lundi 5 décembre 2011

46- Les maîtresses de Dracula (The brides of Dracula), Terence Fisher, Grande-Bretagne, 1960



Le cinéma d'exploitation, ça exploite, donc quand on trouve un filon, on l'épuise. Orientés par le succès de leur Dracula, et celui de Frankenstein, qui confirme que la formule est la bonne, les responsables de la Hammer vont donc ni une ni deux mettre en chantier une suite à Dracula, malgré la désintégration plein cadre de ce dernier à la fin du récit, et la défection de sa star vampirique- Christopher Lee, dont le melon enfle sérieusement à l'époque, et qui pense avoir mieux à faire (et plus rentable surtout ) ailleurs. Pas de Dracula dans Les Maîtresses de Dracula, donc, mais des femmes vampires, ne chipotons pas trop. Les apparences peuvent être trompeuses : car si le film semble mis sur pieds pour profiter coûte que coûte de l'engouement pour son prédécesseur, il n'en demeure pas pour autant bâclé ou sans âme, d'autant moins si on le compare à l'épisode suivant, qui voit le retour de Lee dans le rôle.

Pas de Dracula, donc, mais un autre vampire, présenté par le narrateur comme un de« ses disciples », et qui n'apparaîtra dans le film que bien plus tard, le Baron Meinster. Dans la grande tradition du gothique classique, c'est encore une fois parmi les aristocrates de l’Europe centrale que naissent les monstres.

Les images de Fisher et Asher sont de toute beauté, tout comme les décors de Bernard Robinson. Les combinaisons de violet, de vert, d'orangés, étoilant les vitraux, les fenêtres, les colonnades, les balcons de pierre et les cheminées bordées de gargouilles, régalent l’œil en une symphonie de couleurs enivrantes. L'apparition du DVD a certainement participé de la reconnaissance des qualités plastiques des productions Hammer des années 60, enfin visibles dans des copies au format respecté et fidèles à leur chromie flamboyante. Peu de films Hammer, même à cette époque, bénéficient de décors si inspirés et d'une photo si chatoyante. On pense beaucoup aux gammes employées dans La belle au bois dormant, des studios Disney. Les décors prolongent eux aussi une sensibilité médiévale imaginaire, relevant bien plus de la rêverie que de la citation historique. Le film revisite d'ailleurs en partie les passages du roman de Stoker situés dans le château de Dracula- plusieurs statues de dragon suggèrent d'ailleurs cette filiation possible entre Meinster et le Comte. La vue depuis la fenêtre de la chambre attribuée à l'héroïne, sur celle du fils de la Châtelaine saisit par la beauté de sa construction, par l'imagination du décor, tout en lignes brisées, en murs ouverts faisant communiquer les espaces intérieurs et extérieurs. Ces espaces travaillés s'accordent parfaitement à la mise en scène de Fisher, préférant la plupart du temps un plan fixe permettant d'apprécier la composition dessinée par les lignes du décor, ou décrire les espaces par de lents panoramiques mettant à portée de regard la profusion d'accessoires ou le soin des ornements.

Cet écrin accueille un récit rocambolesque, assez baroque, et moins linéaire qu'à l’accoutumée. Les réactions des personnages, parfois illogiques, les aberrations de certaines situations (un vampire capable de se transformer en chauve souris est emprisonné par une chaîne au pied! ), la disparition inattendue de certains personnages confèrent à l'histoire un aspect onirique, prenant presque le contrepied du Dracula de 1958. Narrativement parlant, car le prolongement thématique est tout à fait cohérent.

Sous la caméra de Fisher, le vampire continue d'être cette incarnation d'une pulsion sans entraves, faisant de n'importe qui et n'importe quoi l'objet de son désir- la seule condition d'élection semblant être de se trouver à la portée du prédateur. Ainsi, le vampire, venu chercher sa promise, et ne la trouvant pas, fera tout aussi bien son affaire de sa compagne de chambrée, puis plus tard, c'est son pire ennemi, Van Helsing, qui sera l'objet d'un traitement identique à celui de victimes plus consentantes ! Hommes ou femmes, désirants ou rétifs, tous sont identiques face à l'envie de jouir animant le vampire. Cette sensualité charnelle est profondément amorale, et le Baron Meinster ira jusqu'à vampiriser sa propre mère.

Bien sûr, le professeur Van Helsing, rassurante figure paternelle au sens le plus droit, ne reculera devant rien pour réduire cette pulsion à l'impuissance. Bien sûr, la loi de Dieu, symbolisée par la croix -image du triomphe de l'âme sur le corps, et de la destruction des pulsions charnelles- aura raison du vampire. Dans un final splendide, Van Helsing fait tourner les ailes d'un moulin, dans lequel les vampires se sont réfugiés, pour qu'elles adoptent la silhouette d'un crucifix démesuré. Ce personnage de chasseur de vampire, interprété idéalement par Peter Cushing, est d'ailleurs une sorte de calme fanatique chrétien, voyant dans les objets les plus incongrus ce motif de la croix, et rendant ainsi la présence divine autour de lui dépendante d'une simple question de point de vue, et même, de perspective.

Suite parfaite du Cauchemar de Dracula, Les maîtresses de Dracula ne souffre pas de l'absence de Christopher Lee. Un acteur à l'aspect plus juvénile, donnant une beauté innocente au démon sensuel, le remplace judicieusement. Son apparition, sur un balcon, à l'arrière plan de l'image, une chaîne dorée autour de la cheville attachée à l'intérieur de la pièce, et une des images les plus fortes du film, et la relation trouble l'unissant à sa mère pourrait provenir d'un conte inconnu des frères Grimm. Parvenant à rendre justice à un scénario plein de péripéties, à l'écriture feuilletonesque, Ficher réussit aussi un film éminemment personnel, dans lequel sa vision du monde, marquée par la réprobation des plaisirs de la chair, s'épanouit paradoxalement dans un déluge vertigineux de couleurs chatoyantes, inondant des soupirantes en déshabillés translucides s'abandonnant au baiser de la mort, le sourire aux lèvres.


2 commentaires:

  1. oui, et encore, elle très contrastée par rapport au film (le matte est beaucoup moins voyant).
    Il y a quelques vues, comme je le dis, absolument saisissantes- par exemple celle que j'ai extraite- mais toute la décoration du chateau est magnifique. Je pense que tu adorerais les couleurs et la direction artistique du film.

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