Je vais donc terminer ce mois d’octobre là où je l’ai
débuté, quelque part au milieu du désert du Nouveau-Mexique, au pied de la
forêt d’antennes parabolique du Very Large Array, paysage qui ouvrait 2010,
l’année du premier contact, et qui conclue ce Contact, dont l’histoire est très proche de celle initialement
racontée par Arthur C. Clarke : et si une intelligence extra-terrestre
tentait d’entrer en contact avec nous, pourrions-nous même seulement la
comprendre ? Ce n’est pas tout à fait un hasard si j’ai, pour ma part,
choisi de terminer avec ce film, exemplaire typique de ce que produit au cinéma
la hard SF, sous-genre en fait rarissime sur les écrans, et pour cause :
de science, il n’en est jamais question dans ce film, moins encore que dans
celui de Hyams, dont le roman dont il s’inspirait tout au moins présageait dans
son récit d’une possible adaptation pour l’écran, quand dans le roman de Sagan,
il est question sinon de l’émerveillement, tout au moins de l’étonnement scientifique à chaque page quasiment…
Il y a dans cette science-fiction littéraire,
il me semble depuis ses origines, quelque chose qui nous renvoie vers le merveilleux dans son sens non moderne
mais presque médiéval. Le monde est vaste et il est étrange, certes, mais il
est aussi extraordinaire à certains égards : il se passe dans quelque
contrée mystérieuse des phénomènes qu’il vaut la peine d’observer, de décrire
et de tenter d’expliquer, par la tradition, la science, la philosophie. Cette
démarche, à la confluence de l’ardeur de l’imagination, de la rigueur de
l’esprit scientifique et du souci d’émouvoir, c’est ce qui fonde par exemple le
récit de Marco Polo ou celui de Jean de Mandeville, dans le Livre des merveilles du monde. Certes le
souci « scientifique » cède souvent
le pas aux aventures fantastiques, et ces relations sont souvent d’abord
celles de « Voyages extraordinaires », pour faire signe vers l’un des
auteurs français qui a créé la Science-fiction moderne. Mais ces relations de
voyages sont aussi l’une des origines de la littérature universelle, si l’on se
souvient que le plus fameux de ces récits porte le nom de son personnage
principal et fut rédigé il y a près de trente siècles… « Odyssée » –
voilà bien un terme qui pourrait, à l’image de la fameuse séquence du film de
Kubrick, faire l’ellipse de cette histoire des expéditions vers l’inconnu,
depuis Homère jusqu’à Clarke ou Sagan !
Cet émerveillement, ce sens of wonder si particulier, constitué
d’appétences presque contradictoires les unes avec les autres, reste, me
semble-t-il, ce qui fonde la Science-fiction aujourd’hui. L’Univers est vaste,
et les phénomènes que l’on peut observer dans les marches de notre Voie Lactée
ou au cœur de Galaxies lointaines, recèlent pour l’homme du XXIème siècle
autant de mystères et de promesses que pouvaient en renfermer l’énigmatique
Royaume du Prêtre Jean ou les monstres
chimériques de l’Inde pour celui du Moyen-âge. C’est que la fascination et
l’effroi, l’espoir et la peur cohabitent dans le même désir de voyage, cet élan
qui nous attire vers l’Ailleurs, vers cet autre
monde, qui pour les hommes du Moyen-âge pouvait prendre la forme d’un outre-monde, jamais strictement distinct
du leur, et sur lequel l’astrologie ou l’alchimie pouvait donner quelque accès ;
et qui chez nous s’est affublé des oripeaux plus ou moins adéquats de la
physique et de l’astronomie. Il y a probablement dans la très moderne théorie
de la relativité générale ou dans celle plus complexe encore de l’intrication quantique
quelque chose de cet « enchantement » propre à l’inconnu :
l’étoffe du monde n’est pas tissée de ce qui nous semblait si évident. C’est
dans la quête de cette hermétique substance de l’Univers que continue de
résider notre goût de la Merveille, si monstrueuse peut-elle parfois être – que
l’on pense ainsi aux conséquences des théories d’Einstein en physique nucléaire
et à la crainte « post-apocalyptique » qu’elles suscitèrent durant
plus de trente ans, en littérature et au cinéma notamment. D’une façon
générale, c’est dans le secret de ces mystères de la matière que se sont
élaborés la plupart des récits dont il fut question tout le mois : avec
les monstres de La Mouche, de L’homme qui rétrécit, d’Invasion ou encore du Survivant, avec les paysages stupéfiants d’après la catastrophe de Apocalypse 2024, de La Route ou
de La Planète des Singes – tout au
moins celle de 1968… Ce qui nous demeure inconcevable, voilà ce que la
science-fiction veut pouvoir saisir, par la forme, par le concept, par le
récit. Un geste à la fois humble et orgueilleux : certes nous ne sommes
rien, nous en prenons la mesure par les dimensions incommensurables de ce monde
que l’on sait être le nôtre, mais nous sommes tout, car nous avons cette
disposition à l’entendement, qui même si elle est limitée, nous laisse
l’opportunité d’imaginer et de concevoir jusqu’à ce qui nous dépasse !
