samedi 5 octobre 2013

Samedi: Des lettres... et des chiffres: 1






Apprende à lire, c'est bien, mais il ne faut pas oublier de compter. Le samedi, journée traditionnellement exceptionnelle de notre rallye annuel, nous réviserons donc nos 10 chiffre un par 1... Enfin, 2001 par 1, puisque le monolith noir de Kubrick est l'objet de notre premier échange, avec pour pretexte les réponses au questionnaire de cette saison, un questionnaire qui compte, donc, ou plutôt décompte...

2001: Space Odyssey, (2001: odyssée de l'espace), Stanley Kubrick, 1968, Etats-Unis, G.B.



1-Les 10 commandements du cinéma, d'après Kubrick ce serait quoi ?

Matthias: Tu te prendras pour le seul Dieu du Cinéma
Tu n'utiliseras que de la musique savante pour habiller ton film
Tu n'auras jamais recours à la psychologie – sauf peut-être pour ton dernier film
Tu auras le culte des couleurs et des formes
Tu seras à la pointe de la technologie de ton temps
Tes représentations ne pourront jamais être dépassées, ni même vieillir
Tu érigeras la paranoïa en principe de cinéma
Tu mépriseras tes personnages
Ton œuvre demeureras commentée pour l'Eternité
Tu seras – peut-être – très largement surestimé

Chef de gare: Amen !


2-Si ce film avait 9 vies, il en aurait épuisé combien ?

Matthias: 2001 l'Odyssée de l'espace n'a pas 9 vies, mais au moins 2001 ! Quoique l'on puisse penser de Kubrick et de ce film, et éventuellement du sommet de prétention qu'il peut représenter pour certains, 2001 est un film fondateur de la science-fiction moderne au cinéma. C'est aussi tout simplement un immense chef d'œuvre au fil duquel il faut simplement savoir se laisser aller, comme dans la meilleure, et la plus rigoureuse science-fiction, que pour ma part j'apprécie plus en littérature qu'au cinéma. Et c'est probablement parce que 2001 est autant un film, qu'un livre, qu'une œuvre strictement plastique, musicale et visuelle, qu'il parvient à s'arracher au temps et à l'espace de la production cinématographique habituelle. Car en effet, avec l'arrivée de La Guerre des Etoiles, 2001 a brûlé en 1977 sa 1ère vie ; avec Rencontres du 3ème type, sa 2nde vie ; avec Alien, sa 3ème ; avec Blade Runner, sa 4ème ; avec Matrix, sa 5ème...
Et j'en oublie tant... Et il en viendra tant encore. La science-fiction n'est devenue qu'un mode de traitement d'histoire qui n'ont souvent rien à voir avec son principe. 2001, parce qu'il est un film authentiquement de science-fiction, dans son principe et dans son traitement, restera une oeuvre qui même si elle est désormais en retard de 12 ans quand à sa période estimée, évoquera toujours tout ce qui reste à venir.
Je sais, je ne suis pas objectif, j'adore ce film...

Chef de Gare: ... Et moi non plus je ne suis pas objectif, parce que ce film m'a quand même bien fait rire, cette fois malgré moi, mais que veux tu, ce grand singe qui s'excite au son de Ainsi parlait Zarathoustra, c'est trop pour moi, et pourtant, entends  bien que j'arrive à recevoir le film comme le grand oeuvre formaliste qu'il est, mais ce rire qui me prend par moment (le danube bleu, tout de même !) est vraiment visceral. Et je ne suis pas sûr, pour revenir un peu à la première question, qu'il s'agisse forcément d'un blasphème. Je me demande quand même si il lui reste tellement de vies, à L'odyssée de l'espace. C'est quand même, avec Vertigo, Citizen Kane ou Metropolis une des jocondes du cinéma. Tout le monde pense avoir vu 2001, tout le monde a une idée dessus, mais qui l'a vu vraiment, et qui arrive encore à le regarder. Je me demande si, hélas, 2001; l'odyssée de l'espace, ce n'est pas devenu juste de la culture, et plus de l'art.
D'autant plus que si j'aoute à ta liste Star Trek Le film, La guerre du feu, Inception, Moon, et Oblivion, tu vois qu'on arrive au terme de la neuvième vie.

