dimanche 5 octobre 2014

5/31 La Mouche, de George Langelaan (1957) par David Cronenberg (1986)





Georges Langelaan est un auteur assez caractéristique des années 50’ pour les genres qui nous concernent. La Mouche se présente certes techniquement comme une nouvelle de science-fiction : c’est un procédé technique encore impossible dans « notre » monde mais précisément déjà découvert dans celui du récit qui permet à ce récit de se déployer. Ainsi en va-t-il depuis les origines de la science-fiction moderne, avec H.G. Wells ou Jules Verne. Toutefois, ce qui fait la science-fiction, c’est le degré de justesse scientifique quant à la spéculation autour de l’innovation de ce qui n’existe encore que dans le récit et le permet. Plus l’on s’éloigne du probable et plus l’on s’approche de l’affabulation, plus le caractère de science-fiction du récit fera place à autre chose, aventure, guerre, amour, politique, etc. L’on a pu ainsi décliner la science-fiction en innombrables sous-genres, hard science, pour la « vraie » science-fiction, speculative fiction lorsque le propos se fait plus philosophique, anticipation, sous la forme de dystopie ou d’utopie lorsque l’on se veut plus politique, Space opera lorsqu’il s’agit de déplacer dans l’espace des aventures qui traditionnellement relève plutôt de l’aventure, etc. Avec Langelaan, nous sommes typiquement dans un récit d’horreur, dont l’origine pourrait tout autant être strictement fantastique.


L’argument est simple et c’est ce qui fait sa force. Le décorum de science-fiction n’est là que comme l’environnement d’un genre dont on suppose qu’il est va permettre plus encore la montée de l’angoisse. Ce qui tient le récit, c’est d’abord et avant tout l’horreur qu’il génère. Et de ce point de vue, la nouvelle de Langelaan est parfaitement réussie. Pour avoir lu ce récit il y a déjà de nombreuses années, j’avais encore le souvenir d’une histoire dont je connaissais déjà à l’époque le dénouement, mais qui néanmoins parvenait à maintenir en haleine son lecteur dans la lente montée de l’horreur qu’elle organisait. A relire dernièrement cette nouvelle, mon souvenir n’a pas été trompé. La Mouche, ça fait vraiment peur !

                Que la phrase « slogan » du film de Cronenberg en 1986 fut : « Ayez peur, ayez très peur », est tout fait en phase avec le cœur de la nouvelle. L’histoire de La Mouche réactive toutefois une vieille figure du fantastique : le savant fou, celui qui se trouve dépassé par son invention, celui qui défie les lois de la Nature, celui qui fait qu’on se méfie de la science. Ce stéréotype est au fond la négation d’une certaine forme de science-fiction, un motif qui fait retour à un certain obscurantisme : celui qui sait est celui qui est dangereux, car il change l’ordre des choses. Il est vrai que dans les années 50’, le péril nucléaire semblait au moins autant le fait des militaires et des politiques que de scientifiques plus sensibles au devenir de l’atome qu’à celui de leurs prochains. Kubrick – on risque de beaucoup parler de lui ces jours-ci…- s’en souvint lorsqu’il créa son Docteur Folamour, occurrence fameuse du savant fou au XXème siècle.

