Il y a deux
manière d’envisager le genre, en l’occurrence l’une de ses déclinaisons que
l’on a depuis longtemps baptisée « post-apocalyptique » en
littérature et au cinéma : la première consiste à s’inscrire dans une
histoire, et donc à en connaître sinon l’historiographie, tout au moins les
grandes évolutions, les dates et œuvres importantes, parfois même à en comprendre
certes sommairement l’archéologie ; c’est dans une telle perspective que
se situent certains des auteurs qui ont traversé ce mois, au cinéma ou en
littérature : Matheson, Tolkien, Langelaan, ou encore Serling, Burton,
Verhoeven ou Gans. L’autre manière d’envisager le genre consiste à prétendre le
terminer, l’achever, en dire tout ce
qu’il y a à en dire, de façon à pouvoir tourner la page et s’attaquer à de
nouvelles formes. Bien sûr, je grossis un peu le trait, mais cette ambition
m’apparaît tout de même être celle de Cronenberg, de Jackson, comme le
mentionnait justement le Chef de gare, ou encore, en littérature, de Cormac
McCarthy, avec par exemple cette Route
toute définitive quant à ce sous-genre dit « post-apo. » par ses
laudateurs - de plus en plus nombreux si l’on en croit la prolifération
d’œuvres du genre depuis une trentaine d’années. Cette manière d’en finir avec une forme, plus
précisément avec l’histoire d’une
forme, c’est aussi souvent la marque d’auteurs conscients non plus tant de
l’histoire dans laquelle ils s’inscrivent, mais d’abord et avant tout du geste
qui est le leur, qui relève de la crise,
inscrivant leur œuvre non plus dans une continuité historique, mais d’abord et
avant tout dans un espace de rupture vis-à-vis duquel toute l’histoire du genre
ne pourra plus se lire que sous le prisme de « l’avant/après » de l’œuvre
en question.
J’ai
déjà à plusieurs reprises cité Stanley Kubrick comme l’un des plus importants
promoteurs de ce type de geste en ce qui concerne au cinéma l’histoire des
genres. Et il est bien certain, qu’il a en effet commis le « légendaire
bon film de science-fiction » qu’il prétendait accomplir, et qui pose 1968
comme une année sinon de rupture tout au moins de fracture dans l’histoire de la science-fiction sur grand écran, de
la même manière que son Full metal jacket
bouleversa les codes du film de guerre, ou son Shining ceux du film d’horreur. De la même façon, l’on sait
maintenant à quinze ans d’écart, que la fantasy
au cinéma doit désormais passer par le prisme imposé par Peter Jackson et sa
lecture du Seigneur des anneaux. Ces
deux-là, parmi d’autres, en auteurs accomplis, avaient parfaitement pris acte
de leur volonté de révolutionner le genre et ses représentations. Loin de moi
tout jugement de condamnation d’une telle conscience, c’est aussi la marque des
grands artistes que de savoir ce qu’ils font et que d’imposer de nouveaux
canons à leurs contemporains. C’est toutefois lorsque ce geste devient l’unique
objet de leur préoccupation, qu’il me semble, ces auteurs peuvent être à
blâmer. Car, en effet, la posture n’est rien si elle n’est pas relayée par le
talent qu’elle doit permettre au moins de déployer. Lorsque Boorman s’attaque à
Excalibur, ce n’est pas tant la
rupture avec l’histoire des récits arthuriens qui compte, puisque cette rupture
n’est pas réellement consommée, mais bien le fait que le cinéaste britannique
reprend à son compte cette histoire
et s’en fait le passeur génial et novateur. Cette année, notre promenade à
travers les adaptations du Fantôme de
l’opéra, qui se terminera ce samedi avec Brian de Palma, un cinéaste
également habitué à terminer les
œuvres, tente de rendre grâce à ces différentes manière d’envisager le genre et
ses motifs, sans toutefois porter a
priori un jugement de valeur sur telle ou telle démarche.
