vendredi 28 octobre 2011

31- Crépuscule des idoles: Le pacte des loups, Christophe Gans, 2001, France.


Il me paraissait impossible de cerner tous les aspects remarquables du film de Christophe Gans en un texte de la longueur habituellement requise ici. Si je me concentre aujourd'hui sur deux aspects du film- récurrence des citations et la figure de l'indien Mani- c'est en espérant y revenir plus tard pour d'autres voyages en Gévaudan...

Terence Fisher, Mario Bava, Chang Cheh, John Woo, John Mc Tiernan, Bernard Borderie, Jean Cocteau, Sergio Corbucci, Yuen Woo Ping, Steven Spielberg, Ridley Scott, Riccardo Freda ils sont tous là, dans le film réalisé par Christophe Gans en 2001. 2001, vraiment ? Le pacte des loups a bien des charmes, dont le moindre n'est pas de donner l'impression de n'appartenir à aucun temps, aucune époque, sinon celle intemporelle d'une mythologie cinématographique dont Gans semble vouloir être à la fois le thuriféraire, l'embaumeur et l'amant secret.


Un bête féroce, impossible à identifier et à tuer terrorise les habitants du Gévaudan de louis XV. Un chevalier, mandé par le roi, arrive sur place, accompagné d'un indien, que tous prennent pour son valet, mais qui est son frère d'armes. A peine arrivés, les deux hommes sont confrontés au monstre, et à bien des bêtes, portant souvent masque humain.

Le monstre, c'est aussi évidemment le film lui-même, et quand on nous dévoilera la bête elle sera exactement à son image : sa part vivante cachée sous une carapace de morceaux disparates couturés de gros fils visibles.

Ces morceaux disparates ce sont les innombrables images, plans, séquences mêmes, qui dans Le pacte des loups raniment le souvenir d'autres films, d'autres temps du cinéma, d'autres personnages que ceux que nous voyons.

L'amour que porte Gans à tous les films qui hantent le sien est évident, et ces citations ne sont jamais roublardes, ne donnent jamais le sentiment que le réalisateur prend la pose et lance des clins d’œil au spectateur, qui comprendrait la référence, et serait ravi, lui aussi « d'en être ».

Cette question de la référence- qui se pose en des termes inédits depuis l'apparition des cinéastes cinéphages et des générations dont le contact avec l'histoire du cinéma a été permis par la télévision et l'apparition de la vidéo cassette- a été abordée précédemment par mon compagnon de locomotive et il a dessiné deux rapports possibles, pour le spectateur, à la citation : la connivence d'une part qui est inclusive autant qu'exclusive, et qui ne fait pas vraiment partie de la grammaire narrative du film, et d'autre part, l’interprétation narrative, pariant sur l'intelligence du spectateur et qu'il faut saisir et interpréter pour « faire avancer » la narration du film.

Il me semble que dans Le pacte des loups, c'est à ce second régime qu'il faut associer les citations. Si le spectateur érudit accédera à une dimension du film inaccessible au profane, pour ce dernier, rien n'échappera à la compréhension, ni le sens au premier degré du film, ni les émotions qu'il véhicule.

Passée l'ouverture du film- il faudra y revenir dans une prochaine chronique, elle est assez impressionnante et contient bien des éléments qui font penser que Gans est un vrai auteur- une première scène nous introduit aux héros, et nous fait revenir, une troisième fois depuis le début, sur les terres du Gévaudan.
Au loin deux silhouettes de cavalier se détachent. A cette distance, la bête et l'homme sont indistincts, mais sur les têtes, on distingue bien des chapeaux à large bords. Il ne peut s'agir que de cow-boys. La musique va servir à préciser la référence : ce ne sont pas les cuivres altiers d'une marche qui nous accueillent, mais les accords d'une guitare solo, en une mélodie très dramatique, jouant sur les silences pour renforcer ses effets. Pas de doute, c'est d'un western italien, que viennent les deux cavaliers. Que penser du décor, alors : des pentes verdoyantes, couvertes d'herbes, rincées par une pluie diluvienne. Ces deux cow-boys solitaires ne devrait-il pas apparaître au loin d'une étendue désertique, à travers une bande de lumière rendue floue et mouvante par la chaleur ?