                Cronenberg, en confiant le rôle de Seth Brundle à un Jeff Goldblum halluciné dès les premiers instants du film, semble s’inscrire dès l’abord dans cette tradition. Il faut bien sûr mentionner tout de suite que cette histoire a en 1986 déjà connu au moins deux adaptations, dont l’une, assez fidèle à la nouvelle, sorti sous le titre La mouche noire en France, et réalisée par Kurt Neumann, est restée assez fameuse du fait de la présence de Vincent Price au générique, et parce qu’elle donna suite à quelques séquelles. Toutefois, si Cronenberg paie son tribut à une tradition, son véritable propos comme à son habitude consiste à s’approprier complètement la matière du récit, et à y injecter, en « metteur en scène fou », ses propres obsessions et motifs. On le sait depuis Rage, Cronenberg a l’obsession de la métamorphose. On le sait depuis Videodrome, il a également celle de la fusion de l’organique et de l’inerte. Il existe un autre motif très courant dans l’œuvre de Cronenberg, moins évidement « horrifique », mais vers lequel, il me semble, ses films n’ont cessé de faire signe, jusqu’à son dernier Map to the stars, c’est le Vaudeville. Ce genre théâtral qui met en présence des personnages le plus souvent issu de milieu bourgeois en quête d’aventures sentimentale, et qui laisse sa place à une forme d’humour dont l’angoisse, voire l’hystérie, n’est jamais complètement étrangère, se situe le plus souvent dans un espace clos. Les films de Cronenberg, au moins pour ses plus célèbres, Faux-semblants, Crash, Spider, A History of violence ou Les Promesses de l’ombre, et donc cette Mouche presque inaugurale de ce point de vue, mettent aux prises des personnages « enfermés » dans des espaces mentaux donnés (l’addiction, le sexe, la violence, la mafia, Hollywood), et qui cherchent d’une manière ou d’une autre à fuir, même pour un instant de répit seulement, les contraintes et obligations, l’assujettissement pourrait-on dire, à leur situation dans cet espace, le plus souvent par le biais d’un tiers personnage. Cette évasion hors des conventions de leurs mondes, ces personnages le plus souvent la paient d’une forme de mort ou de folie – le suicide, qui conjugue les deux, est un motif récurrent de l’œuvre du canadien, où le plus souvent il apparaît comme la seule échappatoire possible au bout du compte.

                L’on pourrait prétendre que Cronenberg retient aussi du Vaudeville la question très charnelle de l’adultère : le sexe, comme médium de « l’escapade » hors des contraintes de son milieu, est omniprésent dans son cinéma. L’érotisme de son cinéma, toutefois, loin d’apparaître comme la parenthèse de jouissance au sein d’un univers clos de toutes parts, se révèle le plus souvent comme le déclencheur de la catastrophe, à la fois problème et solution. Dire que la chair est faible et triste chez Cronenberg, c’est peu dire… Cette Mouche en offre l’exemple le plus parfait.

                On a à l’époque beaucoup parlé au sujet de ce film d’un sous-texte allégorique du fléau encore nouveau alors du SIDA. A la vision de certaines scènes, cette analyse tient encore largement aujourd’hui, mais très probablement faut-il plutôt envisager le SIDA comme en phase avec les angoisses cronenbergiennes – le corps et ses métamorphoses/dégradations, le sexe comme vecteur d’affliction, l’isolement et la stigmatisation sociale – que l’inverse : Cronenberg rencontre dans son cinéma quelque chose des angoisses très contemporaines de ces années 80. Son cinéma ne s’est toutefois jamais mieux porté que ces dernières années, preuve qu’il continue avec les mêmes motifs, et un peu d’humour en plus, très vaudevillesque parfois, a rencontrer quelque chose de nos années 2010 qui n’a plus à voir avec la question du SIDA.

                La nouvelle de Langelaan fonctionnait très clairement selon les codes de l’Huis-clos. L’histoire, pour la rappeler, en était simple, ce qui faisait sa force : un scientifique travaillant seul dans son laboratoire sur le processus de téléportation, après une expérience ratée, se retrouve « coincé » dans son laboratoire, et interdit à sa femme, désormais sa seule interlocutrice, de tenter quoi que ce soit pour le sortir de là. L’angoisse puis la montée de l’horreur repose sur l’incompréhension, générant un suspens, dont les résolutions sont graduelles dans ce qu’elles peuvent laisser imaginer au lecteur de l’horreur qui va finalement advenir. C’est que le récit s’est ouvert par la fin : dès l’abord le lecteur sait que le scientifique finira la tête écrasée sous une presse hydraulique manœuvrée par sa propre femme. Lorsque la réalité du drame qui s’est initialement déroulé dans le secret du laboratoire nous sera connue - le scientifique a en partie fusionné avec une mouche incidemment présente dans les cabines de téléportation au moment de l’expérience qu’il a tenté sur lui-même - c’est avec les yeux de sa femme bourgeoise et aimante que nous l’apprendrons, et la solution de l’assistance au suicide apparaîtra finalement comme la seule réponse charitable de la femme à son époux. Le fait que la plus grande partie du récit nous soit rapportée par les courriers que cette obligeante épouse écrit à son beau-frère depuis la prison où son geste l’a conduite, participe de cette empathie qui n’est paradoxalement pas étrangère à l’horreur de la nouvelle. Qui n’a pas un jour frémit à l’idée d’avoir à affronter jusqu’à la mort chez ceux qu’il aime l’abomination d’un indicible tourment ?

