J’ai fait le
choix en cet automne thématique du Train Fantôme de conserver mon expression
par écrit, contrairement au Chef de gare qui s’est résolument tourné vers
l’image et le son. Après tout, quand l’un écrit et l’autre filme, cela justifie
un peu le sujet de ce mois, et puis tout simplement, puisque ce Train Fantôme
est éminemment un exercice d’improvisation, il faut bien le dire, je me sens
plus à l’aise au clavier qu’à la souris, même si en l’occurrence certaines des
« fonctionnalités » que permet la vidéo vont peut-être me faire
défaut… Tout ça pour dire que j’aurais, comme le fait désormais le Chef de gare,
aimé débuter cette chronique dominicale par la lecture de quelque passage du
roman de Finney, paru originellement aux Etats-Unis en 1955, sous le titre The Body Snatchers, littéralement les
« voleurs de corps », et paru en France sous le titre Graine d’épouvante en 1977 seulement,
peu avant sa seconde adaptation au
cinéma. Je n’ai pas ces outils, je me contenterai donc archaïquement de recopier quelques lignes…
« Je
répétai « allô » un peu plus fort, puis agitai le crochet par
réflexe, mais la liaison était coupée et je raccrochai. Un an plus tôt, une
opératrice de nuit que je connaissais bien aurait pu me dire qui m’avait
appelé. A cette heure-ci, elle n’aurait probablement eu qu’une seule petite
lumière allumée au standard, et se serait rappelée laquelle, intéressée par cet
appel de nuit à un médecin. Mais aujourd’hui nous avons des téléphones
automatiques, d’une splendide efficacité, qui nous font bien gagner une seconde
sur chaque appel, d’une inhumaine perfection, et tragiquement dépourvus de
cervelle ; aucun d’entre eux ne sera jamais capable de dire où se trouve
le docteur quand un gosse est malade et a besoin de soin. Il m’arrive de penser
que, de nos vies, nous chassons peu à peu toute humanité… » (page 54,
édition Guénaud).
Il est
probable qu’aujourd’hui ce téléphone automatique serait non seulement capable
de rappeler tout seul le fameux médecin dont on a tant besoin au milieu de la
nuit, mais qu’il ne l’aurait jamais seulement perdu de vue depuis le début de son service, magie de la
géo-localisation et de l’interconnexion permanente ! Pour autant, même –
peut-être surtout !- si la machine devient intelligente, pouvons-nous
affirmer que nous avons cessé de chasser peu à peu de notre vie toute
humanité ? Voilà bien une question qui rebondissant sur ce passage du
formidable roman de Finney, justifiait à elle seule que l’on se réattaque pour
le cinéma à une œuvre qui par le
cinéma est désormais presque patrimoniale. Le film de Hirschbiegel, s’il
reprend grosso modo le récit tiré du
roman – d’avantage que la version de Ferrara par exemple – se veut probablement
pourtant plus une réactualisation du film de Siegel, œuvre presque légendaire,
que d’aucun considère comme l’un des points de départ de la décennie d’or du
Cinéma américain des années 70. Hirschbiegel est allemand, fasciné par la
question de l’inhumanité pour ne pas dire du « Mal », il est l’auteur
du polémique La Chute, sur les
dernières semaines de la vie d’Hitler dans son bunker de la Chancellerie, et
avant cela d’un film intitulé L’Expérience,
qui racontait le dérapage d’une expérience de psychologie sociale mettant aux
prises de factices prisonniers et leurs gardiens soudain très attachés à
la réalité de leur condition. Que l’on
considère ce Hirschbiegel comme surestimé ou poseur, toutefois imaginer une
réédition pour l’écran du récit de Finney attachée à son nom ne semblait pas
complètement hors de propos. C’était toutefois oublier que les
« cosses » ont décidément pris le pouvoir à Hollywood, et qu’un
Européen dans cet environnement, peut protester de son talent, voilà bien la
dernière préoccupation des executives
chargés lui faire passer l’envie de se distinguer…
