dimanche 6 novembre 2011

39- Il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud, mon vampire : Entretien avec un Vampire (Interview with the vampire), Neil Jordan, Etats-Unis, 1994



Roman Polanski pensait-il se dresser sur un tas de cendres lorsqu'il tourna en 1967 Les intrépides tueurs de vampires, plus connu chez nous sous son titre français : Le bal des vampires ? Était il temps d'offrir au genre un hommage sincère et vibrant en forme d'épitaphe ? Presque trente ans plus tard, Neil Jordan reprend pourtant, comme si de rien n'était, la panoplie complète du film d'épouvante gothique, jusqu'aux canines démesurées gênant la diction des comédiens. Et à propos de canines, le sous-titre du film de Polanski « Pardon me but your teeth are in my neck » deviendrait bien ici « Pardonnez-moi monsieur mais vos dents sont dans le cou de l'autre monsieur ».

Contrairement à ce que semblent penser beaucoup de critiques, pressés de solder les comptes d'une décennie 90-2000 calamiteuse pour le cinéma fantastique, en regard surtout des 20 ans qui ont précédé, le film de Neil Jordan n'est absolument pas un échec commerical. C'est le succès d'un autre film revisitant le mythe du vampire qui permet d'ailleurs sa mise en chantier : Bram Stocker's Dracula, de Coppola. Si le filon n'était pas rentable, nous n'aurions pas eu droit à une relecture systématique, dix ans durant de toutes les icônes de la Universal, jusqu'à une tardive Momie, en 1999, particulièrement éloignée du modèle de 1932. C'est d'ailleurs à Stephen Sommers qu'il appartiendra de fermer ce cycle avec un best-of (enfin, un worst of, plutôt) : Van Helsing- projet déjà esquissé à l'époque du film de Coppola, dont il devait être une suite. Lorsqu'il conviendra de survoler les 20 dernières années du cinéma vampirique, nul doute que le renouveau du genre sera ensuite attribué à la série des Twilight produits par New Line (Warner) et Summit Entertainement, même si entretemps, le genre connaît de nombreuses variations, avatars, et que le canal historique hérité de Christopher Lee n'est jamais vraiment mort.

Le programme affiché par Neil Jordan a tout pour séduire, à priori, les tenants d'un certain passéisme cinématographique, ceux qui estiment que le gore c'est vulgaire, et qu'un Terence Fisher vaudra toujours mieux que dix Tobe Hopper. La mise en scène de Jordan les ravira : on est loin ici du baroque affecté de Coppola. Mais quel peut-être l’intérêt d'un film semblant, 30 ans trop tard, écrire un chapitre de plus au grand livre des vampires de cinéma entamé aux alentours de 1960 à la Hammer films ?

Ouvrons d'ailleurs une parenthèse : En 1957, Riccardo Fredda et Mario Bava, mûs par une de leurs intuitions géniales, tournent Les Vampires (I Vampiri ) modernisation audacieuse du mythe vampirique. Si le film est en noir et blanc, le cadre de son récit est contemporain, et le vampire, féminin, en quête de jeunesse éternelle. L'insuccès du film provoquera la disparition de la figure du vampire (à de rares exceptions) du fantastique italien alors naissant- dont Bava, encore! - organisera trois ans plus tard la naissance. C'est donc le succès du Dracula de Terence Fisher qui empêche l'avènement d'une veine vampirique moderne et pose les canons d'un sous genre- l'horreur gothique – dont Entretien avec un Vampire est sans doute le chant du cygne respectueux et serein. Mais le projet de Jordan finalement, va se retrouver encombré de son objet : le roman d'Anne Rice (et sa popularité), raison d'être, pourtant, du film.

C'est là une des contradictions du film, et une de ses limites. On sent Neil Jordan ravi d'obtenir du studio toutes les largesses rendant possible la fabrication de tableaux luxueux et encombrés, les reconstitutions fastueuses et l'embauche de stars rentables. Le film dégage une vitalité, une profusion luxueuse de costumes, de décors, qui contredit le propos profond qui semble être le sien. Car si l'enveloppe est conforme à la tradition, les thèmes privilégiés par Jordan sont des plus modernes : c'est la solitude du vampire, seul au milieu des foules naissantes arpentant les rues des jeunes villes du nouveau monde, qui devrait constituer le ressort principal, dramatique et esthétique du film.

