mardi 29 octobre 2013

Yankee Holmes






Young Sherlock Holmes (Le secret de la pyramide), Barry Levinson, USA, 1985



Combien de temps ont vraiment duré les années 80 ? Il semble que pour une partie des jeunes quarantenaires ayant pris le pouvoir à Hollywood, elles durent toujours. Et l'esthétique du cinéma grand public de l'époque représente un tel foyer de sensations et d'images chéries par ces réalisateurs qu'il en est même, parfois, pour tenter de rejouer rien que pour eux (et quelques millions de spectateurs), presque dans leur arrière-cour, un de ces titres aux résonnances magiques pour la plupart des enfants nés entre 65 et 75. Au sommet de ces nostalgiques, la figure de JJ Abrams est emblématique, puisqu'après un Super 8, qu'il aurait voulu faire prendre au spectateur pour un produit Spielberg tourné en 83, et retrouvé en 2011, c'est aux commandes d'un renouveau de Star Wars, qu'on imagine (et espère), bien vintage qu'on l'attend. Sans parler de ses deux Star Trek, dont le second retrouve (enfin) la recette magique des divertissement estampillés Amblin' (ou Lucasfilm !), mélange d'aventures sans arrières pensées, d'humour, d'action élaborée, de musique symphonique grandiose et d'un ingrédient dont la composition est toujours gardé secrète. C'est le même qui vous rend accro à Indiana Jones, Retour vers le futur ou Explorers.
Une formule que possède Barry Levinson à l'époque de Young Sherlock, soit le mitan exact des années 80, qui allaient-déjà- livrer leurs derniers chef d'oeuvres.

