un soupir.

C'est peut-être par là qu'Akira est pur cinéma, parce que l'émotion qu'il provoque provient de la seule puissance de son imagerie. Immédiatement marquante à tel point que depuis 25 ans, on voit régulièrement des fans construire des reproductions fonctionnelles de la moto rouge de Kanéda...

On conclura en se souvenant que les dernières scènes du film se situent dans un stade olympique en construction, que c'est là que se déchaîne la puissance de Tetsuo, qu'il est possédé par elle, et qu'elle devient une menace absolue, une promesse de dissolution, aussi bien pour lui que pour le monde. L'action d'Akira se situe en 2019. Le Japon accueillera les jeux olympiques en 2020. Otomo, dessinateur sans égal capable d'illustrer ses visions jusqu'au moindre boulon aura donc réussi, avec 25 ans d'avance, à nous tendre un portrait du monde. Car Akira, en plus d'être un classique et un film révolutionnaire est aussi un chef d'oeuvre de l'anticipation.








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