dimanche 12 octobre 2014

12/31 : Invasion, de Jack Finney (1955) par Oliver Hirschbiegel (2007)




J’ai fait le choix en cet automne thématique du Train Fantôme de conserver mon expression par écrit, contrairement au Chef de gare qui s’est résolument tourné vers l’image et le son. Après tout, quand l’un écrit et l’autre filme, cela justifie un peu le sujet de ce mois, et puis tout simplement, puisque ce Train Fantôme est éminemment un exercice d’improvisation, il faut bien le dire, je me sens plus à l’aise au clavier qu’à la souris, même si en l’occurrence certaines des « fonctionnalités » que permet la vidéo vont peut-être me faire défaut… Tout ça pour dire que j’aurais, comme le fait désormais le Chef de gare, aimé débuter cette chronique dominicale par la lecture de quelque passage du roman de Finney, paru originellement aux Etats-Unis en 1955, sous le titre The Body Snatchers, littéralement les « voleurs de corps », et paru en France sous le titre Graine d’épouvante en 1977 seulement, peu avant sa seconde adaptation au cinéma. Je n’ai pas ces outils, je me contenterai donc archaïquement de recopier quelques lignes…


« Je répétai « allô » un peu plus fort, puis agitai le crochet par réflexe, mais la liaison était coupée et je raccrochai. Un an plus tôt, une opératrice de nuit que je connaissais bien aurait pu me dire qui m’avait appelé. A cette heure-ci, elle n’aurait probablement eu qu’une seule petite lumière allumée au standard, et se serait rappelée laquelle, intéressée par cet appel de nuit à un médecin. Mais aujourd’hui nous avons des téléphones automatiques, d’une splendide efficacité, qui nous font bien gagner une seconde sur chaque appel, d’une inhumaine perfection, et tragiquement dépourvus de cervelle ; aucun d’entre eux ne sera jamais capable de dire où se trouve le docteur quand un gosse est malade et a besoin de soin. Il m’arrive de penser que, de nos vies, nous chassons peu à peu toute humanité… » (page 54, édition Guénaud).

Il est probable qu’aujourd’hui ce téléphone automatique serait non seulement capable de rappeler tout seul le fameux médecin dont on a tant besoin au milieu de la nuit, mais qu’il ne l’aurait jamais seulement perdu de vue depuis le début de son service, magie de la géo-localisation et de l’interconnexion permanente ! Pour autant, même – peut-être surtout !- si la machine devient intelligente, pouvons-nous affirmer que nous avons cessé de chasser peu à peu de notre vie toute humanité ? Voilà bien une question qui rebondissant sur ce passage du formidable roman de Finney, justifiait à elle seule que l’on se réattaque pour le cinéma à une œuvre qui par le cinéma est désormais presque patrimoniale. Le film de Hirschbiegel, s’il reprend grosso modo le récit tiré du roman – d’avantage que la version de Ferrara par exemple – se veut probablement pourtant plus une réactualisation du film de Siegel, œuvre presque légendaire, que d’aucun considère comme l’un des points de départ de la décennie d’or du Cinéma américain des années 70. Hirschbiegel est allemand, fasciné par la question de l’inhumanité pour ne pas dire du « Mal », il est l’auteur du polémique La Chute, sur les dernières semaines de la vie d’Hitler dans son bunker de la Chancellerie, et avant cela d’un film intitulé L’Expérience, qui racontait le dérapage d’une expérience de psychologie sociale mettant aux prises de factices prisonniers et leurs gardiens soudain très attachés à la réalité de leur condition. Que l’on considère ce Hirschbiegel comme surestimé ou poseur, toutefois imaginer une réédition pour l’écran du récit de Finney attachée à son nom ne semblait pas complètement hors de propos. C’était toutefois oublier que les « cosses » ont décidément pris le pouvoir à Hollywood, et qu’un Européen dans cet environnement, peut protester de son talent, voilà bien la dernière préoccupation des executives chargés lui faire passer l’envie de se distinguer…