Le secret de la pyramide, c'est même l'exemple type du film "formulaic"- film formulaire ?- Tout ce qui faisait le succès des films grand public à l'époque est là: Des héros à la frontière de l'âge adulte, des péripéties feuilletonesques, du fantastique aux limites de l'horreur, un héros intrépide et fonceur, émule teenage d'Indiana Jones, associé à un buddy maladroit (là encore comme dans les Indy de Lucas) et à une jeune fille entreprenante (avec qui le héros a une relation amoureuse compliquée), l'association des trois formant un groupe de copains bien dans la tradition, du club des cinq aux Goonies.
Mais quand on a recourt à une recette, c'est qu'on en espère de grandes. Ici, on a procédé par addition de formules gagnantes: Indiana Jones + Goonies + Amblin' =...Gros bide ! Douleureux échec pour ses instigateurs, Young Sherlock Holmes nous rappelle que la merveilleuse liberté du public, la souveraineté du jugement esthétique, qui autorise à écarter d'un revers de manche le menu pourtant presque scientifiquement conçu pour nous allécher les papilles. On préfère néanmoins quand cette liberté du spectateur s'exerce à l'encontre des exécutifs sans âme ni culture en provenance des banques et du monde du management financier plutôt qu'envers des objets aussi aimables que ce Secret de la pyramide.
Car tout produit qu'il est, Young Sherlock Holmes est un sacré bon film.
Il est d'abord bien fabriqué: tous les postes techniques du film sont occupés par de solides artisans et artistes, tous au sommet de leur art, et ayant envie de le prouver. On relèvera par exemple les premières expérimentations d'ILM avec l'image "de synthèse", pour créer un personnage "photo-réaliste", il s'agit-judicieusement - d'un vitrail qui prend vie, et vient interagir brièvement avec un personnage. Un petit plan, mais un grand pas dans l'évolution des effets visuels. Le reste des trucages se partage entre les traditionnels effets optiques, animations image par image et animatroniques divers. Les revoir aujourd'hui alimente une nostalgie dont il ne sert à rien de se cacher, et qui ajoute au film une saveur qu'il n'avait évidemment pas à sa sortie. Il était alors la rolls arrogante des effets spéciaux, la parfaite illusion. Aujourd'hui, c'est le vestige d'un monde désuet dont les trucages cousus de fil blanc nous attendrissent plus qu'ils nous épatent.
Il y a aussi le score formidable de Bruce Broughton, qui n'est plus guère connu aujourd'hui que des cercles restreints de mabouls de bandes originales- Il est alors en pleine possession de ses moyens (symphoniques) et délivre une musique par moment fortement influencée par les Carmina Burana de Orff (c'est loin d'être le premier !), mais surtout empreinte du merveilleux Williamsien, déroulé avec une technique orchestrale à laquelle bien peu de compositeurs courtisés aujourd'hui par les majors peuvent prétendre. Et pourtant, le dialogue de l'image et de la musique à un rôle si important dans la capacité d'enchantement d'un film. Les images de Young Sherlock Holmes ne sont si belles que parce que la musique nous les montre.
Broughton est d'ailleurs particulièrement inspiré par les univers fantastiques sombres: deux autres de ses chef d'oeuvres, The Monster Squad et Heart of Darkness (Un hommage au style amblin'... en jeu vidéo !) accompagnent des univers semblables, mélanges d'innocence enfantine et d'imagerie horrifique.
Dans le genre (pour ainsi dire !) Young Sherlock Holmes est bien un produit de son temps, l'horreur familiale ayant petit à petit disparu des écrans dès la fin des années 80. Ici, les images effrayantes sont justifiées par deux pretextes du scénario: les hallucinations provoquées par un poison et les exactions d'une secte égyptienne installées au coeur de Londres !
Cette rocambolesque histoire est l'oeuvre de Chris Columbus, figure clé pour lire l'histoire de ce cinéma des année 80. Jeune scénariste, il s'inscrit d'emblée avec son premier script au panthéon de l'époque: c'est lui qui rédige Gremlins pour Dante et, déjà, l'Amblin de Spielberg.
Pour Young Sherlock Holmes, Colombus construire un récit assez habiles- formellement ambitieux: il s'agit de respecter le matériau prélevé chez Doyle, mais aussi une certaine tradition du fantastique britannique, tout en américanisant nettement le matériaux. Un sacré parcours d'équilibriste.
La tradition britannique, c'est d'abord cette Londres de studio, reconstitution magnifique, à mi-chemin de l'ambiance de conte du Chant de Nöel de Dickens et des ruelles brumeuses et menaçantes des films consacrés à Jack l'éventreur.  Pour le merveilleux encore, cet inventeur digne de Léonard de Vinci, installé dans le grenier de l'université, exotique équivalent victorieux d'un personnage récurent du cinéma familial de l'époque, l'inventeur un peu timbré, qu'on aura croisé entre autres, dans Gremlins,  Maman j'ai rétréci les gosses ou Explorers. Pour l'horreur, cette secte égyptienne, qui nous rappellera tout autant les films de momie de la Hammer  (The Mummy, mais surtout, Blood from the Mummy's tomb et the Mummy's shroud, deux histoires de malédictions rapportées sur le sol anglais) que Indiana Jones et le temple maudit, sorti l'année précédente.