Un tel portrait de la
science-fiction renvoie toutefois à un autre grand domaine de l’esprit humain,
c’est bien sûr celui de la religion et de la foi. Que ces deux
« espérances » puissent se confondre n’a cependant rien de trop
surprenant : dans les deux cas, il s’git bien de percer le mystère
métaphysique de notre présence au monde. Les moyens utilisés sont radicalement
dissemblables toutefois, et la question de l’opposition frontale de ces deux
comportements – celui du croyant d’un côté, celui du scientifique de l’autre –
est au cœur du roman de Sagan, Contact.
Il est clair que, dès lors que l’on tourne la tête vers les étoiles, la
question ou de Dieu ou de sa version laïque, les extra-terrestres, peut assez
vite se poser. Tout le New-Age – terme construit sur le modèle du « middle
age » - issu des années 60’ et 70’ fait l’amalgame entre ces deux
questions, et le rapprochement de certaines de ces tendances avec l’ufologie la
plus paranoïaque reconstruit la figure divine à partir du présupposé de
l’existence des extra-terrestres – c’est par exemple le cas des scientologues
ou des tenants de la théorie dite des « anciens astronautes ». Au
fond, la question n’est plus celle de l’existence de Dieu – qui aurait créé la
Terre, l’Homme, le Bien et le Mal – mais celle de l’existence d’une
intelligence non-terrestre – qui aurait créé pourquoi pas ?, la Terre,
l’Homme, le Bien et le Mal… Rien de bien neuf sous le soleil, on le voit,
simplement une variation « science-fictionnelle » de l’éternelle
question divine : sommes-nous seuls, désespoir métaphysique du
« dernier homme », ou ne le sommes-nous pas, espérance spéculative du
« rêveur » contemplatif ? Je ne me moque pas de cette question,
foncièrement elle est ce qui m’émeut réellement dans la littérature de
science-fiction. La conclusion de Temps,
roman de Stephen Baxter, qui voit s’effondrer notre Univers pour qu’un autre
puisse exulter à sa place, est non
seulement une magnifique idée de science-fiction, absolue, radicale, entière,
mais c’est aussi une très belle parabole de notre condition, par les moyens narratifs
qu’utilise alors l’auteur – je n’en dis pas plus et vous laisse découvrir!
Il n’empêche que cette émotion
devant l’ineffable me semble être le
moteur de la science-fiction, et celui-ci s’exprime le mieux dans le motif de
l’extra-terrestre : à la fois tellement ridicule et tellement espéré. Carl
Sagan, dans Contact, son seul roman,
expose l’histoire d’Ellie Arroway, jeune scientifique en charge d’un programme
proche du SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) - auquel Sagan
lui-même collabora – qui se heurte non seulement à la communauté scientifique
et administrative qui « tient » la Recherche et pour laquelle toute
cette spéculation autour de la question extra-terrestre est plus proche de la pseudoscience
de type astrologique que de la recherche d’intérêt scientifique à proprement
parler, mais aussi aux religieux et croyants du monde entier, qui finissent par
voir dans l’odyssée d’Ellie vers les confins de l’Univers la contestation de
l’ordre divin du « méta-monde », qu’ils tiennent tous pour inattaquable.