On peut parier que beaucoup de spectateurs, étant donné la précision des éléments mis en place, percevront la référence au western italien, même vaguement. Ces personnages, dont on n'a presque rien vu, en deux plans, avancent vers nous déjà chargés d'une histoire : ce sont sans doute des hommes violents, ils seront impliqués dans des affrontements, ce sont certainement les héros, et, d'une manière ou d'une autre, ils viennent rendre justice.
Des spectateurs plus érudits choisiront dans leur mémoire une référence plus précise, qui sans doute, correspondra avec cette image très vague. On peut penser à Django, puisque très rapidement, les inconnus vont être confrontés à une femme maltraitée par un groupe d'hommes. S'il y a dans le film des références très précises, à d'autres films, il y a aussi des références plus floues, qui, poétiquement, servent à inviter un genre et quelques uns de ces traits saillants dans un autre, celui auquel appartient fondamentalement le pacte des loups : le film d'aventures historiques. Un genre typiquement français (mais aussi européen) sur lequel Gans va procéder, outre celle du western italien à différentes greffes.
La suite de la scène va d'ailleurs opérer une nouvelle hybridation.

Une bande d'hommes, 5 ou 6, en battent un autre, qu'une femme essaye de défendre. On met un peu de temps à identifier les hommes, car ils sont déguisés en paysannes, et ont poussé le souci du détail jusqu'à se maquiller le visage, maquillage qui dégouline sous la pluie torrentielle. L'image de cette bande, confronté à deux cow-boys italiens du XVIII eme siècle est indiscutablement forte, et paradoxalement, originale.
Car, ce n'est pas la moindre réussite du film, le jeu des citations et des références finit par produire des images étranges et marquantes,  comme dans ces collages (très souvent fantastiques, d'ailleurs) qu'affectionnait Max Ernst ou Jacques Prévert.

Un des cavaliers, qui se sont arrêtés à hauteur de la bande, va descendre de cheval. Un plan rapproché filme les gouttes rebondissant au ralenti sur le sol détrempé. Les bottes du cavalier font irruption dans le cadre et s'enfonce dans la terre, les éclaboussures envahissant l'écran, la terre semblant se soulever comme si la botte d'un géant venait de provoquer une secousse tellurique. La bande son, exagère encore l'effet en surjouant le son de l'eau et de l'impact des talons.
Là encore, on peut ne voir que la reprise d'un procédé vu et revu dans les westerns italiens : le plan isolant une partie d'un des combattant, avant un duel : les bottes à travers lesquelles ont voit la silhouette de l'adversaire, la main ouverte au dessus du pistolet etc...
Si on suit cette piste, on se réjouit de ce qu'on va voir : on sait que dans ce genre d'histoire, une scène comme celle-là, au début du film, va nous montrer un affrontement illustrant la rapidité et la virtuosité presque surnaturelle du héros comparé à ses adversaires. Et c'est exactement ce qui se passe.

Mais si on veut lire cette image d'une manière plus littérale, on peut y percevoir une des clefs que Gans nous donne pour comprendre ce que représente Mani pour lui. Que voit-on, si on se dépouille du poids référentiel de l'image ? La terre, presque de la glaise molle tant elle est pénétrée de pluie. Des pieds qui y atterissent, et s'y enfoncent profondément, presque comme s'ils allaient y prendre racine. On ne s'y prendrait pas autrement pour figurer la descente sur terre d'un ange, ou d'un dieu, venu du ciel. Bien des images vont par la suite confirmer cette idée, à commencer par l'affrontement que l'inconnu déclenche, et durant lequel il va s'affranchir à volonté semble-t-il des lois de la gravité qui clouent désespérément au sol ses adversaires. Mais qui est donc cet ange vengeur ?
C'est Mani, l'indien qui accompagne le français Fronsac dans toutes ses aventures, depuis qu'ils sont revenus des amériques. Manie est invincible comme Achille: il terrasse ses adversaires suspendu dans les airs (au bout de son bâton), ou s'envole avec eux pour mieux les envoyer au sol (pendant la bagarre organisée au camp de chasse, quand il affronte deux hommes à la fois ). Lorsque le film redémarre, au bout d'1H10, avec le retour en Gévaudan des deux hommes, Gans rejoue l'atterissage de Mani, qui est cette fois à bord d'un bateau. Le marquis d'Apché, leur ami venu leur demander de revenir chasser la bête, ne le voyant pas, demande à Fronsac où est Mani. Fronsac, du doigt, désigne le ciel. Image littérale (et prémonitoire), encore une fois. Le plan suivant illustre le regard du marquis : nous trouvons Mani assis sur un mat du voilier. La caméra suit son trajet, glissant le long d'une corde, jusqu'à terre. Pour la seconde fois, Mani quitte le ciel pour venir marcher parmi les hommes.
Mani, s'il est symboliquement un corps étranger, divin- une idole vivante, en fait- est aussi un étranger dans le récit : tous les personnages le rencontrant ne manqueront pas de le souligner. C'est par lui que Gans entend faire accepter au spectateur la seconde hybridation majeure du film, celle du film de chevalerie et d'arts martiaux chinois avec le film de cape et d'épée.

