Unique film de science-fiction dans la
filmographie de Truffaut, projet à la production difficile, on
pourrait croire que Farenheit 451 est un mal-aimé dans le souvenir
du réalisateur. S'il avoue- comme on l'imagine- avoir toujours
trouvé la science-fiction puérile (mais nous sommes en 1966!), il
confesse aussi avoir été immédiatement séduit par le postulat de
la suite de nouvelles de Bradbury. Tout simplement parce qu'il y est
très littéralement question de l'amour pour les livres, et que si
un cinéaste incarnait ce goût profond et évident pour la
littérature, c'est sans doute Truffaut.
Là ou le film surprend, c'est dans sa
direction artistique : jamais le cinéaste n'essaie d'anoblir
son sujet en évacuant par exemple les gadgets typiquement SF :
on retrouve les télés géantes, un curieux métro suspendu
traversant une banlieue qu'on devine interminable et les portes qui
s'ouvrent toutes seules. La police du futur, en revanche continue de
classer les photos de ses suspects dans de bonnes vieilles chemises
en carton... Et cette dimension anticipative, très juste si l'on
fait abstraction du design daté de certains objets, opère toujours
aussi efficacement aujourd'hui. Le réseau télévisé auquel
participe Linda préfigure le web contemporain, de même que sa
situation de femme morose et inemployée, coincée dans une banlieue
qui semble sans fin est un stéréotype toujours très vivant :
voir les portraits réguliers que la télévision et le cinéma
brossent des desperate housewifes.
Truffaut semblait surpris que les
critiques qualifient d’étonnamment douce l'atmosphère de son
film, lui croyant avoir tourné un film très violent. C'est dire à
quel point, malgré l'exotisme du sujet, et le tournage en langue
anglaise, il n'en a pas moins fait de Farenheit 451, comme de tous
ses films une œuvre intime et autobiographique. Lorsque le cinéaste
déclare avoir choisi une même actrice (Julie Christie) pour
interpréter « la femme et la maîtresse », afin que le
spectateur ne préfère pas l'une à l'autre- on ne peut que sourire
tant l'aveu semble limpide et l'injonction adressée autant à
lui-même qu'à nous.
On retrouvera d'ailleurs dans Farenheit 451 la grâce typique de Truffaut lorsqu'il s'agit de
filmer des actrices- et Julie Christie est touchante dans les deux
rôles. Subtile, aussi, la façon dont Truffaut décrit ses
personnages, et ne les pointe jamais du doigt de la morale. Même le
capitaine des pompiers, malgré un long monologue résumant la
philosophie structurant cette société qui détruit rageusement ses
bibliothèques, n'est jamais complètement antipathique. Ni héros ni
salauds, et une grande part de la réussite dans le traitement du
personnage de Montag repose sur le jeu d'Oscar Werner, qualifié très
justement par Truffaut de jeu poétique, opposé au jeu
psychologique. Traversant le film presque hébété, le regard
toujours un peu ailleurs, Montag transmet ce sentiment de vacance, ce
vide existentiel dans lequel vient se loger son goût soudain pour la
lecture qui, bien heureusement, n'est jamais justifié dans le récit.
Jusqu'à son final poétique (les hommes et femmes livres déambulent
en récitant les ouvrages qu'ils apprennent par cœur ), le film
accomplit son programme (oppression- éveil de la consience-
résistance) sans céder à une dramatisation caricaturale. En
découle cette atmosphère très particulière, mais envoûtante qui
dérouta peut-être la critique.
Pourtant, dans sa mise en scène,
Truffaut n'hésite pas à se laisser aller à des effets purement
plastiques comme dans le montage très vif de la première
intervention des pompiers pyromanes, où lorsque la caméra s'attarde
longuement sur les fascinantes combustions de livres. Lorsqu'il filme
le rouge éclatant de la caserne, ou les scènes d'incendies Truffaut
a l'occasion de déployer un grand talent de coloriste. Il faut dire
que son ambition plastique est parfaitement soutenue par la musique
composée par Herrmann, à laquelle le cinésate réserve souvent
l'intégralité de la bande son. Le musicien a parfaitement compris
le film, et évite le recours à tout l'attirail musical SF qu'il a
lui-même contribué à inventer dans Le jour où la terre
s'arrêta. Au contraire, Herrmann confie aux violons l'expression
d'un tragique intérieur, bande-son idéale pour un Montag dont on ne
peut qu'essayer de deviner les pensées et les tourments. Comme ces
très belles scènes dans le métro aérien, au début du film,
lorsque le pompier et l'institutrice échangent des regards sans
qu'on sache jamais rien des sentiments qui naissent à ce moment.
Mais eux-même, que pourraient-ils en savoir, dans ce monde où on ne
peut plus lire de roman d'amour ?
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