Jordan tenait là une occasion rêvée pour marier tradition (picturale) et modernité (thématique). En plaçant son intrigue aux Etat-unis, il avait la possibilité d'associer le romantisme européen, ses personnages à l'égo assoiffé d'exaltation se confrontant à des paysages démesurés à l'image de leur désir de grandeur, et cadres idéaux à l'expression de diverses solitudes, avec l'urbanité nouvelle de la nation américaine naissante, pleine de vigueur, bâtie sur l'exaltation paradoxale de l'entreprise individuelle au sein d'un pays dont le devenir commun est l'enjeu fondamental. Mais le sujet est bien au-delà des capacité de Jordan. Après un passage visuellement somptueux aux Amériques françaises, les vampires -aveu d'échec?- se rabattent vers le vieux continent et prennent le bateau pour Paris. Là bas, ils joueront pour nous une suite de tableaux parfois très inspirés plastiquement, mais vides de sens et d'émotion, tant les relations unissant les personnages sont inintelligibles malgré des dialogues grandiloquents et souvent péniblement explicatifs. Aussi remplies de mots que les images le sont d'accessoires et de figurants, les bouches des comédiens, refermées sur un silence mystérieux auraient d'autant plus bénéficié aux récits imagés pris en charge par des images souvent très évocatrices, voire poétiques.

J'évoquais la contradiction fondamentale entre les moyens donnés à Jordan, lui permettant de charger du sol au plafond ses cadres- alors qu'il aurait peut-être fallu faire preuve d'un certain sens du vide pour traduire celui qui s'étend à la place du cœur chez les vampires. Le problème se pose également avec le choix de Brad Pitt qui doit incarner Louis, vampire promenant sous son teint blafard un mal-être permanent. La gageure est impossible à tenir pour le jeune comédien à la mâchoire carrée et à la silhouette athlétique : on a de la peine pour ce californien beau comme un quaterback obligé de jouer les werther souffreteux. Le seul moment où le comédien semble enfin habiter un peu la défroque de Louis, c'est lorsqu'il faut, d'un pas décidé, la faux à la main, aller massacrer ses compagnons de cercueil.

Tom Cruise, par contre, est particulièrement séduisant et charismatique dans le rôle de Lestat, celui qui fait de Louis un vampire, comme chaque fois que cet excellent comédien rencontre un rôle ambigu de personnage antipathique et ambivalent. Et de l'ambivalence, Entretien avec un vampire en déborde. Saluons le courage de Neil Jordan (et des producteurs?) de garder intacte la dimension homosexuelle de la relation entre Lestat et Louis, qui, si elle n'a rien de transgressif, constituait certainement aux yeux de certains responsables du studio une limite au succès possible, et une contradiction handicapante avec la dimension séductrice du vampire, héritée encore une fois de la lecture qu'en fit Terence Fisher. Évidemment, dans le fond, cette audace ne change rien, tant Lestat et Louis sont traités comme un couple- et que ce qui aurait pu mettre en difficulté le film (et permettre de vraies audaces et de vraies interrogations à Neil Jordan) est absent du film : la vie publique de ce couple, dont les seul témoins de la vie intimes sont les spectateurs. Vivons heureux, vivons cachés- pour le coup, le film prend bien la mesure, du point de vue de la sexualité de ses héros, de la triste réalité.

Et lorsque le film injecte un peu de désir hétérosexuel entre les deux hommes du récit, c'est malheureusement par le biais d'une petit fille de dix ans. On ne pourra pas dire que Neil Jordan manque d'humour ! La suite de sa carrière le confirmera : Kirsten Dunst est une actrice extraordinaire, et elle irradie l'écran. C'est le personnage le plus riche en nuances du film, et le seul véritable vecteur d'émotion.

Entretien avec un vampire, comme l'annonce son titre, se déroule à l'intérieur d'un récit cadre, qui lui aussi, souligne l'incompréhension par le réalisateur du véritable sujet de son film.