Toutefois,
donc, lorsque ce geste, éventuellement paradoxal, vide de sa substance la
tradition qui l’a permise, on peut être un peu agacé par tant de suffisance…
C’est tout à fait le sentiment que j’ai eu d’abord à la lecture du roman de Cormac
McCarthy. L’idée de réduire le genre à sa forme la plus ténue, en se proposant
non de rendre compte de la fin du monde dans les quelques semaines ou mois qui
suivent son advenue, mais d’emblée en envisageant, presque comme un exercice de
fiction qui vaut bien celui de la réduction ad
libitum d’un américain moyen,
l’état du monde de nombreuses années après la fin de celui-ci, voilà qui après
tout ne manque pas d’audace, et éventuellement de possibilités de développement
fortes en reprise du genre. Ce n’est cependant
pas tout à fait le chemin que prend McCarthy dans son roman. Si l’on compare sa
tentative avec celle de P.D. James, et je ne peux m’empêcher de le faire, même
si la seule vraie bonne raison de cette comparaison c’est la présence conjointe
de ces deux œuvres dans notre mois du Train…, il me semble que l’américain ne
tient pas la distance face à la britannique. Le geste de McCarthy en
littérature se nomme « style », et c’est par celui-là seulement qu’il
prétend achever ce type de récit. Nous sommes certes loin dans son écriture des
descriptions psychologiques et matérielles détaillées de Matheson lorsqu’il
nous raconte le destin de John Neville, l’Omega man, pour reprendre un titre
sur lequel nous reviendrons, et que portait déjà la première partie du roman de
P.D. James largement évoqué. Le style de McCarthy, ce sont des phrases courtes,
un vocabulaire néanmoins riche, voire précieux – mais il s’agit peut-être là
aussi d’une traduction française un peu ampoulée – des dialogues qui ne
prennent pas la forme convenue qu’on leur trouve d’habitude, des descriptions
abstraites, presque absconses, et de la sécheresse, par-dessus tout de la
sécheresse. Les situations sont ramenées à leurs expressions traditionnelles
les plus basiques : le monde s’effondre littéralement, puisque les arbres
morts s’abattent au sol, la quête pour la nourriture est vaine, puisqu’il n’y
aura bientôt plus rien d’autre à manger que ses semblables, les affrontements
avec les bandes armées eux-mêmes sont réduits à un coup de feu ou deux,
puisqu’il n’y même plus de balle pour « nourrir » les armes, la
longue errance sur cette route qui ne mène nulle part aboutit finalement à la
lisière d’un océan gris et morne qui n’a plus l’apparence que d’une clôture aqueuse…
On le saisit très vite, la lecture de ce roman va être pénible, puisque c’est
exactement ce que veut générer chez son lecteur McCarthy, comme le reflet de ce
monde s’éteignant péniblement. L’effet recherché est atteint. Le sérieux de
l’affaire tout de même finit par plomber le tout. Si tout ceci est à ce point
vain, n’en va-t-il pas de même de la lecture de cet ouvrage ? Alors
certes, il y a le rapport père/fils,
puisque c’est non seulement ce qui tient réellement la narration, mais encore
ce qui permet quelques moments d’identification avec les personnages. Au fond,
nous sommes bien là dans une œuvre « américaine » : si tout est
à ce point sérieux, tout n’en demeure pas moins vain, tant il ne semble plus
exister nul espace, même formel, pour développer autre chose que cette gravité
pesante, à l’exception peut-être du sentiment filial, et plus largement de la
« famille », valeur décidément refuge
pour les américains de ce début de XXIème siècle, qui semblent bien s’épuiser
de leur soif d’avenir… Quelque chose néanmoins, il faut être honnête, se dégage
de l’extrême fin du roman, pour peu que l’on se soit accroché jusque là, qui a
à voir avec un sentimentalisme finalement assez naïf, mais certes suffisamment
touchant pour que l’on y trouve un peu de poésie, même bien sévère…
Le
film de Hillcoat reprend trois ans après la consécration du roman par un prix
Pulitzer (!) très fidèlement l’histoire de McCarthy, et la porte littéralement
à l’écran, avec dans le rôle du père, Viggo Mortensen, acteur investi et
sérieux, décidément habitué à jouer les guides paternels en territoire hostile
– et donc coutumier des grands rôles dans de grands films définitifs !