L'oeuvre de Doyle est malmenée autant que respectée. Entorse la plus notable, d'un point de vue prosaïque: Young Sherlock Holmes raconte la rencontre de Watson et Holmes, alors qu'elle a lieu, incontestablement, dans Une étude en rouge. Le seul moyen d'admettre une cohabitation entre les écrits de Doyle et le scénario de Colombus est d'imaginer que Watson, qui est le rédacteur fictif des aventures de Holmes ment au lecteur pour omettre les tragiques évènements liés à leur première aventure. Cet aspect du récit n'excitera l'imagination des seuls holmésiens pathologiques, soit une petite minorité du public. Cela dit, il s'agit sans doute d'une des lumière permettant d'éclairer la sensibilité particulière du film: c'est par le personnage de Watson que le film gagne une identité cinématographique américaine, dans deux perspective. D'abord, et c'est le plus important, c'est grâce à Watson que le film peut-être un buddy-movie, genre roi des années 80. Il est ici fondé sur un principe des contraires exagéré: l'image d'Epinal veut que Watson soit un contraire de Holmes (ce n'est absolument pas le cas chez Doyle), et le cliché est ici décliné tout du long: l'un est filiforme, l'autre grassouillet, l'un grand, l'autre petit, l'un est studieux et appliqué, l'autre instinctif et désordonné etc...Cette association exagérée par le scénario (qui rendait indispensable la présence de Watson dans le récit) doit être lue dans une seconde perspective: Holmes, pour le grand public, avant tout, c'est une silhouette, réductible à quelques signes, vides de sens: la casquette à doubles rabats, la pipe recourbée, le manteau écossais, et la présence de l'acolyte Watson. Rien d'autre n'est nécessaire, n'en déplaise à Conan Doyle, qui n'est à l'origine d'aucun de ces traits marquants ! Mais pour avoir atteint le statut d'icône pop qui est le sien, Holmes devait pouvoir se réduire à ces quelques images, presque des pictogrammes, qui  lui permettent d'occuper une place équivalente à celle de Zorro, Tarzan ou Batman.
Si l'Holmésien straight sort meurtri un peu plus à chaque assaut des perfides américains adaptant leur idole, le cinéphile ne peut que se réjouir de la vitalité de la figure du détective génial. Qui n'a pas besoin, d'ailleurs, de l'être: les adaptations les plus iconoclastes se passent presque de ce trait pourtant fondamental, ou bine le tordre à leur profit d'une façon presque comique. Ainsi, dans les Sherlock de Guy Ritchie, Holmes se sert-il de ses fabuleux dons pour améliorer... ses capacités de formidable pugiliste, et permet au réalisateur de justifier les ralentis chichiteux de ses scènes d'action au réalisateur sous l'oeil, on imagine goguenard, de Joel Silver. ON se souviendra aussi  du Sherlock tout aussi cabot de Miyazaki, cette fois littéralement, puisque c'est sous les traits d'un chien qu'il affronte Moriarty dans la série du même nom. Là encore, la déduction est mise à l'écart au profit de scènes d'action qui emmène l'univers pourtant extrêmement pragmatique de l'Angleterre de Holmes au profit d'un univers presque Steampunk. Un trait que reprendront Ritchie et silver.
Version timide de ses Holmes iconoclastes, Le secret de la pyramide paye sans doute son insuccès de ne pas trahir totalement son modèle: même si tous les signes sont présent- on assiste à la naissance de la silhouette évoquée plus haut- pipe et chapeau inclus- le Holmes de Colombus, bien qu'homme d'action (dans le film, c'est carrément Indiana Jones Junior !), demeure un grand dadais hautain et calculateur, mais pas assez cool et drôle pour se mettre le public dans la poche, comme Robert Downey Jr le fera sans aucun complexe 20 ans plus tard.
Mais c'est justement dans l'écart entre l'application d'une formule et la volonté de respecter un univers qu'on devine cher à Colombus (plus qu'à Silver, en tous cas !) qu'est le charme immense du film. On appréciera aussi le rythme parfait du film, loin des divertissements de 2H30 à peine montés qu'on nous propose aujourd'hui. Young Sherlock Holmes, c'est un film monté sur du papier à musique, dans lequel on ne s'ennuie jamais, et où on n'a pas l'impression qu'on nous meuble deux bobines entre les morceaux d'action, forcément anthologiques.
A Hollywood, les échecs se payent chers, mais la vengeance est un plat qui se mange froid? Chris Colombus prendra sa revanche en réalisant une autre adaptation littéraire, à l'argument fantastique pleinement assumé et plus diégétique (il ne s'agira plus d'hallucination mais de vraie magie), dont l'esthétique affiche des ressemblances plus que frappantes avec Young Sherlock Holmes: il s'agit bien sûr de Harry Potter à l'école des sorciers, promis à un succès monstrueux.
Sherlock, de son côté, trouvera le succès, par la grâce d'un interprète adoré du public (il aura lui aussi attendu son heure...), Robert Downey Jr, et d'une trahison aussi totale que réjouissante de ses origines littéraires.
Echec sur le moment, Young Sherlock Holmes est devenu un petit classique de l'époque. Au delà de la nostalgie, ses qualités sont évidentes. Et toutes ses intuitions, du point de vue des attentes du public, justes. Simplement en avance sur leur temps. Ses ingrédients seront néanmoins cuisinés au gout du public 20 ans après sa sortie.
La preuve qu'à Hollywood, les bonnes intentions ne restent jamais impunies. 





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