Oblivion, Joseph Kosinski,
2013, Etats-Unis.
On se souviendra de 2013 comme
d'une année majeure pour la S.F cinématographique. Sans discuter de la qualité
des films, la quantité des métrages est étonnante, et témoigne d'une volonté de
cinéastes de sensibilités très diverses de réinvestir un genre dont les années
70 semblent représenter, l'âge d'or.
Nous aurons donc vu les sorties,
outre l'Oblivion de Kosinsky, d' After Earth, Star Trek into Darkness, Pacific
Rim, Elysium, Europa Report, Gravity, Riddick, Le transperceneige, La stratégie Ender, auxquels j'ajouterais volontiers le Man of Steel d'un Zack Snyder traitant
son film selon les codes de la SF plutôt
que du film de Super-héros. Quelle que
soit la postérité de ces différents titres à l'avenir, nul doute que l'année
sera regardée comme une charnière quand à la reconnaissance d'un genre
qui, en fait, n'a jamais eu les faveurs du public.
Il y a un vrai malentendu quant à la
science-fiction cinématographique: D'abord assimilée à un sous-cinéma destiné
aux enfants, elle devient dans les années 70 un genre de premier plan, débarrassé
de son infantilisme (et de sa naïveté), et reflétant autant que cinéma d'horreur les
mutations d'une société secouée par ses contradictions, réveillée par une prise
de conscience politique massive, et tendue par un conflit générationnel ouvert.
Si 1968 est l'année de La nuit des morts-vivants, c'est aussi celle de 2001, et
de La planète des singes. Mais la
plupart de ces films des années 70 ne rencontrent pas le grand public, à
l'image de Soleil Vert, aujourd'hui un classique, à l'époque un four gênant
pour Richard Fleisher.
Charlton Heston, rôle principal
du chef d'oeuvre de Fleisher est d'ailleurs un acteur au goût sûr et au flair juste: il participe à trois
des plus remarquables productions SF de l'époque: outre Solylent Green, donc,
il sera également de Planet of the apes et Omega Man. Goût sûr, flair juste ?
Exactement comme Tom Cruise, qui en matière de S.F a plus d'un point commun
avec Heston.
Pour être arrivé tard au genre-
il faut attendre La guerre des mondes, de Steven Spielberg- l'investissement de
Cruise dans le genre est depuis presque ininterrompu. Et s'il y a bien un
acteur qui y croit, à ces histoires de science-fiction, ça ne peut être que
lui, car sa "foi" toute personnelle, à notre barjo de Tom lui a été
révélé par un authentique auteur du genre, Lee Ron Hubbard, qui avant de
devenir fondateur de l'Eglise de Scientologie, fut un auteur de SF sinon
important, du moins vendeur. Son titre de gloire, Terre Champs de bataille,
monumentale saga étonnament pleine d'humour, lorsqu'on sait avec quel aplomb,
et quel succès Hubbard parvint à faire avaler ses affabulations à des milliers
de personnes. Au premier rang desquelles Tom Cruise notre maître à tous en
matière de dévotion au genre, puisqu'il vit un délire SF complet nuit et jour,
sans l'once d'un millimètre de recul. Le plus étonnant étant le discernement
qui va de pair avec son aveuglement idéologique à la limite de la psychose: si
John Travolta s'est ridiculisé sur sept génération avec l'adaptation cinéma de
la saga Hubbardienne, Tom Cruise lui, s'est tenu sagement à l'écart du projet,
et a préféré s'investir dans des projets jusqu'à présent irréprochables. Le
dernier en date, Oblivion, est le produit de l'imagination de Joseph Kosinsky, à
la fois réalisateur et scénariste, qui a réussi a convaincre la star, et,
plus dur, à l'instar d'un Brad Bird, est parvenu à lui faire faire le film
qu'il avait en tête.
Le secret de Kosinsky, et une
forme de réponse aux interrogations que nous avons souvent ici sur l'interêt
d'un cinéma hollywoodien de genre de plus en plus formaté, c'est que le
réalisateur n'est pas naïf, et qu'il conçoit un projet très
personnel, mais dont aucun aspect ne va à l'encontre de ce qu'il est possible
de faire financer par un studio. A
l'heure ou Darren Arronofsky se voit chahuter par le studio qui lui a allongé
150 millions de dollars pour qu'il filme Russel Crowe en Noé, on a envie de lui
dire: Fallait pas y aller ! Matthias s'étonnait justement de la faiblesse du
rapport qualité/prix des blockbusters américains, on peut aussi rester
dubitatif devant les qualités artistiques de ces gros films,
mais comment pourrait-il en être autrement, lorsqu'on voit les sommes
investies, et les personnalités à l'autre bout du chéquier.