Toutefois, malgré mes sarcasmes, il faut admettre qu’il donne corps à un film
qui en manque souvent cruellement, tout comme le roman manquait parfois de
substance concrète. Ce film compte d’autres grands noms du cinéma américains,
prix Pulitzer oblige ! : Charlize Theron dans le rôle de la mère,
qu’il a bien fallu étoffer un peu par rapport au roman afin de lui permettre de
justifier son engagement, on le sent bien, et dans un registre un peu
« passage de relai » pour le coup, le vieux Robert Duvall, rien de
moins pour incarner le personnage « météorique » d’Elie, et enfin le « jeune » Guy Pearce
dans le rôle du terminal père de substitution. On sent bien que l’esprit de
sérieux imprègne également toute la production du film, à l’instar du style du
roman. Non seulement, on n’est pas là pour rigoler – certes, on en est loin…-
mais on n’est pas là non plus pour faire un film d’horreur, ou de
science-fiction, ou d’anticipation, ou de dystopie, ou on sait pas quoi, supplémentaire. Ce que
va nous offrir Hillcoat, dans toute Sa Grâce, c’est LE film de LA fin du monde.
Parce qu’évidemment, nous sommes aux Etats-Unis d’Amérique, et que la fin du
monde ne peut se départir de son sous-texte
religieux. La Route, c’est non celle que nous prendrons en effet tous un jour,
mais d’abord et avant tout celle qui mène à Dieu. Nous sommes ici très loin de
l’œuvre de P.D. James, dont pourtant la question chrétienne et religieuse
n’était jamais absente. Ce qui était déjà vrai du roman de McCarthy, et
construisait son eschatologie poétique, devient impérieux dans le film, qui ne
tient plus que sur cet absolu programme esthétique.
Le
film s’ouvre sur la catastrophe. Nous ne la connaîtrons pas cependant, n’en
percevant que la gravité et la soudaineté, pourtant comme pressentie. Une femme
et un homme, Theron et Mortensen donc, se lèvent en pleine nuit pour écouter,
sur fond de rougeoiement lointain, le vacarme de cette catastrophe – cris,
explosions, nous ne sommes et ne serons jamais vraiment en mesure de
matérialiser concrètement celle-ci – et tenter d’y faire face. Mortensen ouvre
les robinets de la salle de bain pour récupérer vraisemblablement toute l’eau
potable possible avant la destruction définitive du réseau hydrographique. Puis brutalement, nous voici transportés dans
le « présent » du film, plusieurs années après cette scène inaugurale
de la catastrophe, dont rêve encore et encore le personnage de Mortensen.
Celui-ci se réveille quelque part, l’on ne sait où, dehors, dans un paysage
désolé et inhabité. Il est avec son fils, et très vite ils reprennent la route,
celle du titre, qui doit les conduire quelque part ailleurs, on ne sait pas
plus où, vers le sud où le climat serait moins terrible qu’au nord. On le voit,
le « récit » repose sur un enjeu très ténu. C’est qu’en fait, nous
sommes non dans le registre du « post-apo » un peu dystopique, mais
beaucoup plus dans cet autre sous-genre essentiel depuis plusieurs années, le
Survival, qui nous présente toutes les stratégies mises en œuvres pour survivre
dans un environnement hostile. Le Gravity
de Cuaron fait partie de ce sous-genre, de même que le Delivrance de Boorman, ou l’Alien
de Ridley Scott. Et pourtant, rien d’apocalyptique dans ces histoires, nous
semble-t-il. C’est que les Américains, et le réveil de leur vigueur religieuse,
ont repris une tradition, celle du Survival, déclinaison austère et alarmante
du plus traditionnel film d’aventure, pour la fondre dans un projet
esthético-politique dont le messianisme n’est jamais loin.