Si c'est par Mani que le kung-fu s'invite, nous verrons par la suite de nombreux personnages pratiquer une forme de combat similaire, même si le spectateur un peu renseigné verra qu'il ne s'agit pas à proprement parler de a boxe chinoise chère à Jackie Chan ou aux films de Liu Chia Lang. Mais à cet art virevoltant, l'indien surpasse tout le monde, et il faudra une arme à feu pour avoir raison de lui. Le western abat le Wu Xia Pian ? Le cinéma "pur"des années 60 tué par le cinéma "postmoderne" qui lui succède ?  Dans une scène précédant sa mort, il a confié sa méfiance vis à vis des pistolets : « trop bruyants, mauvaise odeur »- trop concret, trop terrestre, trop artificiel pour qui a le souvenir du ciel ? C'est la part humaine de Mani, d'ailleurs, qui va causer sa perte. Affrontant seul un grand groupe d'hommes (scène typique du cinéma kung-fu ), il se retourne instinctivement pour frapper un adversaire s'apprêtant à le poignarder dans le dos. Mais c'est la femme qu'il a croisée au début du film et avec qui il a eu dans plusieurs séquences d'intenses échanges de regards. Il hésite donc à la tuer, et hors champ, un tireur en profite pour l'abattre. Qu'un personnage féminin intervienne à ce moment là pour provoquer la mort du héros, en jouant du désir qu'il a perçu chez lui nous renseigne aussi sur la nature des sentiments qui unissent Mani et Fronsac, et qui s'avèreront encore un peu plus explicite ensuite.

Porté les bras en croix, Mani est jeté par ses assassins du haut d'une pente. Le montage s'attarde, en plusieurs plans, sur ce corps roulant parmi les feuilles jusqu'en bas. C'est, non plus la descente, mais la chute de l'ange, définitive.

Ayant retrouvé Mani, Grégoire de Fronsac va assurer la toilette mortuaire de son ami, son frère comme il tient à la nommer. Cette fois, même si la mise en scène est aussi baroque que dans le reste du film, enchainant les fondus, les contre-plongées très marquées, nous ne sommes pas invités à investir la scène par l'interprétation d'une référence. Le corps de l'indien envahit presque tout l'écran, comme pour signifier qu'il n'y a rien à voir d'autre que ce que nous voyons : un cadavre- et nous sommes presque étonnés de voir Mani aussi soudainement rendu à la gravité, coulé à la table sur laquelle Fronsac opère. 
Il nettoie avec une éponge, lentement, douloureusement, le corps. L'érotisme de la séquence est évident, et Gans semble trouver bien plus aisément comment filmer cette étreinte- étrange- entre ces deux hommes, que les coïts maladroits et convenus (et habillés- le chevalier fait l'amour en caleçon !) de Sylvia et Fronsac, au bordel.
Quelques plans sur le visage de Fronsac décrivant sa souffrance et sa profonde tristesse, nous dévoilent le plafond peint au dessus de lui. Ce sont bien sûr des fresques du paradis. Le chevalier ainsi placé entre l'indien et le ciel est le passeur, pour son dernier voyage, de l'âme de Mani qui doit retourner d’où il est venu.
Après la mort de son frère d'armes, Grégoire de Fronsac va accomplir une transformation inattendue, et, peint à la façon de l'indien, avec des armes semblables aux siennes, va massacrer tous ceux qui sont complices, de près ou de loin, de ses meurtriers.
C'est Samuel Le Bihan qui devient ce combattant, et va adopter le style de combat de Mani. Mais l'acteur français n'a rien de la grâce de Marc Dascascos. La légereté du cinéma chinois a abandonné le film- elle a quitté ce pays mythique du cinéma dont Christophe Gans connait le chemin, remplacée par ses avatars américains- et il ne nous reste que les corps lourdaux de ses imitateurs. La magie, elle, a été perdue.

La magie, ou le fantastique ?