Et pourtant
donc, on aurait pu rêver d’une réactualisation du récit qui prenait acte du
nouveau monde électronique qui est le nôtre. Rollerball, au mitan des années 70’, ingérait la grammaire de la
télévision, objet qui avait déjà envahi tous les foyers – avant que cette
grammaire finisse par envahir tous les écrans. Cet Invasion, s’il tente à quelques instants de faire signe vers la
nouvelle grammaire texto-visuelle de
notre monde, est déjà complètement pervertit par celle-ci : ce film est
comme déjà étranger à lui-même, aliéné littéralement, d’une manière assez
analogue au film de Jewison. Il y a peut-être quelque chose toutefois à en
dire, puisque c’est précisément le sujet du film…
L’autre
élément essentiel de ce film, et qui contribua à la faillite – apparemment
– de Hirschbiegel, c’est bien entendu la présence au générique de la superstar
Nicole Kidman, dont l’allure, le rôle et surtout le visage, disent quelque
chose de l’intérêt possible – et peut-être unique – du film. Si Invasion se présente pour un public qui
possède quelque histoire du genre comme le nouveau remake d’une série de films
– c’est déjà le quatrième !- qui a marqué la tradition, il est bien
évident que le principal atout, pour ne pas dire attrait, public du film, c’est
sa star bankable – et pourtant passablement amortie… Le malentendu dans lequel
semble s’être fourvoyé Hirschbiegel est manifeste : il se prenait pour le
nouveau Siegel, il n’était qu’un exécutant de basses œuvres, chargé de
magnifier le visage lisse et inhumain à force de chirurgie plastique de
l’actrice australienne – un projet presque contradictoire avec le sujet du
récit de Body snatchers... Le vers
est dans le fruit, pourrait-on dire, et le fait qu’à Hirschbiegel, cinéaste
allemand un peu controversé, fut finalement substitué un movie-maker de
circonstance dont on ne sait plus très bien si c’est lui ou un autre, raconte
toutefois quelque chose de très semblable au drame du film…
Rappelons
brièvement l’histoire, de cette race déjà évoquée, basée sur une seule idée
simple, dont le développement permet toutes les variations. Dans le roman, Miles,
médecin d’une petite ville de Californie de quelques milliers d’âmes, se trouve
confronté à plusieurs patients lui déclarant que leurs proches, mari, parent,
enfant, ne sont plus leurs proches. Ils en ont toutes les apparences, tous les
souvenirs, mais il n’empêche, il ne s’agit plus d’eux. Quelque chose au-delà de
la forme, pourrait-on dire, leur souffle que celui qui leur était encore il y a
quelques temps intimement connu, apparaît désormais, en dépit de toute rationalité,
comme un étranger, autre qu’il n’était jusqu’à présent. Une idée simple, donc,
et qui porte quelque chose d’assez cinématographique en elle : l’image est
trompeuse, la vérité se cache en deçà du voile de l’apparence, dans des zones
toutefois qu’il reste à circonscrire – pour ma part, j’oserais dès l’abord
évoquer le fameux hors-champs sur lequel se fonde le genre le plus souvent. L’avantage
de cette étrangeté, c’est qu’elle permet certes toute les projections, paranoïaques ou psychotiques, mais dans tous les cas, elle
nous parle de nous-mêmes : nous ne voyons jamais si bien que ce qui nous
fait peur. Ainsi au sujet du film de Siegel, qui restait très fidèle au roman
de Finney, a-t-on pu évoquer la crainte, pêle-mêle, du communisme, ou a contrario du maccarthysme, éventuellement
du fascisme, bref, de tout ce que l’on voulait bien déceler dans cet ennemy wtihin, cet ennemi de l’intérieur
dont nous entretenait le Chef de gare au sujet de Matheson et de la série Twilight Zone. Cette aliénation du regard,
c’est aussi tout simplement le premier ressort du fantastique, lorsque sa
naissance, littéraire, raconte par exemple chez Maupassant, comment un autre habite son propre esprit.