Sagan est par ailleurs connu pour son scepticisme,
doctrine philosophico-scientifique et épistémologique, qui consiste à soumettre
toute théorie à la production de preuves, voire à l’exigence de reproductibilité de ces preuves. Sagan
en ce sens ne peut être soupçonné a
priori de faire partie de ces illuminés ou de ces paranoïaques qui voit des
UFO partout ! Il dénoncera d’ailleurs régulièrement l’ufologie comme
pseudoscience jusqu’à la fin de sa vie. De la même façon, son rapport à la
religion l’éloigne résolument de tout mysticisme ou revivalisme de tout poil.
Son héroïne dans Contact est athée et
le reste jusqu’à la fin du roman, ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs, de se
questionner sur la dialectique entre la foi et la preuve. Tout le roman est
ainsi construit comme une longue progression dans l’esprit critique et
scientifique, et même si, s.f. oblige, nous sommes bien en présence d’une
intelligence extra-terrestre, l’existence de celle-ci est surtout l’occasion de
s’interroger sur notre rapport à l’Univers et dans le même (espace)temps, à nos
semblables - le programme de la science-fiction en quelque sorte !
Dire donc au sujet de
l’adaptation pour le cinéma que fit Robert Zemeckis de ce roman – très
probablement inadaptable en l’état par ailleurs – en 1997 est de l’ordre non de
la trahison, mais bien plus traîtreusement encore de la révision la plus malhonnête, c’est peu dire, et cela permettra
toutefois de conclure, au moins provisoirement, sur l’impossible alliance entre
littérature et cinéma à Hollywood...
Zemeckis fait partie de cette
génération de cinéastes issus des écuries Spielberg et Lucas, réalisateur
habile, technicien hors pair et money
maker à (presque) tous les coups. Ses films les plus célèbres sont bien sûr
Retour vers le futur et ses deux
séquelles, dans lesquels se dit quelque chose de son rapport à l’histoire,
entendez de la manière qu’il a d’envisager, comme par méta-regard, le récit
qu’il est en train de traiter, manière de faire qu’il poussera jusqu’à son
paroxysme dans le très lacrymal Forrest
Gump, probablement son film le plus « personnel », dans lequel il
s’agit non seulement comme dans sa trilogie adolescente de réécrire l’histoire
d’une famille, mais bien, ni plus, ni moins, de réécrire les trente dernières
années de l’Histoire des Etats-Unis d’Amérique ! Ce film n’a jamais aussi
bien traduit l’expression prêtée à Shakespeare – inspirée en fait d’une tirade
de Macbeth – qui veut que l’Histoire
est un conte plein de bruit et de fureur raconté par un idiot… Qui signifie
néanmoins quelque chose, et si le message n’était pas forcément évident dans Forrest Gump, il va devenir limpide dans
Contact, son film suivant : la
Nouvelle Frontière, ce n’est plus l’Espace, c’est la Foi !