Et pourtant donc, on aurait pu rêver d’une réactualisation du récit qui prenait acte du nouveau monde électronique qui est le nôtre. Rollerball, au mitan des années 70’, ingérait la grammaire de la télévision, objet qui avait déjà envahi tous les foyers – avant que cette grammaire finisse par envahir tous les écrans. Cet Invasion, s’il tente à quelques instants de faire signe vers la nouvelle grammaire texto-visuelle de notre monde, est déjà complètement pervertit par celle-ci : ce film est comme déjà étranger à lui-même, aliéné littéralement, d’une manière assez analogue au film de Jewison. Il y a peut-être quelque chose toutefois à en dire, puisque c’est précisément le sujet du film…

L’autre élément essentiel de ce film, et qui contribua à la faillite – apparemment – de Hirschbiegel, c’est bien entendu la présence au générique de la superstar Nicole Kidman, dont l’allure, le rôle et surtout le visage, disent quelque chose de l’intérêt possible – et peut-être unique – du film. Si Invasion se présente pour un public qui possède quelque histoire du genre comme le nouveau remake d’une série de films – c’est déjà le quatrième !- qui a marqué la tradition, il est bien évident que le principal atout, pour ne pas dire attrait, public du film, c’est sa star bankable – et pourtant passablement amortie… Le malentendu dans lequel semble s’être fourvoyé Hirschbiegel est manifeste : il se prenait pour le nouveau Siegel, il n’était qu’un exécutant de basses œuvres, chargé de magnifier le visage lisse et inhumain à force de chirurgie plastique de l’actrice australienne – un projet presque contradictoire avec le sujet du récit de Body snatchers... Le vers est dans le fruit, pourrait-on dire, et le fait qu’à Hirschbiegel, cinéaste allemand un peu controversé, fut finalement substitué un movie-maker de circonstance dont on ne sait plus très bien si c’est lui ou un autre, raconte toutefois quelque chose de très semblable au drame du film…

Rappelons brièvement l’histoire, de cette race déjà évoquée, basée sur une seule idée simple, dont le développement permet toutes les variations. Dans le roman, Miles, médecin d’une petite ville de Californie de quelques milliers d’âmes, se trouve confronté à plusieurs patients lui déclarant que leurs proches, mari, parent, enfant, ne sont plus leurs proches. Ils en ont toutes les apparences, tous les souvenirs, mais il n’empêche, il ne s’agit plus d’eux. Quelque chose au-delà de la forme, pourrait-on dire, leur souffle que celui qui leur était encore il y a quelques temps intimement connu, apparaît désormais, en dépit de toute rationalité, comme un étranger, autre qu’il n’était jusqu’à présent. Une idée simple, donc, et qui porte quelque chose d’assez cinématographique en elle : l’image est trompeuse, la vérité se cache en deçà du voile de l’apparence, dans des zones toutefois qu’il reste à circonscrire – pour ma part, j’oserais dès l’abord évoquer le fameux hors-champs sur lequel se fonde le genre le plus souvent. L’avantage de cette étrangeté, c’est qu’elle permet certes toute les projections, paranoïaques ou psychotiques, mais dans tous les cas, elle nous parle de nous-mêmes : nous ne voyons jamais si bien que ce qui nous fait peur. Ainsi au sujet du film de Siegel, qui restait très fidèle au roman de Finney, a-t-on pu évoquer la crainte, pêle-mêle, du communisme, ou a contrario du maccarthysme, éventuellement du fascisme, bref, de tout ce que l’on voulait bien déceler dans cet ennemy wtihin, cet ennemi de l’intérieur dont nous entretenait le Chef de gare au sujet de Matheson et de la série Twilight Zone. Cette aliénation du regard, c’est aussi tout simplement le premier ressort du fantastique, lorsque sa naissance, littéraire, raconte par exemple chez Maupassant, comment un autre habite son propre esprit.