Matthias: Eh bien je pense précisément que c'est parce que 2001 prête à ce rire qu'il conserve sa force artistique. La Culture, on s'en fout. 


Chef de Gare: L'aura d'un film comme celui là, on y échappe pas. Avant d'avoir vu 2001, tu connais l'utilisation qui est faîtes de Zarathoustra, tu as vu le Monolithe, tu sais qu'il y a le "trip" à la fin, tu sais que c'est filmé par un génie, bref, tout t'empêche de voir l'oeuvre. Je dirais, pour comparer avec la peinture, que tout te pousse à ne plus voir que le gros cadre doré.


3- Tu penses qu'il a fait les trois 8, pour boucler l'affaire ?

Matthias: La postérité a retenu que ce film, réalisé l'année précédent d'Appolo 11, a au moins autant occupé la NASA et IBM que la mission lunaire elle-même. D'ailleurs, et c'est peut-être là l'une des plus belles consécration du film, d'aucuns prétendent que 2001 a beaucoup plus occupés les autorités spatiales de l'Amérique, puisque le fameux voyage sur la Lune n'a jamais eu lieu que dans les studios qui ont servi à tourner 2001... Théorie du complot quand tu nous tiens... Bien entendu, en formidable promoteur de son œuvre, Kubrick n'a jamais confirmé ou démenti : la légende était lancée, et la réalité pouvait rejoindre la fiction – illusion propre au cinéma...

Chef de gare: Et oui, pas mal de monde a sué sang et eau sur cette montagne, et on en pourra pas lui reprocher d'avoir accouché d'une souris: 2001, c'est vraiment du cinéma monumental. Bourreau de travail, Kubrick savait bien comme tu le souligne, entretenir sa légende. Petite anecdote, à ce propos- sans malice: Au moment d'attribuer les crédits de Spartacus, la question se posait d'y inscrire- ou pas- le vrai nom du blacklisté DaltonTrumbo. Kubrick pour résoudre le problème, proposa qu'on inscrive tout simplement sous scénario... son propre nom ! un peu comme quand il s'envoie un ronflant "special effect photography designed and directed by Stanley Kubrick". Sans doute pas évident de bosser à l'ombre d'un tel ogre, quel que soit la quantité de travail, sans doute énorme, qu'il abattait lui-même, un film est une fabrication collective. Est-ce qu'une part de la fascination exercée par un film comme 2001 ne vient pas aussi du travail stupéfiant des directeurs artistiques ?


4- On finit au 7 ème ciel ou on l'enterre 6 pieds sous terre ?

Matthias: Et bien c'est toute la question : 2001 est-il un film funéraire – sa production, sa postérité, son immense succès public et critique entament-t-ils le lent mais certain déplacement du genre vers le coeur même du système de production cinématographique hollywoodien – ou est-il un film fondateur, dans lequel pour la première fois, nous nous arrachons résolument du sol de notre vieille Terre et débutons un voyage à travers les infinis espaces intersidéraux... Comme le racontait le Chef de gare à propos de Ray Harryhausen et de son cinéma, nous sommes désormais passés dans une grammaire « de l'immersion » dont 2001 pourrait bien être l'une des premières – et néanmoins magnifiques – occurrences.


Chef de Gare: C'est vrai. On verra ça très bientôt, avec le Gravity d'Alfonse Cuaron, qui s'annonce à la fois comme une nouvelle promesse de film "immersif" terminal, et dont l'argument semble tout entier tenir dans la relecture d'une séquence de 2001: un astronaute coincé à l'extérieur de sa fusée tente de survivre avec l'aide de son compagnon resté à bord. Le film de Kubrick, en tous cas, est toujours au septième ciel des cinéphiles, et sa légende reste intacte, même s'il est un peu muséifié. Et cette fameuse fin du film, peut être lue comme une figuration sinon du paradis, du moins de l'au-delà, ou de l'espoir niché au coeur de l'âme humaine. L'image de l'enfant stellaire, qui fait partie des nombreux photogrammes de 2001 a être resté dans l'inconsient collectif est d'ailleurs absolument magnifique et donne la chair de poule.