Un journaliste, en 1991, est reçu par un visiteur prétendant être un vampire. L'entretien a lieu dans une pièce presque vide, et la crédulité de l'interviewer va bientôt laisser place à la fascination. Une coda à la fin du film va revenir à cette chambre d'hôtel, puis en sortir avec le journaliste. Il prend la fuite, pensant échapper au vampire, mais c'est pour mieux tomber entre ses griffes : Lestat, dissimulé sur la banquette arrière, se jette à son cou comme un diable sortant d'une boîte. Revigoré par le sang frais, le vampire s'apprête à prendre à la gorge le XXeme siècle finissant.

Entretien avec un vampire finit là où il aurait du commencer. S'installant au volant d'une superbe voiture américaine rouge sang, Lestat, revétu d'une veste en cuir, dans un geste superbe et significatif, un des plus beaux plans du film, sort ses manches en dentelle de sous les manches de cuir, pour arranger sa mise. Le radiocassette diffuse les lamentations de Louis, enregistrées par le journaliste. Amusé, Lestat ironise sur l'humeur éternellement dépressive de son compagnon d'immortalité, puis il coupe le monologue pour diffuser la radio. Les première mesures d'une chanson rock viennent couper brutalement le clavecin de la bande son- instrument associé durant tout le film à Lestat. La scène frustre d'autant plus qu'elle est, comme on vient de le voir, riche de sens, et parfaitement exécutée. Il semble bien que Neil Jordan, à dessein, aie préféré regarder en arrière, et célébrer avec faste le passé, en un geste finalement peut-être aussi passéiste que celui de Coppola dans son Bram Stoker's Dracula.

Il a eu raison : aucun film de vampire gothique ne bénéficiera plus de pareil budget, et le vampire, entrant définitivement dans notre époque, finira par hanter, non plus des cimetières ni des manoirs, mais les high-schools du teenage cinéma américain.

En artisan soigneux, Neil Jordan cisèle un magnifique livre d'images, regorgeant de visions parfois très inspirées, à l'humour grinçant lorsque le trio de vampires parodient la famille bourgeoise moderne, se perdant dans de belles digressions- tout le passage, inutile mais superbe, situé au théâtre des vampires. Philippe Rousselot, chef opérateur doué, peint des nocturnes de toute beauté, dans des teintes évoquant l'or en fusion, l'ambre, ou le regard d'un chat. Surtout, Entretien avec un vampire bénéficie peut-être de la plus belle partition jamais composée pour un film d'horreur (avec The Final Conflict, de Jerry Goldsmith), par Eliott Goldenthal, qui n'égalera jamais plus ce chef d’œuvre-sauf peut-être pour Jordan encore, dans Michael Collins, mais qui n'est qu'une variation celtisante d'Entretien.  Dès les premières images, et pendant tout le film, on est saisi par la puissance de la musique, son lyrisme grandiose, qui rapetisse des images pourtant remplies de sauvagerie, de sang et de passions exacerbées. Il est le seul a réussir le mariage de classicisme et de modernité que réclamait le film, mais d'une manière si superbe, qu'on s'en contentera volontiers.

3 commentaires:

  1. youpi!en voilà un que j'ai vu…au ciné à sa sortie.
    disons que j'en ai vu qu'un tiers car que je commençait à avoir des hauts- le- coeur ;je me rappelle d'un plan ou le vampire bouffe un rat tout cru et un autre où il casse la nuque d'une pauvre vieille.C'est là,que j'ai commençé à avoir la nausée…et je suis sorti.chef de Gare,pardonne cette piètre critique!

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  2. Chacun ses (dé)goûts ! Bon, du coup, si tu tournes de l'oeil devant celui-là, je vais devoir te déconseiller 80 % des films chroniqués ici ! Et puis ce n'est pas une pauvre vieille, c'est une rombière fardée, et il faut bien la faire taire, Louis vient de vider ses deux caniches ! Tu a bien fait de sortit avant la fin, au bout d'un moment, on commence à couper, des gens en deux à la faux.

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  3. haha!bon il me reste 20%de curiosités à voir c'est pas si mal.

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