Le film s’ouvre sur un long plan
séquence, techniquement virtuose, qui nous entraîne des abords de notre planète
Terre jusqu’aux confins de quelque galaxie éloignée de milliers
d’années-lumière. La beauté de ce plan, toute cinématographique dans sa
fastueuse majesté, tient au moins autant au son qu’à l’image. Zemeckis nous
entraîne également du vacarme « radio » de la Terre aux silences
insondables de l’espace intersidéral. Il reprend là, et l’inverse, le premier motif du roman de Sagan, qui nous décrit
comment les ondes du message que vont transmettre les entités extra-terrestres
à la Terre déroulent leur trajet depuis ces confins cosmiques jusqu’à nous. Une
belle idée de cinéma permet toutefois de donner forme à un phénomène tout à
fait scientifique et souvent présent en littérature quand il est complètement
absent du cinéma : le rapport intime de l’espace et du temps. Plus nous
nous éloignons de notre planète, et plus le « bruit » qui accompagne
notre voyage remonte le temps. Nous traversons des nappes de « sons »,
comme l’on dit à la radio, que l’on reconnaît fort bien, tant ils sont
célèbres : le premier message de Neil Armstrong lorsqu’il pose le pied sur
la Lune, l’annonce de la mort de Kennedy, le bip-bip de Spoutnik, et enfin
parmi les premières images radiodiffusées de l’histoire de l’humanité,
l’ouverture des Jeux Olympiques de Berlin par Hitler en 1936. D’une certaine
façon, Zemeckis, probablement malgré lui, fait là comme l’archéologie de ce qui
va devenir le motif obligatoire de tout film américain à partir des années 70’,
mais en le renversant : la télévision, par ailleurs omniprésente durant
tout le film, parfois montée dans le cours du film, ne se voit pas, elle
s’écoute, et nous représente, jusque dans ces espaces subvertis en temps. Un
tel « regard », auditif, sur l’ère audiovisuelle, qui met en
parallèle l’éphémère de l’actualité, toute entière contenue par le médium
télévisuel, et la permanence des formes de l’Univers, voilà qui ne manque pas
d’habileté, et d’une certaine beauté, et qui pourrait rendre grâce à l’écriture
très technicienne de Sagan, si le
reste était à l’avenant… On peut aussi adopter une lecture de cette scène très
« Terro-centrée », et qui n’envisage l’espace que comme la caisse de
résonnance de l’Humanité, espace vide de toute autre rumeur – et là, nous
sommes très loin de Sagan, qui écoute
non la Terre mais l’Univers, même si ces sons n’ont aucun autre sens que leurs formes. Sagan, à travers son personnage
d’Ellie, agit alors comme un artiste, quand Zemeckis se fait pasteur.
Nous passons dans une seconde
séquence, qui est l’ouverture réelle du film, à l’enfance d’Ellie Arroway,
personnage « équivalent » au roman, interprétée, adulte, tout à fait
correctement, par une Jodie Foster qu’on sent pénétrée de la gravité de son
rôle. Dans cette seconde partie du film,
nous découvrons donc une très jeune fille tout en tendresse à l’égard de son
papa, gros nounours qui donne sentencieusement sens à tous les propos de sa
fille passionnée de radiodiffusion. C’est que la jeune Ellie est un peu
lunaire, probable pendant à la mélancolie qui l’habite depuis la mort de sa
maman… Je me moque, je me moque, certes, mais tout de même, prenons un instant
pour voir autour de quoi s’articule le premier chapitre du roman : autour
de π, rien de moins, rien de plus ! Pas de maman morte, pas de
sentimentalisme souligné à tout instant, non certes par la musique comme dans
le film, nous ne sommes pas au cinéma, mais par exemple par des
« anecdotes » qui nous rendraient cette Ellie fragile et sensible à
la fois… Rien de tout cela, mais quelques longues pages sur le ravissement de
la découverte du nombre irrationnel. Difficile d’imaginer faire littérature
avec ça, surtout lorsque l’on est très clairement plus un scientifique qu’un
poète, et bien, il faut croire qu’il y a un peu du second dans le premier. Le
personnage d’Ellie nous est présenté, d’abord dans son enfance, puis dans son
adolescence et son jeune âge adulte, comme une femme qui sait ce qu’elle veut,
aux goûts et désirs sûrs, à l’intelligence affirmée, qui n’est ni fragile, ni
sentimentale, qui a le goût de la
science, et ce plaisir de l’étonnement, ce sense
of wonder que nous évoquions plus haut. IL y a probablement là quelques
pages qu’il faudrait lire à toutes les jeunes filles pour éclairer chez elle le
juste sentiment que la science n’est ni masculine, ni féminine, ni chaude, ni
froide, ni abstraite, ni concrète, ni dure, ni molle, qu’elle est pour tous,
pour peu que l’on puisse s’émerveiller, tout simplement.
