vendredi 7 octobre 2011

7- Tout doit disparaitre: L'Autre, (The Other), Robert Mulligan, 1972, Etats-Unis.

 
Cinéma de genre et cinéma fantastique se confondent presque, et bien rares sont les films qu'on ne peut affilier à une série d'autres. Bien rares sont les orphelins sans descendance dans ce cinéma qui par contre, aligne des légions de bâtards !

Robert Mulligan n'est pas un cinéaste de genre, et pas un coutumier du fantastique. Si son film L'Autre est singulier, il n'est demeure pourtant pas moins, d'un certain point de vue, un pur film de genre.

Cette histoire d'un être à deux visages, celui de la pulsion d'un côté, de l'interdit de l'autre c'est un des thèmes fondamentaux du cinéma fantastique, à la base de personnages aussi archétypaux que celui de Dr Jekyll et Mr Hyde, ou du loup-garou et au fondement de la plupart des histoires de possession ou de malédiction.

Si le cinéma fantastique a longtemps, et beaucoup, été européen, des manoirs gothiques anglais aux cimetières et tombeaux transalpins, le nouveau monde a fini par lui fournir aussi ses propres décors et y construire sa propre mythologie. La petite station balnéaire, La banlieue pavillonnaire, le campus universitaire, seront les nouveaux lieux du fantastique moderne, celui de Joe Dante ou John Carpenter, ou Rod Serling.

Et avant eux, c'est la terre des pionniers, ce Far West dont l'horizon, il n'y a pas si longtemps était la frontière, et l'imaginaire celui du western. Il faudrait d'ailleurs s'interroger sur les raisons qui empêchèrent l'imaginaire de la frontière de devenir le terreau d'un cinéma fantastique majeur, qui n'advint jamais, alors que c'était certainement la sensibilité la plus à même d'exprimer l'antagonisme de territoires frontaliers et l'idée de zone intermédiaire (Twilight zone?).

C'est au cœur de cette terre, au milieu de cet Americana des zones agraires, des immense granges, des tracteurs et des grandes fermes que se joue le drame de l'Autre.

Le premier plan est d'une beauté saisissante et mérite d'être décrit.
Un panoramique énumère des feuilles, des troncs, de l'herbe, un bois traversé de rais de lumière, rendu impressionniste par le mouvement de la caméra. L'image s'arrête sur une clairière baignée de soleil, et c'est un zoom qui, brisant la grammaire en deux dimensions du début du plan, va créer une profondeur à l'image, et nous y faire découvrir un personnage. D'abord difficilement perceptible- ses couleurs se fondent avec celles du décor- l'oeil s'accomodant aux formes à la faveur du lent rapprochement permet de comprendre ce qu'on voit : un petit garçon, agenouillé. Un raccord nous colle brutalement à son visage de profil, presque en gros plan. Suit un plan, à la même échelle de ses mains, jointes comme pour une prière. Autour d'un de ses doigts, une grosse bague, qu'il contemple avec ferveur. Un bijou qui ne peut être destiné à un enfant, une chevalière.

Cette ouverture, extrêmement prenante, photographiée par Robert Surtees, définit l'esthétique de ce film à la mise en scène rigoureuse et maîtrisée, soigneusement construit et écrit.

Le garçonnet, dans une scène qui pourrait provenir de Tom Sawyer, manigance un petit larcin : le voilà bien décidé à se glisser dans la ferme de madame Rowe pour lui voler un bocal de cornichons. Le garçon ? Il semble bien qu'il ait un complice, et au détour d'un plan bref, on se demande si on a bien vu : le complice, habillé comme lui, qu'on n'avait pas remarqué- il est caché dans l'ombre, ressemble trait pour trait à Niles Perry, que l'on suit depuis le début.

La présence de ce double est vite confirmée : il s'agit du jumeau de Niles, Holland. Mais quelque chose cloche : il ne prend part à aucun des rituels de la vie familialle : il est absent du repas commun, et personne ne s'adresse à lui, sinon la grand mère russe de Niles, mais qui ne fait que l'évoquer en son absence. Cette grand mère Niles l'adore, puisque son étrange mère, confinée dans sa chambre à l'étage (est-elle malade?) ne peut pas vraiment tenir son rôle.

Faire le détail des beautés et des subtilités de L'Autre condamnerait à décrire chaque image et chaque plan du film par le détail : tout, dans cet impressionnant édifice est à sa place.

Disons simplement qu'il s'agit d'une évocation glaçante, mais profondément émouvante- sans jamais recourir à un quelconque lyrisme- de la schizophrénie d'un enfant, traitée sur un mode subjectif et fantastique.

Le jumeau de Niles, présent avec lui dans la plupart de ses scènes à l'écran, mais qui en est toujours séparé par le montage, n'existe pas.

Le véritable Holland est mort. Celui que l'on voit à l'écran est le concentré des pulsions les plus morbides de Niles, qui se révèle être le véritable assassin de son père, à qui appartenait cette bague si importante pour les jumeaux, présentée dans l'ouverture.

Tous ceux qui contredisent Holland, qui cherchent à l'élever, qui le frustrent, doivent mourir. Le film est le récit finalement très simple, de l'inachèvement d'un ego. Ego enfantin, à la fois profondément malade et complètement banal, se rêvant comme puissance sans limite, habitant la totalité du monde : Niles ne s'imagine-t-il pas, à l'invitation de sa grand-mère, capable de projeter sa conscience dans n'importe quoi, qu'il s'agisse d'un animal ou même d'un objet inerte ?
Mais ce fantasme terrible, loin de développer la capacité d'empathie de l'enfant, au contraire, fait du monde tout entier l'extension et le sujet de sa toute puissance. Sur un mode métaphorique, on est ici très proche de l'imaginaire d'un film comme La Malédiction et son enfant par sa simple volonté de leur nuire provoquent la mort de tous ceux qui le menacent.

Dans son ultime acte, le film de Mulligan plonge dans une horreur absolue, sans jamais recourir à des effets faciles, ou basculer dans une grammaire baroque et expressionniste.
Avec la même rigueur de mise en scène, la même recherche de cadrages harmonieux, la même assurance des effets plastiques (un bref plan en caméra portée suffit à signifier le basculement du monde dans le chaos ) le cinéaste va filmer un des actes les plus barbares qui se puisse imaginer (l'assassinat d'un nourisson, d'une manière horrible) et la fin du monde à l'échelle du microcosme que le récit n'a jamais quitté.

En un ultime plan glaçant de tristesse, Mulligan filme le triomphe du mal. Ce triomphe, c'est la disparition de l'Autre. Holland Perry, enfin réduit à lui-même, à jamais coupé du monde, tout entier replié sur son désir de toute puissance.

Ce triomphe, cette amérique rurale, cette folie bouleversante, Rob Zombie s'en souviendra quand il s'agira de donner une enfance à Michael Myers dans son remake bouleversant d'Halloween, auquel nous ne manqueront pas, en temps voulu, de consacrer une note.

Mais avant lui, c'est Robert Mulligan qui sut capter avec une finesse et une lucidité admirables les abîmes profonds et secrets au cœur des âmes enfantines, et l'horreur qui surgit de n'avoir pas pu les combler.


2 commentaires:

  1. Je viens de prendre le train en marche, et déjà les paysages qui défilent me plaisent beaucoup...

    RépondreSupprimer
  2. C'est un vrai plaisir de n'avoir à bord qu'une passagère, si c'est une dame dont la dimension est inversement proportionnelle à la qualité.

    Petite précision: je publie sous le titre de "chef de gare", et mon ami Matthias, célébrité angevine, rédige sous son prénom.

    RépondreSupprimer