Les studios, les producteurs, le
marigot hollywoodien, Joseph Kosinsky connait: pur réalisateur corporate, c'est
lui qui a signé Tron Legacy, produit conçu comme un simple maillon d'une
grande chaine qui devait permettre à Disney de concurrencer Star Wars sur son
propre terrain, celui du Space Opera d'aventure pour 8-12 ans, la création de
Lucas ayant, depuis 15 ans, un monopole quasi absolu sur le secteur. Le
résultat n'a pas été à la hauteur des mémos enthousiastes des anonymes ayant
encadrés la chose: comment, cet univers tout bleu ou on se fait sermonner par
un vieux barbu (comme dans Star Wars pourtant !) dormant dans une chambre
éclairée par en dessous n'a pas passionné les garçonnets ? Dingue ! Disney a depuis réglé son problème en rachetant directement la marque Star Wars et Lucasfilm.
Kosinsky, par contre, avait tiré son
épingle du jeu, en montrant qu'il étaient capable de produire des images assez
fascinantes, de mener une équipe de designers pour transformer un univers kitsh
et désuet en imagerie faussement rétro et vraiment élégante, de soigner des
plans avec un sacré sens du cadrage, en recourant à une mise en scène plus
classique et imposante que tape-à-l'oeil et faussement virtuose.
Des qualités qu'on retrouve dans
Oblivion, auquel Kosinsky tente d'ajouter une dimension narrative plus forte,
tant en termes de rebondissements que d'incarnation.
Mais d'abord, Oblivion flatte
l'oeil. A l'instar d'un Ridley Scott ou d'un James Cameron, Kosinsky est de ces
réalisateurs qui aiment concevoir les objets d'un film. Jusqu'au moindre
détail. Il y a dans Oblivion une extraordinaire maison/base de maintenance
technique dont les douches étaient véritablement fonctionnelles, et pour
laquelle ont été conçus vaisselle, couverts, systèmes d'ouverture de
porte, fauteuils, bref, tout l'environnement domestique le plus banal mais
dessiné à la main pour le film.
Evidemment, ce genre d'accessoire
est en général visible une demi-seconde à l'écran, mais il faut aussi
reconnaitre que, plus peut-être que les inventions plus ou moins innovantes
comme la 3D "real", les possibilités de navigation offertes par le
DVD hier, le Blu-Ray aujourd'hui change la façon de voir un film comme
Oblivion, qui est vendu, à l'instar de l'incroyable intégrale de La guerre des
étoiles, avec son propre musée. Dans un film où chaque ciel est peint par un
graphiste, ou les cuillers ont été pensées en fonction du récit, pouvoir
s'attarder sur tous ces détails via les commentaires, journaux de production,
galeries de photographies, modifie totalement l'expérience du film. Bien sûr,
tout le monde n'a pas envie d'aller à ce point à la rencontre d'un film. Et
c'est certainement le genre de démarches couteuses en apparence inutiles que les studios préfèreraient
éviter. Le modèle révé d'une major, ce n'est pas Transformers ou Fast and
Furious, c'est Paranormal Activity.
Mais à l'instar de Prometheus-
autre monument de SF récente- ces films d'ingénieurs sont souvent au coeur d'un
paradoxe: forcément coûteux, une bonne par de leur beauté profonde est réservée
à un public de passionnés, où, en tous cas, à un public qui à le désir de
chercher à regarder.
Nous discutons depuis quelques
jours du mouvement qui animent les films, en distinguant ceux qui cherchent à
tout prix à accrocher leurs spectateurs, et ceux qui parient sur le désir de
celui-ci de le découvrir.
Sous ses allures de gros
blockbuster (c'est en fait un budget moyen) au service de sa star egocentrique
(qui se met totalement au service des projets- comparez les filmos de Tom Cruise
et Bruce Willis...), Oblivion n'est pas un film qui repose sur sa puissance
pyrotechnique mais sur la qualité graphique de son univers et sur le soin
apporté à la construction de son univers visuel.
Ce qui est déjà largement suffisant
pour me combler.