La transposition politique, puisqu’il s’agit bien de cela, de ce motif fondateur du genre, dans L’Invasion des profanateurs de sépultures, permet de passer des affres de l’ego aux affolements collectifs, si propre au XXème siècle et à ses terreurs de masse. Cette aliénation générale d’une population entière, celle de Santa Mira en Californie, par l’entremise de ces « cosses », un genre de vie extra-terrestres vaguement végétale et pourtant animée, décidées à survivre en prenant l’apparence, et toute l’apparence, souvenirs compris, des sujets qu’elles parasitent, voilà un motif que l’on retrouvera régulièrement au cinéma, sous des formes assez variées, dont par exemple le formidable The Thing de Carpenter. Il est remarquable que si le film de Hirschbiegel reste relativement fidèle au roman de Finney, toutefois dès l’abord situe-t-il son action non plus dans la typique petite ville américaine mais bien dans ce qui semble être une grande métropole aux hautes tours et larges rues. Le lieu de l’action de cette histoire raconte toujours quelque chose de la nature du danger qui nous guette. Ferrara avait ainsi choisi au début des années 90’ de situer  son Invasion dans un camp militaire, Kaufman en 1978 avait quant à lui déjà fait le choix de la ville, mais provinciale. J’avais, je crois, déjà eu l’occasion de souligner à quel point le héros américain, celui qui résiste à ce qui menace son monde, est le plus souvent l’habitant, non du centre, mais de la périphérie – et même le plus souvent de la zone la plus éloignée du « centre-ville », c’est-à-dire la campagne, pour ne pas dire le « désert » de quelque frontière comme c’est évidemment le cas du western le plus souvent. Hirschbiegel semble avoir pris acte de la mutation de l’Amérique, désormais urbaine jusque dans ses représentations d’elle-même. C’est très probablement aussi que le cinéaste allemand prétendait nous dire quelque chose de cet univers global, celui de ces villes qui partout sur la planète se ressemblent, et sont d’ores et déjà à l’image de ces cosses qui se reproduisent par mimétisme intégral. Mais c’est peut-être là voir déjà beaucoup plus qu’il n’y a en fait dans ce film…

Les premières images nous montrent la navette spatiale américaine « Patriot » - elle n’existe bien sûr pas, et c’est déjà un commentaire que de la nommer ainsi…- s’abimant dans l’atmosphère terrestre lors de son retour sur Terre. Comme par un heureux hasard, et sans doute pour faire honneur à son nom, l’épave en mille morceau du vaisseau s’écrase tout de même dans quelque coin des grands Etats-Unis, et l’un des scientifiques en charge d’en explorer les restes est tout à coup, et sans que même quelque suspens soit ménagé, infecté par une substance dont on sait donc dès l’abord qu’elle nous vient de l’espace. Tant pis pour les conjectures qui auraient pu faire scénario à défaut de cinéma, et l’éventuelle réflexion sur la manipulation par la mise en scène. Puisqu’aussitôt, alors que nous est présenté le personnage principal du film, la maman célibataire – Nicole Kidman - d’un jeune garçon qui va devenir l’enjeu du récit, nous pouvons regarder sur les écrans de télévision forcément allumés un peu partout, et notamment dans le salon de la maman en question, le mensonge éhonté au sujet de l’accident de Patriot, accident qui n’est rien moins que nié… Pour ceux qui pensait que dans l’Amérique contemporaine, il y avait besoin de cosses pour commencer à générer quelque soupçons de manipulation, et bien Hirschbiegel s’évertue dès les premières minutes du film à nous chanter sur tous les tons l’antienne du « on nous cache tout, on nous dit rien… ». J’évoquais pour ouvrir cette chronique le passage au sujet des téléphones-machines dans le roman de Finney. On voit bien comment Hirschbiegel, s’il prend acte d’un certain monde de la transparence généralisée qui serait le nôtre, à travers l’omniprésence des chaines télé d’information en continu, mais aussi et surtout par la généralisation tous azimuts de l’internet, ne parvient pas à se débarrasser d’une vision du monde dès l’abord gouvernée par le complot des puissants. Le programme d’une réactualisation de l’Invasion qui passerait par la question de l’horizontalité des rapports sociaux et politiques induits par ces nouveaux modes de connaissance, de communication, de pouvoir !, voilà qui semble bien étranger à ce cinéaste qui décidément est resté coincé dans le bunker de quelque dictateur…