La
transposition politique, puisqu’il s’agit bien de cela, de ce motif fondateur
du genre, dans L’Invasion des
profanateurs de sépultures, permet de passer des affres de l’ego aux
affolements collectifs, si propre au XXème siècle et à ses terreurs de masse. Cette aliénation générale d’une
population entière, celle de Santa Mira en Californie, par l’entremise de ces « cosses »,
un genre de vie extra-terrestres vaguement végétale et pourtant animée, décidées
à survivre en prenant l’apparence, et toute l’apparence, souvenirs compris, des
sujets qu’elles parasitent, voilà un motif que l’on retrouvera régulièrement au
cinéma, sous des formes assez variées, dont par exemple le formidable The Thing de Carpenter. Il est remarquable
que si le film de Hirschbiegel reste relativement fidèle au roman de Finney,
toutefois dès l’abord situe-t-il son action non plus dans la typique petite
ville américaine mais bien dans ce qui semble être une grande métropole aux
hautes tours et larges rues. Le lieu de l’action de cette histoire raconte toujours
quelque chose de la nature du danger qui nous guette. Ferrara avait ainsi
choisi au début des années 90’ de situer son Invasion
dans un camp militaire, Kaufman en 1978 avait quant à lui déjà fait le choix de
la ville, mais provinciale. J’avais, je crois, déjà eu l’occasion de souligner
à quel point le héros américain, celui qui résiste à ce qui menace son monde,
est le plus souvent l’habitant, non du centre, mais de la périphérie – et même
le plus souvent de la zone la plus éloignée du « centre-ville », c’est-à-dire
la campagne, pour ne pas dire le « désert » de quelque frontière
comme c’est évidemment le cas du western le plus souvent. Hirschbiegel semble
avoir pris acte de la mutation de l’Amérique, désormais urbaine jusque dans ses
représentations d’elle-même. C’est très probablement aussi que le cinéaste
allemand prétendait nous dire quelque chose de cet univers global, celui de ces
villes qui partout sur la planète se ressemblent, et sont d’ores et déjà à l’image
de ces cosses qui se reproduisent par mimétisme intégral. Mais c’est
peut-être là voir déjà beaucoup plus qu’il n’y a en fait dans ce film…
Les premières
images nous montrent la navette spatiale américaine « Patriot » -
elle n’existe bien sûr pas, et c’est déjà un commentaire que de la nommer ainsi…-
s’abimant dans l’atmosphère terrestre lors de son retour sur Terre. Comme par
un heureux hasard, et sans doute pour faire honneur à son nom, l’épave en mille
morceau du vaisseau s’écrase tout de même dans quelque coin des grands
Etats-Unis, et l’un des scientifiques en charge d’en explorer les restes est
tout à coup, et sans que même quelque suspens soit ménagé, infecté par une substance
dont on sait donc dès l’abord qu’elle nous vient de l’espace. Tant pis pour les
conjectures qui auraient pu faire scénario à défaut de cinéma, et l’éventuelle
réflexion sur la manipulation par la mise en scène. Puisqu’aussitôt, alors que nous
est présenté le personnage principal du film, la maman célibataire – Nicole Kidman
- d’un jeune garçon qui va devenir l’enjeu du récit, nous pouvons regarder sur
les écrans de télévision forcément allumés un peu partout, et notamment dans le
salon de la maman en question, le mensonge éhonté au sujet de l’accident de
Patriot, accident qui n’est rien moins que nié… Pour ceux qui pensait que dans
l’Amérique contemporaine, il y avait besoin de cosses pour commencer à générer
quelque soupçons de manipulation, et bien Hirschbiegel s’évertue dès les
premières minutes du film à nous chanter sur tous les tons l’antienne du « on
nous cache tout, on nous dit rien… ». J’évoquais pour ouvrir cette
chronique le passage au sujet des téléphones-machines dans le roman de Finney.
On voit bien comment Hirschbiegel, s’il prend acte d’un certain monde de la
transparence généralisée qui serait le nôtre, à travers l’omniprésence des
chaines télé d’information en continu, mais aussi et surtout par la
généralisation tous azimuts de l’internet, ne parvient pas à se débarrasser d’une
vision du monde dès l’abord gouvernée par le complot des puissants. Le
programme d’une réactualisation de l’Invasion
qui passerait par la question de l’horizontalité des rapports sociaux et
politiques induits par ces nouveaux modes de connaissance, de communication, de
pouvoir !, voilà qui semble bien étranger à ce cinéaste qui décidément est
resté coincé dans le bunker de quelque dictateur…
Cet Invasion va dès lors se parer de tous
les attributs du bon vieux films d’apocalypse, et parmi les sous-genre de
celui-ci, bien entendu du film de zombie, particulièrement à la mode depuis les
derniers succès BD et télé d’une fameuse série – postérieure toutefois à ce
film. Il y a évidemment quelque chose qui n’est pas complètement incongru à
traiter du roman de Finney avec les codes claustrophobiques du film de zombie.