Hillcoat,
dès les premières scènes du film, n’hésite pas à « faire du beau »
avec les paysages désolés qu’il nous présente, contredisant par là tout le
propos du roman. Si le récit de McCarthy confinait parfois à l’abscons à force
de prétendre se vider de toute forme a
priori, en tout cas un projet de sécheresse
littéraire absolue – et néanmoins vouée à l’échec – tenait le récit. Il n’en
est plus rien au cinéma : Hillcoat, par la grâce du numérique et de ses
tristes peintures appliquées, nous dessine un paysage saisissant comme seul le
permet le cinéma dans sa dimension spectaculaire. La belle musique sentimentale
de Nick Cave et Warren Ellis – peut-être pas si contradictoire avec le roman –
achève de fabriquer de la belle image,
dont le pendant serait peut-être tout de même le visage de Viggo Mortensen,
qui, un peu à l’instar de celui de Kidman dans Invasion, dit quelque chose du film qui se déroule sous nos yeux
comme malgré lui. Viggo est beau, ce n’est un mystère pour personne, et surtout
pas pour lui, mais de cette beauté tourmentée qui n’est pas celle de l’habituel
bellâtre américain. C’est que son visage est un paysage, dans lequel Hillcoat
se plonge régulièrement, et qui correspond tout à fait au projet doloriste du film. Nous sommes dans un
film éminemment religieux, et Viggo Mortensen, physiquement, possède quelque
chose de cette intensité christique que le film ne va cesser de déployer, jusque,
à mon sens, à la caricature.
Nous
admirons donc régulièrement les incendies incontrôlés qui dévastent villes et
campagnes américaines, nous nous extasions
devant les cargos desséchés échoués sur les plages de mers disparues, nous
dévorons des yeux les paysages abandonnés de jungles d’asphalte entrelacées dans les espaces vides et livides de
territoires perdus. Hillcoat fait du beau avec du laid, par le saisissement. Il
fabrique du sublime, de ces paysages
qui nous glacent par leur disproportion et provoquent en nous effroi et
fascination. Quelque chose de religieux, donc. Certes, cette manière de faire
me semble aller contre le projet du roman, tout d’élégiaque désolation, mais néanmoins n’est-ce pas
par un moyen analogue, une façon de
rejoindre le maniérisme certain du style de McCarthy ? Il y a toutefois
dans ce spectacle de l’agonie esthétisante de notre monde quelque chose qui
nous ramène à un cinéma dont il a déjà été question dans ces pages et qui a à
voir avec les plus infâmes séries B. Dès lors que le danger guette, il
m’apparaît que le film de Hillcoat ne parvient pas à se débarrasser de cette
histoire qu’il voudrait finir, et qui appartient aux Mad Max de Miller et à tous ses « ersatz », notamment
italiens, les 2019 après la chute de New
York, Les Nouveaux barbares, Les Rats de Manhattan, jusqu’au Malevil français, ou plus sûrement au New York 1997 de Carpenter. Les barbares
du futur dévasté chez Hillcoat portent les mêmes attributs folkloriques que les
virils guerriers de la route des films précédemment cités : accessoires et
masques vaguement sado-maso qui ne sont pas sans évoquer quelque déguisement de
gladiateur, avec chaînes et barres de fer, armes trafiquées, et allure de
cow-boys sauvages. C’est qu’au fond, toute cette imagerie prend sa source dans
le western, d’abord américain, puis tamisé par le glorieux cinéma italien des
années 60’. On ne dira jamais assez à quel point la tradition, dans à peu près
tous les genres, doit quelque chose à ce cinéma fauché et inventif, qui
fabriqua la contre-proposition hollywoodienne, que les cinéastes américains des
années 70’ s’empressèrent de s’accaparer. Au fond, donc, tout se passe comme si
Hillcoat, voulant parachever le genre, ne parvenait qu’à en célébrer l’histoire
la plus secrète. La scène dite des « cannibales », tout un programme !,
ne fait jamais que reprendre la bonne vieille grammaire du film d’horreur le
plus craspec : caméra pseudo-subjective qui découvre en même temps que le
personnage l’horreur de ce qui se passe dans la cave – un garde-manger d’hommes
et de femmes vivants que les « barbares » ci-dessus évoqués dévorent
progressivement -, hors-champs inquiétant, accessoires de décors fortement
suggestifs comme des chaines, des crocs de métal, le dévoilement depuis
l’obscurité de l’horreur qui surgit brutalement dans la lumière, etc. Cela dit,
cette scène, même très brève, reste assez secouante, aussi parce qu’elle assume
son caractère franchement d’épouvante, sans tenter de verser vers on ne sait
quel esthétisme. Lorsque les demi-morts de faim parviennent à s’enfuir de la
cave où ils sont retenus et s’en prennent, au moins pour l’un d’entre eux,
aperçu subrepticement à la faveur de la fuite de Mortensen, à ceux qui les
retiennent dans cet atroce état, on ne peut non plus s’empêcher de penser une
fois encore à la postérité du zombie, figure famélique qui s’attaque aux
vivants, trop vivants…
Ainsi,
il me semble que le film de Hillcoat (re)trouve quelque chose de la tradition
et l’honore dès lors qu’il oublie sa vocation messianique –
littéralement : « après moi, le déluge ! ». Bien
entendu, l’on peut aussi trouver un intérêt éventuellement cinématographique à
toutes ces représentations doloristes dans le film. Après tout, cela a à voir
tout de même avec le cinéma qui nous intéresse. En anglais, le terme d’horror movie dit bien quelque chose du
paradoxe sur lequel se fonde ce cinéma : le souci de montrer
l’immontrable, l’obscène, l’horrible, et éventuellement d’en faire œuvre sinon
belle tout au moins « délectable ». Quel étrange goût que celui-là,
qui éventuellement correspondrait certes à une barbarie toute raffinée qui est bien
celle de ce film… C’est pourtant aussi qu’il y a dans toute une tradition de
représentation religieuse quelque chose qui correspond à ce goût de l’horreur.