                Chez Cronenberg, cette sollicitude toute bourgeoise laisse la place à l’excitation des sens et à l’exacerbation des sentiments. Dès la première scène, la charge érotique, qui ne va cesser de s’amplifier au fur et à mesure du film, s’impose : Seth Brundel, le jeune et beau scientifique joué par un Jeff Goldblum au regard dès l’abord extatique, presqu’aliéné, cherche à séduire Veronica Quaife, jeune et jolie journaliste scientifique, qui semble mener la conversation, comme une professionnelle qui n’hésite pas à user de ses charmes pour faire parler celui dont les prouesses sont susceptibles de l’intéresser. Le champs/contre-champs de leur conversation semble se rétrécir sur leurs visages. C’est autant de lutte que d’envoûtement qu’il s’agit. Les jeux de charme entre hommes et femmes ont décidément bien changé et dans ces années 80’ s’impose désormais aussi au cinéma la figure féminine de la femme qui maîtrise sa vie, son travail, sa sexualité. Le physique de Geena Davis, qui interprète Veronica, participe de ce moment de métamorphose de femmes dans le cinéma de genre. Davis possède encore quelque chose de la « charmante jeune femme », telle qu’on les rencontrait chez les innombrable Scream-Queen des décennies précédentes. Elle est aussi un corps visiblement massif, sculptural, telle que les affectionnent les années 80’. Davis fut brièvement mannequin, à l’instar des Brigitte Nielsen ou Grace Jones, et possède quelque chose de « vorace » assez typique de ces années-là – et éventuellement de la crainte que générait alors pour la gente masculine ces nouvelles configurations féminines…

                Très vite, la relation entre Seth et Veronica va se préciser. Seth accepte de présenter ses travaux à la jeune journaliste, et c’est l’un de ses bas qu’elle cèdera au scientifique pour qu’il lui prouve la réalité de la téléportation. La charge érotique du film est donc d’emblée très forte. C’est bien d’une histoire d’amour « physique » qu’il va s’agir dans La Mouche, et de la catastrophe qui va s’ensuivre. Car Veronica, avant de s’offrir définitivement à Seth, doit solder son passé. Son ex-compagnon, Stathis, qui fut son professeur avant de devenir son patron – et amant – continue de vivre comme si cette jeune femme lui appartenait encore. Si Seth n’a pas de vie privée – il indique tout de suite à Veronica qu’il vit seul, dans ce qui semble plus un hangar délabré qu’un laboratoire scientifique, et ne se consacre qu’à ses expériences – Stathis n’hésite jamais à s’inviter dans celle de Veronica. Les deux personnages masculins fonctionnent d’emblée comme des doubles inversées : tous deux brillants, mais l’un franc, l’autre fourbe, l’un presque sauvage – toujours vêtu de la même tenue, l’autre très raffiné, soignant son apparence et ses intérieurs – le bureau de Stathis est exactement tout ce que n’est pas le laboratoire de Seth. Même leurs noms semblent se répondre et s’exclure. Si l’un est la réactualisation de cette figure ancienne du savant fou à la Frankenstein, l’autre a tout du connard d’executive assez typique des années 80. L’histoire de La Mouche s’ouvre donc sur le choix de Veronica de passer d’un homme à un autre, d’un chaperon qui relève plus du papa incestueux, à celui du gamin fantasque. Dans les deux cas semble-t-il toutefois, le choix apparaît truqué : les deux finalement vont se conduire de la même manière, suivre leur(s) instinct(s) qu’ils pensent infaillibles, en grands fauves se battant pour la femelle…

                L’on retrouve souvent chez Cronenberg ces personnages féminins évidemment ambigus, mais néanmoins touchant en ce qu’elles se heurtent aux contradictions des hommes. Bien sûr, le regard de Cronenberg est plutôt cruel quand il s’agit de regarder les relations entre hommes et femmes. C’est souvent le dépit amoureux, voire sexuel, qui provoque la catastrophe, comme il en va dans ce film, dans lequel à la suite de l’interruption d’une nuit d’amour par Veronica, Seth, dans un accès de déprime alcoolisée, décide de tester sur lui la machine et provoque la fatale fusion avec la mouche du titre. La reprise de l’idée de la nouvelle, légèrement modifiée, permet l’instillation de l’érotisme si particulier de Cronenberg dans le récit. Aux jeux d’affrontement entre hommes et femmes, entre mâles pour la femelle, entre la machine et la chair, s’ajoute désormais un nouveau duel, celui de l’homme et de l’animal, littéral, quand la mouche accidentellement « ingérée » a en fait pénétré le grand fauve et va le subvertir lentement mais sûrement en une créature d’abord triomphante, puis très vite pathétique. Ce motif de la pénétration des uns chez/dans les autres se répète tout au long du film, doublé d’un arrière-plan claustrophobique, qui appuie la lecture vaudevillesque du film, mais bien sûr d’un vaudeville qui va s’abîmer dans l’horreur.