Cet Invasion va dès lors se parer de tous les attributs du bon vieux films d’apocalypse, et parmi les sous-genre de celui-ci, bien entendu du film de zombie, particulièrement à la mode depuis les derniers succès BD et télé d’une fameuse série – postérieure toutefois à ce film. Il y a évidemment quelque chose qui n’est pas complètement incongru à traiter du roman de Finney avec les codes claustrophobiques du film de zombie. Ces cosses, formes vides, formes pures pourrait-on dire, qui ne connaissent plus d’autre souci que celui d’ingérer des vivants, pour les assimiler et grossir leurs troupes un peu plus encore, voilà bien un type de récit qui correspond très largement à ce genre. L’étrangeté soudaine d’un proche, voire sa dangerosité potentielle, voilà encore quelque chose de très commun aux deux types de récit. Le film de Hirschbiegel s’est ouvert mystérieusement par une sorte de prologue qui nous présentait Kidman échevelée, le visage ravagé de fatigue, en proie à une angoisse indicible, et visiblement enfermée dans un magasin, à la recherche frénétique d’un produit, dont on comprend bien vite qu’il s’agit d’un dopant pour s’empêcher de dormir. Puis nous sommes passés à la navette en perdition, quelques temps auparavant dans l’économie du récit… On se doute bien alors qu’on y reviendra, à ce supermarché, et l’on ne peut alors s’empêcher de penser que décidément, la grande surface a les faveurs du film de fin du monde, dès lors que celle-ci met au prise des êtres humains avec d’autres, devenus autre chose

Si l’on évoque cette transformation du même en un autre, étrange(r), on ne peut que se passionner pour le « vrai » sujet de ce film, Nicole Kidman et son allure presqu’envoûtante, à force d’être altérée. Nous l’avons dit, le film s’ouvre sur elle, en proie à la panique de s’endormir. C’est tout le propos de ce film, en fait, qui se tient là. Il est évident que c’est sur elle que celui-ci s’est construit, à tous points de vue, esthétique, financier, publicitaire, et secret. Cette histoire qui nous raconte comment des parasites finissent par prendre le pouvoir en ne conservant de leurs proches leur seule image, voilà exactement ce que semble signer le destin de Kidman, devenue depuis quelques années déjà comme la pâle image d’elle-même. Le temps qui à la fois a fait son office, Kidman n’est certes plus une jeune actrice, et qui pourtant semble n’avoir aucun effet sur l’australienne, son visage et son corps demeurant à l’exacte image de ce qu’ils étaient il y a dix ou quinze ans, on ne peut que se demander si le projet de filmer ce symbole qu’est Kidman au regard de l’histoire racontée n’était pas le vrai projet de Hirschbiegel, dans un geste à l’ambivalence accomplie, ou au contraire si plus prosaïquement il n’a pas tout simplement été à l’instar de l’histoire qu’il raconte, la victime de l’image de sa star, d’ores et déjà corrompue sans même qu’il s’en soit rendu compte… Toujours est-il que le visage inexpressif et néanmoins tourmenté, dans sa chair, de Kidman, a quelque chose d’incroyablement plastique quant à cette histoire de profanateur. Kidman, et Hollywood sans doute derrière elle, sont les extravagants profanateurs d’histoires, de visages, de destins qu’ils ont pourtant eux-mêmes fabriqués. Il y a une contradiction géante et générale dans le cinéma américain, qui ne peut avancer qu’en niant littéralement ce qu’il a fait au préalable, comme frappé de nullité. Et même lorsque les scènes entre l’ambassadeur russe et le personnage de Kidman semblent faire signe vers une Histoire du récit qu’il nous raconte, et donc éventuellement au film de Siegel que l’on classe vite comme un « film de guerre froide », toujours d’actualité pourtant au regard des échanges lors de cette soirée, on sent bien qu’on ne va que très peu se soucier de ce qui peut faire sens dans le récit, au profit d’une longue et pesante poursuite, devenu le motif essentiel du cinéma américain, dont le moteur est évidemment la réunion entre la mère et son fils – qui nous change du plus traditionnel rapport père/fils ou fille, élément presque présent dans la totalité des blockbusters de ces dernières années…

