mardi 22 novembre 2011

42- Butterfly Murders, Tsui Hark, Hong Kong, 1979


Brzzz. Foï, Klekss, Bshaam.
Il faudrait sans doute inventer de nouveaux mots et une nouvelle grammaire pour se mettre à la hauteur de Tsui Hark, qui lui, le fait au cinéma depuis plus de trente ans.

Trois décades inaugurées par ce Butterfly Murders, film inattendu pour son auteur même, puisqu'au moment où la possibilité de réaliser un long-métrage de cinéma lui est offerte, Tsui Hark ne se sent pas prêt, mais ne peut bien évidemment pas laisser passer l'occasion. Le budget est très maigre, mais l'argent semble être la dernière chose qui manque au génial Tsui pour concrétiser ses visions, tant il déborde, déjà, d'idées.

L'histoire, d'abord, typique de lui, c'est à dire, sinon incompréhensible, du moins à peu près inracontable : il est question d'un château dont veulent s'emparer des clans rivaux et de morts mystérieuses se succédant dans l'enceinte de la forteresse envahie. Mais avant même l'histoire, l'argument lui-même porte la marque irréductible de son inventeur : Des meurtres perpétrés... par des papillons tueurs ! Et Tsui Hark n'est pas cinéaste à se cacher derrière des ellipses confortables, ou à dissimuler des effets spéciaux approximatifs par un montage jouant sur le hors champ. Les attaques des papillons sont filmées plein cadre, et sont une des réussites du film, donnant lieu à des scènes à la fois sanglantes et poétiques, relevant presque du giallo insecticide ou du slasher entomolgique. Le film est aussi un film de chevalerie martiale, un mystère policier médiéval et s'il est une pulsion créatrice déjà à l’œuvre, et qui ne quittera guère Hark tout au long de sa carrière, c'est celle du mélange et de l'amalgame des genres, des registres, c'est la collision des couches de récit, des points de vue, des protagonistes, ce mouvement tourbillonnant dont Tsui Hark n'est pas l'organisateur mais plutôt le propagateur. Tsui Hark ne réalise pas ses films, il les malaxe. Quand tant de grands cinéastes, avançant dans leur carrière, cherchant l'essentiel de leur art, et la réduction du superflux, Hark, lui, au contraire, semble prendre un malin plaisir à charger toujours plus ses récits et ses images. Il y a là un trait particulièrement attachant, une énergie vitale semblant infatigable et imperméable au découragement et au cynisme qui saisit beaucoup de ses collègues autour de la fatidique rétrocession de 1997.

La matière filmique que Tsui Hark triture, c'est avant tout celle du film d'épée. Genre tombé, en 1979, largement en désuétude, et que Butterfly Murders ne relancera pas, le film est un échec. Il faudra attendre Zu, et surtout, Histoire de fantômes chinois, pour que la nouvelle vague chinoise touche le grand public jusqu'à l'europe.
Le château et les grottes souterraines de Butterfly Murders sont le laboratoire du savant fou Hark. Dans son creuset, il va précipiter, Hitchcock (les papillons tenant lieu d'oiseaux), Agatha Christie et Conan Doyle (le huis-clos meurtrier, les animaux tueurs manipulés ) les super-héros (chaque personnage est défini par son costume et un super-pouvoir, en fait un artifice technique ) et le wu xia pian classique, de King Hu à Chang Cheh. Mais le récit n'est pas prétexte à aligner les affrontements, il est lui même l'objet d'une construction tarabiscotée et osée, à défaut d'être brillante et imparable.

Le récit est pris en charge par un narrateur, nous apparaissant au début du film sur fond de soleil se couchant sur une plaine désertique. Le crépuscule des classiques ? Plus loin ce récit est intégré à lui-même, puisque le narrateur se retrouve confronté, chez un imprimeur, à ce qu'il pense être un faux de ses écrits (!), et in fine, il quittera l'histoire avant l'affrontement final- qui nous sera pourtant montré, alors que le narrateur n'y assiste donc pas !

Ce duel à trois rappellera d'ailleurs bien des conclusions de westerns italiens, une référence qu'il faudrait peut être ajouter à celles déjà citées, le décor désertique, les rivalités de bandits pour un trésor y font songer aussi. A l'issue de ce dernier combat, pas de survivants, tout le monde s'entretue, et c'est peut-être pour ça que le narrateur à préféré quitter la scène ? Le film se referme donc, à peine ouvert, sur lui-même.

Entre temps, on aura découvert que les mystères étaient surtout affaire de dissimulation et de manipulation : les pouvoirs magiques des Fils du tonnerre s'expliquent par des astuces techniques, tout comme le contrôle des papillons meurtriers. Tsui Hark veut mettre à jour les artifices du cinéma : les câbles sont apparents, les trucages expliqués, mais veut aussi retrouver leur capacité d’émerveillement : la mise en scène des combats bénéficie de toute l'attention du cinéaste, qui va chercher dans la dynamique du montage une énergie nouvelle, à l'opposé du travail de Liu Chia Lang et ses héritiers : Ici, c'est la caméra, la coupe, le plan, autant que la performance martiale qui fabrique le combat.

Tsui Hark, c'est ce magicien qui agit presque toujours à vue, et qui, peut-être plus que tout autre, demande au spectateur d'adhérer à un pacte radical : abandonner le réalisme, oublier la crédibilité, ne pas compter sur l'invisibilté du trucage pour « y croire », mais, sur la simple invitation d'un magicien du mouvement, se laisser raconter une histoire. Il y a, aussi, sous le vernis post-moderne de Hark, un rapport très simple à l'image, qui ne prétend pas montrer autre chose que ce qui est mis en scène, qui ne cache rien, qui se donne tout entière dans l'instant- c'est son goût sincère pour le cinéma d'arts martiaux. Cet aspect du cinéma du génial Tsui trouvera son image manifeste dès son film suivant, Histoires de Cannibales, lorsqu'à la fin du film, une jeune femme nous tend un cœur encore palpitant. Les papillons reviendrons clore ce première âge du cinéma de Hark, dans The Lovers. Et aussitôt, la même année, comme en un reflux, The Blade brisera les lames et tranchera les cables que, dans Butterlfy Murders, Tsui Hark ne faisait que nous montrer.

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