Car il est remarquable que tout ce qui dans Le pacte des loups relève du fantastique soit lié directement à Mani. La bête, on le découvre finalement, est un fauve d'Afrique, dressé pour tuer, pas un animal fabuleux, pas un « dragon », comme le redoute un des personnages.

Par contre, le lien de Mani avec les loups qui le mettront sur la piste de la bête, sa capacité a arracher les mourants frappés par la bête à leur trépas, la prégnance de son âme, avec laquelle Fronsac communique lorsqu'il revit le calvaire de son frère sur ses lieux mêmes, sont les manifestations du fantastiques dans le récit.

Voilà le mystérieux, l'inexplicable, le merveilleux : le cinéma lui-même, incarné par un comédien qui perd tout pouvoir de fascination hors du regard de Christophe Gans.

Ce cinéma qu'on a tant aimé, et à la beauté duquel la maladresse des imitations, des hommages ou des descendants ne rendra jamais justice.

5 commentaires:

  1. Donc tu dis que la magie s'envole à partir du moment où le film fait référence à "rambo 2" ?

    J'ai un rapport curieux à ce film. Je ne penserai jamais à le classer dans mes films favoris. Mais si on m'en parle, je crierai : "oui !", un oui entre le premier et le second degré. Et c'est un film que j'aime revoir.

    Dacascos est sublimé dans ce film. On ne voit que lui. Et effectivement, pris dans le moment, on se dit d'où sort-il ?, pourquoi n'est-il pas ultra-connu ? Eh bien, il n'y a que dans "Crying freeman" où cela se passe aussi. Dommage que Gans n'ait pas continué avec son alter-ego, mais où aurait-il eu se place dans un "Silent Hill" ?

    Le problème de "Le pacte des loups", c'est quand même le jeu des comédiens qui est... humm... C'est aussi ce qui aide à décrocher quand Dacascos sort physiquement du film et fait corps avec Le Bihan...

    En lisant ce papier, je m'interroge fortement sur l'identité de son auteur, je me souviens avoir eu des discussions analogues avec quelqu'un.

    RépondreSupprimer
  2. Mais mystérieux Lemmy, mon identité à moi ne fais guère mystère, si ?
    Je ne dis pas que le pacte des loups est est chef d'oeuvre absolu de l'histoire du cinéma ! Mon rapport à ce film est impossible à objectiver, et comme presque tous les films de Gans, je l'ai d'abord presque détesté- mais dieu cest si dans le contexte de sa sortie, ce film a été attendu et espéré.

    Je crois que le film se transforme plutôt en film de John Mc Tiernan, qu'en Rambo 2, entre le treizième guerrier et Predator- le rapport au décor, notamment, me fais dire ça.

    POur le reste, je manque de temps pour te répondre, mais je le ferai !

    RépondreSupprimer
  3. J'y reviens: je crois que tu généralises trop, mon cher Lemmy. D'abord "tous les films de genre français" depuis 10 ans ne sont pas des immmondices pélliculées à jeter au orties (voire pire) il y a beaucoup de films inégaux, quelques ratages incroyables, mais ces 10 années mériteraient une synthèse un peu appronfondie, peut-être que si Matthias survit à ce mois d'octobre, ce sera notre prochain chantier.

    Je ne suis pas sûr qu'il faille pointer du doigts des "geeks" qui prendraient un malin plaisir à décevoir les amoureux du fantastiques.
    Les geeks sont d'abord une catégorie commerciale fourre tout qui existe surtout sur les mémos des exécutives californiens. Si tu veux mon avis, entre le public de Thor et celui de Amer, il n'y a pas grand chose de commun, et si une chose manque au cinéma de genre français en général, c'est surement la prétention.

    Marc Dacascos n'est pas ultra connu parce qu'il a décidé de vivre de son fond de commerce d'athlètes de films de bagarre, et dans le genre il n'est pas moins ultra connu qu'un autre. Je pense qu'il préfère faire du surf que du cinéma, et grand bien lui en fasse.

    J'aime beaucoup Silent Hill, j'espère y revenir ici bientôt.

    La bise, gars.

    RépondreSupprimer
  4. J'ai des excuses quant au film de genre français : j'ai vu "Djinns" au ciné, ainsi que "Humains"...

    RépondreSupprimer
  5. Je crois qu'l va falloir que je prenne mon courage à deux mains (et êuit-être que j'embarque Matthias là-dedans ) et que je me farcisse l'intégralité du "cinéma de genre fantastique français" produit depuis le pacte des loups. un projet masochiste pour l'été, peut-être....

    RépondreSupprimer