Ces cosses, formes vides, formes pures pourrait-on dire, qui ne connaissent
plus d’autre souci que celui d’ingérer des
vivants, pour les assimiler et grossir leurs troupes un peu plus encore, voilà
bien un type de récit qui correspond très largement à ce genre. L’étrangeté
soudaine d’un proche, voire sa dangerosité potentielle, voilà encore quelque
chose de très commun aux deux types de récit. Le film de Hirschbiegel s’est
ouvert mystérieusement par une sorte de prologue qui nous présentait Kidman
échevelée, le visage ravagé de fatigue, en proie à une angoisse indicible, et
visiblement enfermée dans un magasin, à la recherche frénétique d’un produit,
dont on comprend bien vite qu’il s’agit d’un dopant pour s’empêcher de dormir. Puis
nous sommes passés à la navette en perdition, quelques temps auparavant dans l’économie
du récit… On se doute bien alors qu’on y reviendra, à ce supermarché, et l’on
ne peut alors s’empêcher de penser que décidément, la grande surface a les
faveurs du film de fin du monde, dès lors que celle-ci met au prise des êtres
humains avec d’autres, devenus autre chose…
Si l’on évoque
cette transformation du même en un autre, étrange(r),
on ne peut que se passionner pour le « vrai » sujet de ce film,
Nicole Kidman et son allure presqu’envoûtante, à force d’être altérée. Nous l’avons
dit, le film s’ouvre sur elle, en proie à la panique de s’endormir. C’est tout
le propos de ce film, en fait, qui se tient là. Il est évident que c’est sur
elle que celui-ci s’est construit, à tous points de vue, esthétique, financier,
publicitaire, et secret. Cette histoire qui nous raconte comment des parasites
finissent par prendre le pouvoir en ne conservant de leurs proches leur seule
image, voilà exactement ce que semble signer le destin de Kidman, devenue
depuis quelques années déjà comme la pâle image d’elle-même. Le temps qui à la
fois a fait son office, Kidman n’est certes plus une jeune actrice, et qui pourtant
semble n’avoir aucun effet sur l’australienne, son visage et son corps
demeurant à l’exacte image de ce qu’ils
étaient il y a dix ou quinze ans, on ne peut que se demander si le projet de
filmer ce symbole qu’est Kidman au regard de l’histoire racontée n’était pas le
vrai projet de Hirschbiegel, dans un geste à l’ambivalence accomplie, ou au
contraire si plus prosaïquement il n’a pas tout simplement été à l’instar de l’histoire
qu’il raconte, la victime de l’image de sa star, d’ores et déjà corrompue sans
même qu’il s’en soit rendu compte… Toujours est-il que le visage inexpressif et
néanmoins tourmenté, dans sa chair,
de Kidman, a quelque chose d’incroyablement plastique quant à cette histoire de
profanateur. Kidman, et Hollywood
sans doute derrière elle, sont les extravagants profanateurs d’histoires, de
visages, de destins qu’ils ont pourtant eux-mêmes fabriqués. Il y a une
contradiction géante et générale dans le cinéma américain, qui ne peut avancer
qu’en niant littéralement ce qu’il a fait au préalable, comme frappé de
nullité. Et même lorsque les scènes entre l’ambassadeur russe et le personnage
de Kidman semblent faire signe vers une Histoire du récit qu’il nous raconte, et
donc éventuellement au film de Siegel que l’on classe vite comme un « film
de guerre froide », toujours d’actualité pourtant au regard des échanges
lors de cette soirée, on sent bien qu’on ne va que très peu se soucier de ce
qui peut faire sens dans le récit, au profit d’une longue et pesante poursuite,
devenu le motif essentiel du cinéma américain, dont le moteur est évidemment la
réunion entre la mère et son fils – qui nous change du plus traditionnel
rapport père/fils ou fille, élément presque présent dans la totalité des
blockbusters de ces dernières années…
Tout cela est néanmoins
très sérieux, mode de traitement désormais habituel du cinéma de genre. Non que
je défende pour ma part quelque chose comme du second degré, je déteste cela,
mais tout au moins un léger décalage entre le regard du cinéaste et le
déroulement du récit permet le déploiement sinon d’un discours, tout au moins précisément
d’un regard. Il en va là un peu comme
de la mise en scène sportive que j’évoquais dans ma chronique sur Rollerball. Plus encore que sérieux, l’on
pourrait dire que le point de vue adopté est sans aucun recul : une forme d’objectivité
qui ne laisse nulle place à la mise en scène. Le regard grave, voilà ce qui semble donner poids à la réalisation… Une fois
encore, cette manière de faire d’un cinéma foncièrement de divertissement un art
« sévère » se retrouve régulièrement aujourd’hui à Hollywood, et l’on
ne peut s’empêcher, avec quelques regrets, de voir dans ce phénomène comme l’imitation d’une tentative de cinéma qu’on
a pu rencontrer avec Rollerball ou Zardoz. Cet Invasion est pourtant à l’opposé des tentatives formelles, même ratées,
que pouvaient expérimenter ces films.