Il n’est certes pas question de
cela chez Zemeckis, qui dès l’ouverture du film, psychologise et comme féminise
(rien de féministe là-dedans toutefois, bien au contraire) la vocation de son
héroïne : Ellie sera scientifique pour retrouver son papa qu’elle aimait
tant et qui est mort brutalement. Qu’un personnage féminin puisse se destiner
authentiquement à une carrière scientifique ne semble pas possible dans le
monde de Hollywood tel que l’envisage Zemeckis. Foster apparaîtra d’ailleurs à
plusieurs reprises ensuite comme le modèle de ce que l’on appelait encore à
peine le geek en 1997, cet être, dès
lors qu’il est féminin, asexué, et forcément immature, voire douteux, dans ses
relations avec ceux de l’autre sexe. Toutefois, bien plus que ce regard
strictement normatif sur son personnage féminin, c’est d’abord et avant tout le
point de vue qu’adopte Zemeckis qui me semble totalement contredire Sagan, et
partant, indiquer quel est réellement son projet esthétique.
Il est fait dans le film un
usage important, voire excessif, de la steadycam, cette caméra élégante et
aérienne dont nous avait parlé le Chef de gare au tout début de ce mois. Il est
certain que Zemeckis maîtrise tout à fait cette technique, et notamment lorsque
les mouvements de sa caméra servent d’abord à nous raconter une histoire, celle
par exemple des relations de pouvoir qu’il existe au sein de la Maison Blanche,
antre du Pouvoir s’il en est, entre Administration, Sécurité et scientifiques –
un peu à la façon dont Verhoeven filmait les relations sentimentales de ses
personnages dans Starship Troopers.
Mais c’est lorsque cette grammaire de la steadycam devient particulièrement visible que le projet de Zemeckis se
présente à nous. A l’occasion des scènes « paternelles », dans de
longs plans-séquences – assez virtuoses – accompagnés de la musique attendrie
de Silvestri, la caméra, presque systématiquement, passe gracieusement du
dehors (le jardin, la rue, la planète près de Véga) au dedans (la maison,
l’appartement, la capsule spatiale), jusqu’à rejoindre l’intériorité du
personnage d’Ellie : cette caméra, c’est évidemment le regard de Dieu. Le
fait que l’autre personnage « positif » du film, entendez le Forrest
Gump de l’histoire, celui auquel il ne peut être fait reproche d’aucune
ambiguïté, soit aveugle, à l’instar d’un prophète véritable, qui verrait
au-delà des apparences, et qui est un ajout par rapport au roman, participe de
cette grammaire du regard omniscient qui n’est jamais un point de vue. D’une
certaine façon, dans Contact, tout ce
qui fait sens est incontestable, le hors-champ n’existe que comme l’espace
paranoïde qu’il s’agit d’abord de supprimer – la scène de l’attentat terroriste
du « fou de Dieu » est à cet égard assez éloquente : Ellie pressent
le drame en manipulant les caméras de surveillance du site de lancement de la
capsule stellaire, et le moment de la perpétration de l’attentat nous est ainsi
présenté sous la forme littérale d’un split-screen qui nous montre d’un côté le
terroriste mettre à feu son engin explosif et de l’autre le collègue d’Ellie,
présent sur le site, mais qui lui n’a rien vu. Ellie, dans le film, possède
donc ce « don » de l’omniscience, à l’instar de Kent, son camarade
aveugle, et bien sûr à l’instar du cinéaste, qui se fait dans ces quelques
scènes démiurge accompli.
C’est je crois cet aspect du
film qui me semble à la fois le plus maîtrisé et le plus déplaisant. Zemeckis
fait tout à fait œuvre de cinéma dans ce film, que l’on peut bien sûr
sous-estimer, ce n’est quand même pas le chef d’œuvre du siècle, mais dont le
projet n’est pas à prendre à la légère. Zemeckis pose un regard révisionniste sur l’histoire qu’il est
en train de nous présenter. On pourrait prétendre, avec une certaine dose de
justesse, qu’après tout c’est ce que font tous les cinéastes qui s’attaquent à
un récit originellement littéraire. Mais dans sa mise en scène Zemeckis réécrit
l’histoire de Sagan avec les moyens du cinéma comme pour contrebalancer ceux de
la littérature : ce qui compte, ce ne sont plus les exercices
intellectuels vertigineux du roman, mais bien le sentimentalisme des
situations, qui ne peut plus déboucher que sur la négation du projet sceptique de Sagan au profit d’une conviction religieuse qui a à voir avec
le messianisme que l’on pouvait apercevoir dans les films relevant du genre post-apocalyptique.
