samedi 6 septembre 2014



2/10: 300: naissance d'un empire (300: Rise of an Empire), Noam Murro, U.S.A, sorti le 5 mars 2014.





Il serait confortable de voir en Zack Snyder le cinéaste repoussoir de l'ère numérique, en pointant du doigt ses sujets et sa manière, faits les uns et l'autre d'éléments disqualifiants pour le cinéphile de bon goût: exaltation de la violence, personnages caricaturaux, ralentis baveux, et imagerie mi-sulpicienne mi-pornographique. Mais qu'on regarde vraiment les films et ce jugement à l'emporte pièce ne tient pas.


D'abord parce que pour un cinéaste dont l'art est souvent réduit à des effets de style comme ses ralentis/accélérés au sein du même plan, Snyder est en fait très versatile, et déteste se répéter. A l'instar d'un Ridley Scott, dont il est très proche, tant par la culture plastique que par la place que lui assigne la critique installée, Snyder aborde chaque film avec un mélange d'assurance arrogante et de volonté de renouvellement, aussi bien de sa propre mise en scène que du genre dont relève le projet.
Scott, du temps de Gladiator renouvela, pour le meilleur et pour le pire, le Peplum alors disparu des écrans, et ouvrit la voie à 10 ans de cinéma "épique" forcément illustré d'une bande originale remplie de voix de pleureuses.
C'est sur ce même terrain du péplum que Snyder va laisser son empreinte en 2006 avec 300, phénoménal succès inattendu qui fige des codes narratifs et visuels repris depuis ad nauseam, jusqu'à la télévision.  Préférant saisir les projets plus ambitieux (comprendre avec une enveloppe budgétaire plus grosse), Snyder tarde à se mettre à l'oeuvre pour l'inévitable suite.
Surprise, ce n'est finalement pas lui qui la signe. Non sans humour, conscient que la grammaire radicale et caricaturale inaugurée par le premier film lui était tellement associée, il confie la tâche à un homme de paille et se contente de produire, façon de démontrer avec une ironie mordante, et un vrai cynisme- bref, une ambigüité dans laquelle on le reconnait bien- que oui, ceux qui pensent que l'identité de 300 tient à ses arrières-plans numérique, sa violence stylisée, ses icônes aux rictus rageurs et aux corps bodybuildés et ses longues séquences d'affrontement au ralenti ont raison !
Réalisateur d'un seul film en 2008 (une comédie avec Dennis Quaid et Ellen Page !) Noam Murro est chargé de recopier scrupuleusement le story-board. Ce qu'il fait avec un professionnalisme sans faille. En ressort un film jumeau de son prédécesseur, dont l'auteur demeure sans discussion Snyder.
Surpassant en tous points le film initial, La naissance d'un empire  est un monument de mauvais goût cinématographique,  un délire gore quasiment ininterrompu qui défie le jugement.
Quel bonheur que cet enchaînement de tableaux stupéfiants, zébrés de pluie, d'éclairs, d'écume et surtout de sang, cette fois modélisé en relief, et qui jaillit en giclées traversant tout le champ jusqu'à nous, pour peu qu'on ait la chance de bénéficier d'une projection en relief.


 

La bataille de Marathon: dès l'ouverture, sommet stylistique du film, ballet insensé de corps, de sang, d'éclats de bois, de boue et de pluie, comme des peintures de Gérôme prenant vie. Il faut reconnaître à Snyder un sens du mouvement, une adresse chorégraphique,et un instinct rythmique sans faille.
Le régime des effets de la série est d'ailleurs intéressant: dans les 300 seul les corps des acteurs sont enregistrés par la caméra, tout le reste créé ensuite. On n'est pas très loin, on le voit bien, de la bande de petits garçons jouant aux chevaliers dans le jardin et s'imaginant bondissant dans les airs on renversant des montagnes, quand il saute par dessus des flaques et culbutent des mottes de taupes. Des petits garçons et une petite fille, Eva Green, de tous les coups tordus en ce moment, qui dans le registre "si mauvais que c'est bon" place la barre assez haut.
Pour ma part, j'ai un plaisir fou à regarder ce film, pensé comme un ballet d'héroïc-Fantasy maniérée, à la fois illustratif et viscéral. Il y a là quelque chose de poétique- y compris, oui, dans les monologues illuminés de la Reine Gorgo, qui est la narratrice du film. Un cinéaste capable de dépenser un demi-million de dollars pour placer un éclair dans l'oeil d'un cheval qui se cabre ne peut pas être vraiment mauvais.

 
Jean-Léon Gérôme pour lequel le goût de Snyder ou Scott est connu.
Si l'on pouvait émettre des réserves sur la musique du premier film, bouille éléctro-symphonique ne choisissant jamais son cas, cette fois la bande-sonore est enfin à l'image du film, et semble avoir été composé dans les forges de Vulcain pour être jouée sur des enclumes.

300, Naissance d'un Empire, c'est l'exact équivalent cinématographique des peintures de Frazetta, dont Snyder est, comme beaucoup d'autre grand fan. Père fondateur pour la plupart des illustrateurs du genre,sans interêt pour l'histoire de l'art contemporain, l'illustrateur des couvertures les plus célèbres de Conan à une valeur estéhtique identique à celle attribuée au cinéma de Snyder.


Illustration de Frank Frazetta, influence majeure de l'esthétique de 300.


Frazetta verra d'ailleurs son univers plastique adapté de façon très intéressante, à l'aide d'un technique équivalente, à l'époque, à celle employée sur 300: pour le dessin-animé Tygra, des acteurs ont été rotoscopé (filmé, puis redessinés d'après le film) avant d'être placé devant des décors peints- on y reviendra.


Images de tournage de 300: naissance d'un empire...


... images rarissimes: le tournage de Tygra- Fire an Ice: Influence artistique de Frazetta, acteurs rotoscopés, ralentis extrème: un précurseur du cinéma de Snyder en général et de 300 en particulier.



Il n'est pourtant pas difficile, de reconnaître les qualités évidentes du cinéma de Snyder et des illustrations de Frazetta: un sens du trait et de la composition saisissant, le prolongement d'une esthétique académique du XIXéme siècle à travers au service de l'imagerie requise par les cultures littéraires fantastiques naissantes. Et de les laisser à leur place: celle d'illustrateurs de rêveries violentes et exaltées, saisissant les garçons à l'orée de l'adolescence, leur donnant le goût de récits d'évasions épiques.
Que certains ne perdront jamais.






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