5- Et la 5 ème roue du carosse ?


Matthias: Des carrosses, le père Kubrick ne filme que cela dans 2001. Des vaisseaux spatiaux, des stations orbitales, des navettes et des capsules, des structures en rotation, qui se meuvent silencieusement et lentement dans le vide de l'espace, de cette façon si graphique et presqu'abstraite. Alors certes, les enjeux « humains » de cette histoire nous semblent bien éloignés des préoccupations du maître, mais qu'importe, on ne peut tout de même pas reprocher à Kubrick son manque d'humanité dans le traitement de cette histoire, même si cette humanité se manifeste le plus paradoxalement, et le plus magnifiquement, dans la voix suave de cet ordinateur pensant, devenu fou, que l'on débranche comme une vulgaire machine, et dont l'agonie vocale trahit toute sa nouvelle humanité. Alors peut-être que Kubrick avait plus d'intérêt pour la machine que pour l'homme, mais bien au nom de la potentielle humanité de cette machine. Voilà bien un très beau sujet de science-fiction.

Chef de Gare: Tu as raison, et la 5ème roue du carosse, ce pourrait être Frank, le compagnon de Dave, dont Kubrick ne nous montre même pas le trépas- on comprend seulement au bout d'un moment qu'il est mort, alors qu'il nous détaille l'agonie de la machine. Mais là, Kubrick interroge sans doute plus notre place de spectateur que sa propre sympathie envers les personnages ou sa supposée mysanthropie. La 5ème roue du carosse, ce pourrait-être aussi ce pauvre Alex North, qui composa une musique originale pour 2001, partition déblayée au profit de gros morceaux du repertoire. Je le regrette, je ne suis pas toujours convaincu par le rapport de la musique à l'image dans le film. Le danube bleu et Zarathoustra sont trop connus, et leur superposition avec les images de Kubrick, qui aime bien joie le contraste antithétique, provoquent parfois un second degré qui m'échappe. j'aurai préféré une valse originale pour les ballets spatiaux.  North fut d'ailleurs un temps associé à Jerry Goldsmith, qui lui composa la musique d'un film très inspiré de 2001, le premier Star Trek au cinéma.

6- Il y va par 4 chemins ?

Matthias: 2001 est à la fois un film qui prend son temps et qui file droit vers son dénouement. Plusieurs histoires semblent cohabiter : celle de la découverte du monolithe de Tycho, celle du voyage en tant que tel vers les lunes de Jupiter, celle de la folie de HAL9000. Mais foncièrement, toutes ces histoires sont liées les unes aux autres : l'émergence de l'Intelligence, ses enjeux, ses limites... La paranoïa, motif récurrent du cinéma de Kubrick, est aussi l'une des manifestations les plus construites de l'intelligence, aussi n'est-il jamais question de morale dans le film. Simplement en effet d'un trajet, qui ne cesse de s'accélerer, de prendre du champ, depuis cette petite portion de notre Terre où un homme-singe (certes un peu ridicule aujourd'hui...) balance un os en l'air dans un geste de victoire paroxystique, jusqu'à cette chevauchée fantastique à travers les entrailles du monolithe d'Europe et le tunnel d'étoiles qu'il contient. On pourrait enfin gloser pendant des heures sur le symbolisme de la séquence finale. Pour ma part, une fois encore, je préfère m'en tenir à la beauté plastique de ces moments suspendus, non narratifs, comme un autre idéal de ce que pourrait être un cinéma, qui loin de se ficher de raconter une histoire, n'en fait pas pour autant toute la pierre angulaire de sa mise en scène. Quelque chose de l'ordre du rêve, qui a cette force-là, voilà ce qui me fascine dans 2001.