Par ailleurs,
le programme puritain du cinéma mainstream
hollywoodien est bien respecté : le « méchant » papa du jeune
garçon de Kidman, divorcé donc d’avec la mère, reste celui par lequel circule l’épidémie
de cosses – puisque d’épidémie il s’agit. Au contraire, le brave gars amoureux
de la « jeune » mère célibataire, Daniel Craig, étrangement égaré
dans ce film, admettra de ne pas consommer
avec son amante, se protégeant ainsi sans le savoir de toute contamination – l’épidémie
se répand par un fluide corporel transmis par muqueuse orale, apparemment… Et d’ailleurs,
rien des éléments relatifs à cette épidémie ne nous est épargné. Nous pourrions
être tout aussi bien dans un roman de Greg Bear, auteur de hard sf « biologique » : la description du phénomène
par le scientifique de service nous est présentée à travers une modélisation 3D
sur un écran d’ordinateur. Cette modification du réel, ou tout au moins de
sa représentation, en une procédure informatique qui seule peut rendre compte
de la vérité, se retrouve dans l’une des scènes pivots du film : lorsque
Kidman découvre la réalité du phénomène, elle le fait par l’entremise du moteur
de recherche Google ! Il fallait y penser : c’est par l’algorithme du
moteur de recherche, et parce qu’elle parvient à effectuer la bonne requête, qu’elle
comprend ce qui se passe, la réponse lui est donnée par l’ordinateur. Quand je
vous disais que les téléphones-machines de Finney avaient bien évolué…
Il y avait
pourtant là quelque chose à filmer probablement, car après tout, ce motif d’une
intelligence étrangère qui peut-être finira en effet par nous contrôler, reste
un grand classique du genre depuis quelques décennies. Et Hirschbiegel aurait
pu tenter de s’y frotter, de sonder le pouvoir de l’image, forcément abusive, à
la télévision ou sur internet. C’était probablement sans compter sur sa star,
son souci de la maîtrise de sa propre image, et ses producteurs qui réclamaient
surtout un bon film familial, dans l’air du temps, celui de la parano consécutive
aux errements de l’Etat presque policier des années Busch, au suspens entendu –
il n’y a aucun mystère au sujet des infectés, ils sont dangereux, et se
comportent exactement comme les zombies bien connus du grand public, voir à ce sujet
la scène d’attaque d’un infecté en cours d’incubation…-, au fond d’un film dont
le seul propos subversif consiste à fondre dans une même menace zombies et CIA,
devenue le grand pourvoyeur des méchants de l’intérieur à Hollywood depuis dix
ans.
L’histoire
dérive donc inexorablement vers le « sauvetage » de la famille
américaine, motif grave et grand public. A la fin tout est bien qui finit bien :
la mère a fait preuve de son abnégation pour finalement sauver sa famille. Même
les infectés reviennent à leur état normal – cela dit, c’était aussi vrai dans
le roman, mais dans une fin allégorique et toutefois ambiguë, très proche d’un
Wells, les cosses quittant la Terre dès lors qu’elles savent que l’espèce qu’elles
venaient d’entreprendre de « remplacer » était prompte à la violence
et donc mal adaptée à la survie… On aurait pu attendre d’un cinéaste allemand
qui filma le Troisième Reich un peu plus d’envergure quand il s’agissait de
mettre en scène un film sur la panique sociale, affective et politique provoquée
par l’envahissement d’un mal total, qui annihile toute inquiétude individuelle
au profit d’une volonté de puissance abstraite et désaffectée… Peut-être
aurait-il dû lire le livre.
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