                La première nuit entre Seth et Veronica, après que celle-ci a définitivement éconduit son ancien amant, se conclue sur une série de prouesses physiques, dont les premières nous seront chastement suggérées, notamment par les secondes, lorsque Seth tout à coup peut devant les yeux de sa belle – mais en slip tout de même, nous sommes déjà dans les pudibondes années 80’…- se livrer à des exercices gymniques dont il ne se pensait évidemment pas capable. S’agrippant aux poutres de la charpente d’acier de son laboratoire, tournoyant dans les volumes du grand loft sans plus sembler se soucier des effets de la gravité, Seth s’est comme libéré de ses angoisses : il connaît désormais la chair, et va entreprendre dans les scènes suivantes le développement de cet enseignement. Alors qu’il veut faire « faire le voyage » à Veronica – lui permettre de se téléporter à son tour, persuadé qu’il est que cela purifie le corps de ses attaches et contraintes – cette dernière résiste tout à coup. Le point de vue du spectateur se double désormais de celui de la jeune femme. Nous, nous savons ce qui est arrivé à Seth, nous avons vu les quelques gros plans de la mouche qui ne laissent aucun doute sur ce qui est en train d’arriver au scientifique abusé par son hubris. A l’instar de Veronica, nous avons déjà compris que quelque chose ne tournait pas rond, et que l’horreur vient de commencer à se révéler, d’abord sous ses atours les plus séduisants. Seth, l’amant visionnaire et presque lunaire, vient certes comme une confirmation de s’arracher aux lois de l’attraction et des convenances, mais c’est pour se précipiter plus avant dans le règne de la jungle animale.

                Cette distinction entre ce qui semble faire la civilisation, jusque dans ces jeux pervers de séduction, et la sauvagerie, qui se passe de règles tout en rééditant ces mêmes jeux, est l’un des éléments forts du film. La brutalité animale se pare chez Cronenberg d’une immense fascination. Tout à coup, alors que Seth congédie cette Veronica décidément trop prudente pour lui, Cronenberg le filme rôdant fièrement dans les rues interlopes de la ville, accompagné de la musique inquiétante et néanmoins triomphante de Shore, en quête d’une proie, sexuelle et « scientifique ». La mutation du personnage nous est ainsi présentée tout de suite comme menaçante : Seth est devenu le nouveau représentant d’une espèce qui ne laissera sa chance à aucun des spécimens habituellement les plus dominateurs de l’ancienne espèce. La scène de bras de fer – ça, c’est pour le Chef de gare… - qui suit, se résout violemment lorsque Seth, pour emporter le trophée, une jeune femme aux attributs assez évidents, rompt littéralement la puissance de son adversaire, le typique gros bras américain. L’horreur, notamment visuelle – le « match » se termine par une fracture ouverte – va désormais devenir le seul accomplissement de cette lutte des fauves pour la domination. Seule scène à nous mettre en présence du monde extérieur, le film va maintenant se refermer sur les trois personnages du drame – auquel s’ajoute le fantasme d’un quatrième, l’enfant dont Veronica est enceinte, fruit du péché, « punition » de l’évolution, dont la brève et cauchemardesque apparition dans un rêve de Veronica ne laisse plus aucun doute : il faut maintenant avoir peur, avoir très peur…