Chef de Gare: Là dessus je te rejoins totalement. Difficile de ne pas penser, en revoyant la fin de 2001, à la reception, tout récemment, d'un passage similaire dans le Tree of Life de Malick. Pourtant, le passage purement plastique de 2001- ces autoroutes de lumière, n'excède pas 10 minutes. Le reste est d'une telle limpidité qu'il n'y a rien à  interprété: est-ce qu'on se gratte la tête en regardant les inombrables représentations de serpents se mordant la queue des premières cultures humaine ? Kubrick ne fait rien d'autre que prolonger cette méditation là par les moyens du cinéma.
Mais il y a une chose que je voulais évoquer, c'est que si, quand même, quand il s'y met, Kubrick sait tourner autour du pot. La durée des plans de 2001, des séquences, m'interroge- je ne dis pas que c'est une mauvais chose- d'une façon qui me laisse à l'extérieur du film. J'ai l'impression qu'il enregistre des séquence, pas qu'il les raconte. Pourquoi la discussion du docteur avec sa fille est-elle montrée intégralement ? Pourquoi pas plus longtemps, pourquoi pas moins ? Pourquoi le moindre déplacement de véhicule spatial est toujours filmé suivant le même régime ? Je crois que ce que je préfère dans 2001, c'est sa fameuse ellipse dans le raccord Os/Navette, au début du film, parce qu'il y a là un geste de cinéma que je trouve décidé, magnifique, d'une invention folle et d'une poésie parfaite, sans pose. Voilà, j'avoue, c'est pas bien, mais 2001, je trouve ça souvent très poseur. Comme dans la séquence où on regarde un reportage télé sur explicatif par dessus l'épaule de deux astronautes soigneusement et symétriquement disposés. Il y a une extrème lourdeur, aussi, chez Kubrick, qui n'est pas assez naïve, selon ma propre sensibilité, hein !- qui provoque chez moi ce petit sourire que j'évoquais plus haut. Paradoxalement, j'ai l'impression qu'il a constamment peur du ridicule, ou qu'il est terrifié à l'idée d'être kitsh. Heureusement, il lui arrive malgré tout d'être les deux à la fois !

7- 2 ou 3 choses à ajouter ?

Matthias: 2001 chose à ajouter. Donc, je ne commence même pas !

Chef de Gare: Tu as raison. Moi je crois qu'on a bien fait le tour de la question. 2001, il faut quand même pas en faire tout un fromage !

8- S'il ne devait en rester qu'1, on garderait celui-là ?


Matthias: S'il ne devait en rester qu'1, Pour ce qui est de la Hard SF, je ne suis même pas sûr qu'il existe un second film pour ne serait-ce qu'amorcer une comparaison. Dommage. Mais pas étonnant compte-tenu de ce que l'on convoque habituellement lorsque l'on parle de SF. Au moins, Kubrick aura-t-il pris le genre au sérieux, en s'entourant notamment de l'un de ses plus grands auteurs, Arthur C. Clarke. Allez, j'arrête là, on va me taxer de dévôt. Et je crois bien que le Chef de gare ne partage pas vraiment mon opinion...

Chef de Gare: Mais si. Et c'est bien que tu parles de A.C Clarke. Je crois qu'on minimise souvent les oeuvres originales que Kubrick vampirise. Mais 2001 m'a énormément fait pensé, même dans ses choix de mise en scène, à la littérature S.F de Clarke. je crois que bien plus qu'un Stephen King, c'est un auteur dont la sensibilité de créateur rejoignait celle de Kubrick. La réunion secrète des savants, les personnages de scientifiques, les réactions de Bowman, l'objet Monolithe, tout ça c'est du pur Clarke.
Et puisqu'on parle de mes goût personnels, et de littérature S.F,  je t'avouerais que si je devais n'en garder qu'un, de cette année-là, ce serait Boule, mais surtout Serling et sa Planète des Singes ? Sacrilège ? Mais non, dans 2001 aussi, y'a des mecs déguisés en singes qui sautent accroupis !

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