Tout cela est néanmoins très sérieux, mode de traitement désormais habituel du cinéma de genre. Non que je défende pour ma part quelque chose comme du second degré, je déteste cela, mais tout au moins un léger décalage entre le regard du cinéaste et le déroulement du récit permet le déploiement sinon d’un discours, tout au moins précisément d’un regard. Il en va là un peu comme de la mise en scène sportive que j’évoquais dans ma chronique sur Rollerball. Plus encore que sérieux, l’on pourrait dire que le point de vue adopté est sans aucun recul : une forme d’objectivité qui ne laisse nulle place à la mise en scène. Le regard grave, voilà ce qui semble donner poids à la réalisation… Une fois encore, cette manière de faire d’un cinéma foncièrement de divertissement un art « sévère » se retrouve régulièrement aujourd’hui à Hollywood, et l’on ne peut s’empêcher, avec quelques regrets, de voir dans ce phénomène comme l’imitation d’une tentative de cinéma qu’on a pu rencontrer avec Rollerball ou Zardoz. Cet Invasion est pourtant à l’opposé des tentatives formelles, même ratées, que pouvaient expérimenter ces films.

Par ailleurs, le programme puritain du cinéma mainstream hollywoodien est bien respecté : le « méchant » papa du jeune garçon de Kidman, divorcé donc d’avec la mère, reste celui par lequel circule l’épidémie de cosses – puisque d’épidémie il s’agit. Au contraire, le brave gars amoureux de la « jeune » mère célibataire, Daniel Craig, étrangement égaré dans ce film, admettra de ne pas consommer avec son amante, se protégeant ainsi sans le savoir de toute contamination – l’épidémie se répand par un fluide corporel transmis par muqueuse orale, apparemment… Et d’ailleurs, rien des éléments relatifs à cette épidémie ne nous est épargné. Nous pourrions être tout aussi bien dans un roman de Greg Bear, auteur de hard sf « biologique » : la description du phénomène par le scientifique de service nous est présentée à travers une modélisation 3D sur un écran d’ordinateur. Cette modification du réel, ou tout au moins de sa représentation, en une procédure informatique qui seule peut rendre compte de la vérité, se retrouve dans l’une des scènes pivots du film : lorsque Kidman découvre la réalité du phénomène, elle le fait par l’entremise du moteur de recherche Google ! Il fallait y penser : c’est par l’algorithme du moteur de recherche, et parce qu’elle parvient à effectuer la bonne requête, qu’elle comprend ce qui se passe, la réponse lui est donnée par l’ordinateur. Quand je vous disais que les téléphones-machines de Finney avaient bien évolué…

Il y avait pourtant là quelque chose à filmer probablement, car après tout, ce motif d’une intelligence étrangère qui peut-être finira en effet par nous contrôler, reste un grand classique du genre depuis quelques décennies. Et Hirschbiegel aurait pu tenter de s’y frotter, de sonder le pouvoir de l’image, forcément abusive, à la télévision ou sur internet. C’était probablement sans compter sur sa star, son souci de la maîtrise de sa propre image, et ses producteurs qui réclamaient surtout un bon film familial, dans l’air du temps, celui de la parano consécutive aux errements de l’Etat presque policier des années Busch, au suspens entendu – il n’y a aucun mystère au sujet des infectés, ils sont dangereux, et se comportent exactement comme les zombies bien connus du grand public, voir à ce sujet la scène d’attaque d’un infecté en cours d’incubation…-, au fond d’un film dont le seul propos subversif consiste à fondre dans une même menace zombies et CIA, devenue le grand pourvoyeur des méchants de l’intérieur à Hollywood depuis dix ans.

L’histoire dérive donc inexorablement vers le « sauvetage » de la famille américaine, motif grave et grand public. A la fin tout est bien qui finit bien : la mère a fait preuve de son abnégation pour finalement sauver sa famille. Même les infectés reviennent à leur état normal – cela dit, c’était aussi vrai dans le roman, mais dans une fin allégorique et toutefois ambiguë, très proche d’un Wells, les cosses quittant la Terre dès lors qu’elles savent que l’espèce qu’elles venaient d’entreprendre de « remplacer » était prompte à la violence et donc mal adaptée à la survie… On aurait pu attendre d’un cinéaste allemand qui filma le Troisième Reich un peu plus d’envergure quand il s’agissait de mettre en scène un film sur la panique sociale, affective et politique provoquée par l’envahissement d’un mal total, qui annihile toute inquiétude individuelle au profit d’une volonté de puissance abstraite et désaffectée… Peut-être aurait-il dû lire le livre.

Graines d’épouvante (The body snatchers), Jack Finney, 1955, USA


Invasion (The Invasion), Oliver Hirschbiegel, 2007, USA

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