On peut discuter de la qualité de
l'histoire imaginée par Kosinsky. Elle n'est constituée que de morceaux de
récits pris ailleurs, à tel point que le connaisseur à presque toujours
l'impression de lire un roman dont chaque chapitre aurait été écrit par un
auteur différents, dans sa veine personnelle habituelle: il y a du Heinlein, du
Dick, Du Gibson dans le film, pour ne citer que les pères de familles de SF
ayant eu des descendances si riches qu'elles constituent même des sous-genres:
le récit transposant un conflit mondial en une vision militariste de la
conquête spatiale, celui qui nous amène à douter de notre réalité, ou encore le
pessimisme toujours d'actualité du Cyberpunk constatant l'emprise toujours plus
forte des grandes corporations sur les individualités, via les accessoires
technologiques qu'elle vendent , et qui sont autant de vecteurs de dépendance
et de contrôle. Il y a tout cela dans Oblivion, et tant pis si, c'est vrai, on
voit arriver tous les retournements du récit. Cela ne gâche en rien les
qualités d'un film qui sinon, ne supporterait pas de seconde vision.
La grâce traversant le film
venant aussi de ce que c'est toujours son histoire qui intéresse Kosinsky, et
pas l'adhésion à une formule dans laquelle il faudrait la faire rentrer.
Finalement modeste- le film est un huis-clos ou l'échelle planétaire équivaut à
l'échelle domestique, le drame ne concerne vraiment que 3 personnages.
Un triangle amoureux- et c'est
par ce triangle que le film s'élève au dessus du produit formidablement
fabriqué mais calibré. Deux femmes autour d'un homme- oui, c'est très banal.
Classique de la SF des années
2000- tous publics confondus, de Wall-E à Matrix, le récit repose sur le
conflit intérieur d'un personnage, qui pour autant qu'il appartienne au système
éprouve vis-à-vis de cet environnement une distance
inexplicable. C'était d'ailleurs déjà le cas de Montag dans le Farenheit de
François Truffaut, oeuvre plus séminale qu'il n'y paraît.
Tom Cruise est évidemment cet
ouvrier parfait, et cette part irréductible au système qui l'a produit, c'est,
dynamique de blockbuster oblige, non pas un livre, mais une femme qui va
l'activer. Une femme que Jack (Tom Cruise s'appelle toujours Jack ...) voit en
rêve, à moins qu'il ne s'agisse d'un souvenir ? Comment le savoir, puisque sa
condition de super technicien spatial lui a imposé de se faire effacer la
mémoire avant d'entreprendre la mission qui touche bientôt à son terme. Une
femme, Jack en a déjà une, il l'aime et elle aussi. Situation évoquant celle de
Total Recall, une adaptation de Dick que je n'aime pas beaucoup. On appréciera
le traitement très différent qu'en propose Kosinsky, préfèrant utiliser son
environnement science-fictionnel pour faire interagir les personnages, plutôt
que de les livrer à des scènes de jalousie ou de disputes trop explicites.
Et, qualité rare, le déroulement
complet de l'intrigue apparente- prévisible, mais très plaisante à suivre-
n'épuise pas ce qui s'est joué entre les personnages, qui jusqu'à une très
belle scène dans une cabine spatiale, reposant sur un échange de regards,
maintient un msytère et surtout s'abstient de juger ses personnages. A l'image de ces retrouvailles muettes dans une piscine, ou Kosinsky souligne la rencontre purement charnelle de deux corps à la vigueur arrogante jouissant d'être nus, ou cette autre, qui matérialise en un ralenti tétanisant sur un robot faisant irruption dans son foyer, toute la noire jalousie de Victoria.
L'epilogue du film, que je trouve
bouleversant, est une coda en forme de faux happy-end, difficile à interpréter, mais dont la présence souligne que Kosinsky est un réalisateur
conscient de son vrai sujet, loin du yes
man que son film précédent l'avait forcé à être.
Premier film de cette année
incroyablement riche pour la Science-fiction au cinéma, Oblivion est un film
étonnant, totalement pris dans les modes du moment et en même temps
parfaitement intemporel, il ne vieillira pas plus que son étrange vedette. Il
est aussi emprunt d'une vrai poésie typique de l'anticipation
post-apocalyptique, et cache sous le blanc voile de son univers
techno-hygiénique toutes les passions incompréhensibles qui animent nos coeurs
faillibles.
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