                Il n’y a pas à proprement parler de suspens dans le film de Cronenberg, contrairement à la nouvelle de Langelaan. La transformation progressive de Seth en un monstre vaguement insectoïde – le travail de maquillage ne cherche nulle « cohérence » entre l’homme et la mouche  - est d’abord présentée comme un processus répugnant qui finit par isoler Seth et Veronica du reste du monde. Il n’y a nulle scène de dévoilement du monstre. Nous assistons progressivement à l’advenue de l’horreur, et la tension du récit repose beaucoup plus dans la dilatation de celle-ci que dans sa soudaine apparition. Dans la nouvelle, le suspens se résolvait en partie lors du moment de l’apparition du monstre, quand la narratrice découvrait brutalement la vérité, dans une écriture d’ailleurs toute cinématographique qui n’était pas sans rappeler la scène de dévoilement du fantôme dans Le Fantôme de l’opéra de Julian : apparition du monstre d’abord dans les yeux de celle qui le découvre, avant que nous ne soyons nous-même dans son regard à elle. Dans le film de Cronenberg, nous retrouvons néanmoins un certain nombre d’éléments propre au film de monstre : le monstre pathétique qui a conscience de son état et refuse que la « Belle », même émue par son malheur, le touche ; la dégradation inéluctable et douloureuse, semblable à un martyr ; mais aussi la duplicité et la haine qui oppose le monstre au reste du monde, son farouche désir de conformisme, le meurtre qu’il est prêt à commettre pour retrouver sa place parmi les hommes. Nous ne sommes pas très loin de Frankenstein et sa fiancée.

                Au fur et à mesure du film, l’espace, les décors, le corps de Brundle, tout se désagrège progressivement. Le décor, les règles, les convenances, tout finit en désordre, ne restent plus que les reliefs des constructions physiques et mentales qui existaient avant la catastrophe. Chacune des scènes qui suit, si elles n’empêchent pas de faire avancer le récit, se résolvent surtout dans ce qu’elles montrent du délabrement de Seth au quotidien : la nourriture, la toilette, jusqu’à sa voix qui devient incompréhensible à la machine pour laquelle elle était une signature inimitable. Seth est devenu un autre. Et Veronica ne peut plus se souvenir en le regardant que de celui dont elle était tombée amoureuse. On retrouve là quelque chose de la nouvelle de Langelaan, dans laquelle le scientifique demande à sa femme de la tuer si elle aime encore celui qu’il était et qu’il n’est plus.

                Lors de la dernière séquence, lorsque Seth tente un dernier sauvetage de son humanité, sinon de son individualité, et pour se faire prétend fondre en un seul être ce qu’il est devenu, Veronica et l’enfant qu’elle porte - « la famille idéale, on fusionne, toi, moi et le bébé », lui dit-il – Stathis le mâle habituellement dominateur retrouve quelque crédit. Il vient, naturellement, au secours de la jeune éplorée, et même s’il doit en payer le prix, et s’en trouer diminué – deux de ses membres seront réduits en bouillie par le monstre – finit par vaincre la créature au cœur de son antre, renouvelant par là le seul dénouement possible dans ce genre d’histoire – que l’on pense une fois encore à notre Fantôme de l’opéra. L’horreur visuelle qui se dégage de ces dernières scènes a beaucoup contribué au succès du film. Il faut bien le dire, ces scènes sont quasi-insoutenables, aussi parce que si elles sont excessives, elles ne sont néanmoins jamais hystériques. L’on peut penser un peu alors au The Thing de Carpenter et à ses monstres dignes d’un Jérôme Bosch. La dernière mutation de Seth, un peu symbolique, le voit fusionner avec un morceau du pod, la cabine qu’il utilise pour sa téléportation. Il devient ainsi un monstre complet, au regard du règne du vivant tout entier. Il n’est même plus seulement le produit de la fusion de deux êtres vivants, mais d’un être vivant et d’une matière inerte. Il n’est plus rien de cohérent, plus rien de viable. Les chiffres qui s’égrènent alors sur l’écran de contrôle de la machine commentent l’abomination : la prochaine mouche, celle qu’inévitablement nous reverrons un jour sur les écrans hollywoodiens n’aura plus même cette matière pour nous faire horreur. Elle ne sera plus que le résultat de combinaisons numériques dont sera évacuée toute chair, quand bien même est-elle de latex. Certes, c’est là moi qui brode un peu, mais il y a quelque chose dans ces dernières images du film, qui n’a nul épilogue autre que l’explosion littérale du monstre, comme la conscience d’un monde en pleine mutation, et dont on ne peut pas dire que cela soit vraiment rassurant. Quelque chose d’assez raccord avec le suicide de la femme du scientifique dans la nouvelle, dont tout espoir semblait évacué, de la même façon. L’horreur, la vraie… 


La Mouche (The Fly), George Langelaan, 1957, GB

La Mouche (The Fly), David Cronenberg, 1986, USA

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