mercredi 21 décembre 2011

48- Dracula, Prince des Ténèbres (Dracula, Prince of Darkness), Terence Fisher, Grande-Bretagne,1966


C'est sans enthousiasme, sans doute, que Terence Fisher aborde le tournage de Dracula Prince des Ténèbres. Il vient d'essuyer deux échecs, avec les sorties de son adaption du fantôme de l'opéra, et The gorgon. Revenir à un Dracula avec Christopher Lee dans le rôle du comte, doit sans doute permettre de rentabiliser l'investissement du film avant même la mise en boîte de la première bobine, et de se rassurer sur l'efficacité de la machine Hammer/Fisher.

La rédaction du scénario impose de s'éloigner du roman de Stoker, puisque même si de nombreux éléments ont été mis de côté dans Le cauchemar de Dracula, et pourraient servir de réserve, le comte est réduit en cendres, elles- même dispersées aux quatre vents à l'issue de ce film, la résurrection du Prince des vampires devient donc le premier souci des scénaristes.

Réduit en cendres ? Qu'à cela ne tienne, c'est à partir d'elles que le vampire sera reconstitué. Et plutôt que de contourner la difficulté, le film de Fisher s'ouvre sur un montage des dernières images du film précédent mettant en scène le comte. Avant de rejoindre à nouveau ce récit initial, le film s'ouvre par une longue digression nous présentant les nouveaux personnages véhicules du récit. Il s'agit de deux couples de touristes, non pas un groupe d'ados imprudents, californiens et lubriques comme l'impose le canon contemporain, mais quatre anglais entre deux âges, en goguette dans les Carpathes, qui loin d'avoir le vice dans la peau, tiennent leur raison comme seul gouvernail de leur itinéraire, et se moquent bien des mises en garde les invitant à éviter de faire étape dans le château ayant appartenu aux Dracula.

Totalement inintéressants sur le papier, ces personnages ne bénéficient pas d'un supplément d'âme grâce à l'inspiration de comédiens solides. C'est le minimum syndical qui est assuré, et la première partie du film, voyant nos quatre marcheurs errer est particulièrement soporifique, Fisher se montrant particulièrement littéral dans l'exécution des scènes. On notera simplement un des rares emprunts au livre de Stoker : comme dans le roman, c'est une diligence noire- ici sans cocher- qui mène contre leur gré les héros au château du conte.

Et c'est lorsque l'action se concentre dans ce lieu que la routine cède la place à l'inspiration, grâce à un personnage extraordinaire : Klove, le majordome de Dracula.

Celui-ci, hiératique, accueille le groupe de promeneurs égarés- c'est lui, qui a organisé les modalités de leur errances- il leur sert un solide repas, et suivant toutes les règles de l'hospitalité, les invite à passer la nuit dans des chambres prêtes à les accueillir. A l'occasion de la balade nocturne d'un des invités, sans doute en proie à l'insomnie (non, en fait, il veut élucider les mystères entourant le château du comte ), il ressuscitera son maître, en arrosant ses cendres du sang du malheureux noctambule, suspendu à un croc de boucher au dessus du tombeau ouvert du comte !

Cette scène- d'une violence vraiment choquante (nous sommes en 66, deux ans avant la Nuit des morts-vivants)- préfigure on seulement les abattages de massacre à la tronçonneuse, mais aussi ces tueurs dépassionnés, mécaniques, qui moissonneront toute une génération de teenagers et de jeune femmes dans les années 70. Fisher, pour ceux qui en douteraient encore, montre ici une facette moderne auquel il est rarement associé. Klove agit avec détachement, et assomme, accroche puis égorge sa victime, on le devine, comme il a préparé le repas et les chambres : il remplit son office, se montre à la hauteur de la tâche qui lui incombe, ni plus ni moins. Il regarde de la même façon le corps et la poignée de la poulie qui va le hisser au dessus du cercueil. Les motivations de Klove demeurent informulées, et on est ramené à la lecture stricte des images de Fisher : se référant au comte comme « son maître », énonçant sans un sourcillement que celui ci est mort, Klove accomplit certainement le protocole requis par son maître au cas où il faudrait procéder à sa resurrection. Klove est un employé de l'exécution, un serviteur zélé, d'autant plus fascinant qu'il pourrait à tout moment, sans le moindre effort, sans avoir à recourir à la plus infime violence, renoncer à la tâche qui lui incombe.

La mise en scène de la séquence est remarquable. En une série de plans longs, Fisher nous montre klove à l'oeuvre, soulignant les aspects purement techniques du meurtre : Klove, à deux ou trois reprise, s'assure de la bonne place de chaque élément du dispositif. Des raccords impeccables insistent sur le déroulement de l'opération en effaçant la moindre ellipse. Choix culminant dans la résurrection, en un plan unique et fixe, magnifique, constitué de surimpressions successives. On pense ici à la métamorphose en un plan, tout aussi poétique et fascinante par son évidence apparente, des Vampires de Freda et Bava.

Le reste du film, s'il n'est pas à la hauteur, demeure un bon Dracula, et tout ce que le spectateur attends s'y trouve. Van Helsing est remplacé par un prêtre à la fois rondouillard de la panse et carré de la pensée. Originalité feuilletonesque : c'est la sensibilité des vampires à l'eau vive qui est ici exploitée, le comte se noyant dans l'eau entourant son château.
Le film est également connu pour la performance entièrement muette de Christopher Lee. Cela créer un effet assez fascinant- et augmente encore le statisme du vampire, particulièrement hiératique cette fois.

Seul film de la série cadré en cinémascope, le format permet à Fisher quelques très belles compositions : je pense à cette scène montrant le vampire s'approcher lentement d'une de ces victimes et relever sa cape d'un bras, le noir envahissant toute la largeur de l'écran. Une image devenue archétypale du prédateur nocturne, et reprise par exemple telle quelle par Chritopher Nolan (lui aussi anglais...) lors de la première sortie du justicier de Gotham dans Batman Begins.

Film très inégal, Dracula Prince des ténèbres témoigne tout de même du talent d'un Terence Fisher encore capable de belles étincelles, et de remarquables intuitions de mise en scène.



1 commentaire:

  1. Très bel article ! Je vois que nous n'abordons pas du tout le film de la même façon, c'est assez passionnant. je n'avais jamais prêté attention à Kloves sous cet angle. Les années 65-67 constituent une période étrange pour la hammer, les films semblent toujours un peu ternes, pourtant certains sont d'une richesse particulière. Mais Dracula Prince des Ténèbre malgré une execution parfaite ne vaut pas le dernier coup d'éclat de Fisher : Frankenstein and the Monster from Hell.

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