A la différence toutefois, et c’est bien là qu’il y a révisionnisme, que
Zemeckis renverse la charge de la preuve : il ne s’agit plus de démontrer
l’existence de Dieu, exercice anselmien de grande rationalité, mais bien son inexistence,
projet d’un prétendu scepticisme qui pourrait nous abuser et qui en réalité s’avère
de la plus grande hypocrisie. C’est que la
scène du film, celle de l’interrogatoire d’Ellie par un jury international pour
décider lequel des candidats va aller à la rencontre des extra-terrestres, est
d’abord celle d’une inquisition - « Croyez-vous en Dieu ?» est la
seule question qui importe-, qui s’assume tout à fait comme telle : si tu
ne peux faire la preuve de l’inexistence de Dieu, c’est qu’il existe ! Et
que, incidemment, tu n’as donc pas le droit de parler au nom de l’Humanité,
croyante avant toute chose…
Lorsque finalement Ellie prendra
la place de l’« astronaute » initialement choisi et décédé dans l’attentat
contre sa machine, elle n’y parviendra que par le concours d’un industriel « apatride »
richissime et aux pouvoirs occultes, et de russes qui continuent de désigner
leur collègues par le terme de « camarades », et chez lesquels le
fameux industriel s’est réfugié… Je vous laisse décoder tout ceci, qui n’est
certes pas filmé avec légèreté par le camarade Zemeckis…
Après quelques séquences un peu « kubrickiennes »
et sans doute obligatoires, et néanmoins techniquement irréprochables, le film
s’achève par l’apaisement ultime d’Ellie, qui a fini par trouver la Foi. Le
projet de Zemeckis est parvenu à son terme : au scepticisme de Sagan, il
est parvenu à substituer l’obligatoire
« intelligent design », cheval de Troie de toute la réaction
religieuse américaine qui allait triompher dans les urnes deux ans plus tard…
On a vu depuis ce que tout cela a donné. Il est surprenant de se dire que la
Nouvelle Frontière de Kennedy est devenue celle messianique de Bush fils, et
que les années 90’, toutes clintoniennes – le Président américain apparaît d’ailleurs
dans le film, apparemment contre l’avis de la Maison Blanche !,
révisionnisme ultime !- ont préparé à Hollywood notamment, repaire
habituel de « gauchiste » pour cette extrême-droite américaine, ce
mouvement obscurantiste qui devait déboucher sur les errements qu’on connait. C’est
qu’au-delà de la politique, on touche sûrement avec Contact, le film !, quelque chose d’essentiel à la psychè
américaine. Toutefois le film fut un échec relatif – peut-être était-il un peu en
avance sur son temps ? – ce qui n’empêcha pas Zemeckis de continuer à produire
pour le grand écran, et quelques très grands succès, notamment sa révision du
mythe de Robinson avec Seul au monde.
Pour achever ce mois en
compagnie de films et de livres, je me demande qui se souvient encore de ce
film ? Très probablement a-t-il pour très longtemps obérer la confiance
que l’on peut accorder a priori au roman
de Sagan, pouvoir immense et abusif du cinéma sur la littérature. Que j’ai eu
envie de retourner vers ce navrant Contact
par les mentions de l’ouvrage de Sagan à travers d’autres romans de Science-fiction
me laisse croire toutefois que la littérature aura toujours un avantage sur le cinéma :
son privilège, à l’instar des étoiles dont la clarté nous parvient des siècles
après qu’elles ont cessé de briller, tient dans son inactualité essentielle. Et le Contact,
l’original, celui de Sagan, demeurera, et donnera peut-être lieu à d’autres
versions, à l’instar des grands livres que l’on n’a jamais fini de lire.
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