Et il est évident que les choix notamment de photographie et de composition
d’un certain nombre de plans de Hillcoat entraînent son film dans cette
direction. Viggo Mortensen est tout autant une piéta protégeant son enfant qu’un Christ qui connaît son chemin de croix. C’est ainsi qu’il
apparaît au spectateur, parce que c’est vraiment ainsi qu’il est regardé par
Hillcoat.
Par
ailleurs, un autre élément qui me semble significatif des choix de mise en
scène de Hillcoat et qui contribue à faire de cette œuvre un film tout à fait
typique d’une certaine Amérique, c’est la représentation précisément du paysage américain. Nous sommes ici dans
l’Americana la plus franche. Et tout
le film tire vers cet « américanisme » ce qui ne reste que suggéré
dans le roman de McCarthy. Ce fantasme du retour à l’Ouest sauvage, malgré le
texte, malgré la dramaturgie, me semble imprégner tout le projet esthétique du
film. Il y a chez nombre d’américains ce sentiment qu’au temps prochain de la
Catastrophe succèdera celui immémorial du retour aux origines. C’est déjà plus
ou moins, dans sa version littéraire et moins littérale, ce que McCarthy
entendait lorsqu’il faisait proclamer à ses personnages, le père et le fils,
qu’ils étaient « ceux qui portent le feu ». Mais dans le film de
Hillcoat, ce retour aux origines de l’Humanité se « westernise » et
devient un retour au début de la conquête de la Frontière, thème décidément
américain. La canette de coca dégustée par le père et le fils, les références
aux nombreuses marques de céréales ou chips américaines lors de la scène dite
du Cellier – je me réfère pour le nom des scènes aux titres de la très belle
bande originale – tout cela participe d’une connivence qui ne peut que
« caresser dans le sens du poil » l’américain moyen spectateur du
film, persuadé que son pays survivra à la fin du monde… Les forêts de poteaux
télégraphiques, l‘Amérique d’hier, les labyrinthes autoroutiers, l’Amérique
d’aujourd’hui, l’Amérique encore, l’Amérique toujours !
Ainsi
par la force du saisissement du cinéma, qui ne parvient finalement que plus
difficilement que la littérature à fabriquer une représentation juste du
désespoir, le roman de McCarthy se trouve tout de même comme subverti par
Hillcoat. Le même sentimentalisme opère toutefois, qui tente parfois de se
faire passer pour de la contemplation – il y a bien quelques tentatives
« malickiennes » vite abandonnées… - mais qui en revient vite à son explicitation finalement rationnelle
d’un récit dont tout malaise est évacué. Certes, à la fin le père meurt – et
c’est authentiquement émouvant – mais pour que son fils, recueilli par une
famille aimante (!), puisse enfin lui parler, au-delà de ce monde. Une certaine
idée de l’avenir, de la renaissance – de cette « rebirth » qui n’est
certes pas toujours la part la plus aimable de l’Amérique, lorsque le fils veut
trop marcher dans les traces du père, et finir son travail, une bonne fois pour
toute !
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