mercredi 16 janvier 2013

66- La maison des ombres- The Awakening- Nick Murphy- 2011- Grande Bretagne



Nick Murphy est un croyant, il croit aux histoires, aux personnages, au cinéma et des nombreuses traditions auxquelles appartient La maison des ombres, la moins noble n'est sûrement pas celle des cinéastes conteurs. 




Comment, tout en s'exprimant dans le cinéma de genre, survivre au cinéma post-moderne ? Ou, pour paraphraser Pascal Laugier1 : « Est-ce que le visage d'une actrice peut encore tenir une salle ? » Comment faire pour refaire comme si il n'avait pas été déjà fait ? est la question qui sous-tend aujourd'hui la dynamique plastique des films de genre les plus interessants.

Le fétichisme qui dicte les choix de bien des jeunes cinéastes est de la même nature que le geste parodique, à la seule-et mince- différence qu'il s'agit, non pas de moquer, mais de révérer. Si le recours aux remakes est devenu depuis quelques années si fréquent, c'est sans doute aussi parce qu'il permet de résoudre cette contradiction : proposer quelque chose déjà vu (qui sera reconnu, et partant, attendu, à tous les sens du terme.) mais en faisant comme si ce n'était pas le cas (ce qui oblige le spectateur à se mettre en position de virginité vis à vis du nouveau film ).

Que reste-t-il aux cinéastes qui ne s'adonnent ni au fétichisme ni à la copie ? Oser se reposer, simplement, sur leur désir de raconter une histoire, redevenir des conteurs habités par leurs personnages. Nick Murphy est de cette famille là de cinéastes, les « auteurs », qui très souvent écrivent leur scénarios et qui font de ce moment de la fabrication du film le fondement de tout le projet. Pour eux, on ne fera image que de ce qui donne corps au récit. Dans cette conception, peu de place pour la divagation (mais elle d'autant mieux mise ne valeur, et émeut d'autant plus), et une idée, au fond, presque anti-cinégénique du film, le formalisme de la mise-en-scène pour elle même représentant le spectre de l'image « gratuite » (offerte?) qui menacerait de dissoudre le lieu tressé par le récit entre les spectateurs et le film.


Inspiration idéale pour ces cinéastes, le scénario à mystère, dont la promesse d'éclaircissement va nous fa ire traverser tout le film. Parmi ces scénarios, l'histoire à retournement (éventuellement multiples ) trône en majesté, puisqu'il s'agit, dans ce genre de film, d'être attentif au moindre détail avec la récompense de pouvoir, à la fin de l'histoire, donner un sens à tout ce qu'on vu précédemment.

Malgré ce que j'écrivais plus haut, il me semble qu'il y a là un idéal de cinéma, en tout cas une façon de concevoir le récit cinématographique particulièrement émouvante. Le cinéaste s'y met à nu. S'il ne fait pas corps avec son récit, il se retrouvera dans le camp de ceux qui font pratique l'exercice de style ou la copie amoureuse ou fielleuse des toiles des autres. Brian De Palma a souvent, et passionnément marché sur la crête séparant les deux approches, avec des films objectivement indécidables. Obsession est-il bouleversant ou ridicule ? De Palma embrasse-t-il les névroses de ses personnages, ou leur est-il indifférent ?

Pour que les cinéastes conteurs fassent corps avec leur récit, ils ont souvent besoin de celui des acteurs, plus pour leur valeur d'incarnation que pour leur valeur dynamique. Lorsque Laugier parle du visage de l'actrice, ce n'est pas un hasard, car c'est le lieu de la manifestation de l'émotion, pour le spectateur, mais aussi le siège de la parole, qui dans ce cinéma, est souvent essentiel au déploiement du récit. Enfin, et peut-être surtout, c'est le lieu du regard, qui est renvoyé au spectateur, et incarne un point de vue, souvent une invitation à l'empathie, et parfois l'expression désarmante d'une injonction à « y croire », lorsqu'il est adressé au spectateur, l'acteur fixant la caméra.

C'est justement par un gros plan d'oeil que commence La maison des ombres. Il sera ensuite beaucoup question de point de vue et de changements de regard.
La question de la foi en son propre récit, le cinéaste l'incarne dans le film dès cette ouverture. Le personnage de Rebecca Hall (Florence) est un spectateur moderne. Elle se rend à une séance de spiritisme, nous sommes en 1921, et c'est donc à une séance de cinéma d'horreur de l'époque à laquelle elle va assister. Florence, comme nous, connait tous les trucs, on ne la lui fait pas, et elle a tôt fait de démasquer les charlatans et de révéler leurs trucs.



A la sortie de la séance, une des victimes des spirites invective Florence, lui reprochant de l'avoir privée de l'illusion qu'elle voulait entretenir, celle d'imaginer sa fille en vie. Autrement dit : ce n'est pas parce qu'on sait que c'est faux qu'on ne peut pas se laisser entraîner à y croire. C'est bien le programme qui nous attend, aux côtés de Florence : passer d'un scepticisme rageur et (constater l’inanité des formes du film d'horreur gothique classique, et leur incapacité à faire peur) à une acceptation libératrice de l'existence d'une réalité dépassant sa dimension matérielle (autrement dit, réinvestir le cinéma gothique classique et se laisser effrayer et émouvoir). Si le projet formel est tenu de bout en bout, ce n'est jamais en prenant une pose théorique, au contraire, le film- et c'est rare dans ce genre de cinéma fantastique- s'émeut du corps de ses acteurs, de plus en plus souvent et de plus en plus intensément, jusqu'à une étreinte redoublant la traditionnelle explication dialoguée du mystère par une des personnages.

Le film est un film à twist, et si le retournement est bien dans la tradition du genre (on songe évidemment aux classiques que sont devenus L'orphelinat, L'échine du diable et Les autres ), ce n'est pas une pirouette à la seule destination du spectateur mais aussi le pivot des repères de Florence, qui, retournée littéralement (par le récit, et dans le regard du spectateur) va pouvoir être rendue à elle-même et à ses souvenirs.

Un des aspects les plus intéressants du film (et des plus émouvants) c'est le regard porté par Murphy sur les personnages masculins. Si la présence d'une héroïne féminine explorant sa propre psyché, mise au centre du récit est vraiment devenu un cliché du film fantastique gothique des 10 dernières années, ( Rebecca Hall l'incarne admirablement, en apportant beaucoup de nuances ironiques au personnage ), l'exploration de masculinités névrosées l'est beaucoup moins.

L'action est rapidement située dans un orphelinat de jeunes garçons dont les pères sont morts à la guerre. Là, du professeur rigide à la brutalité inflexible au concierge réprimé et méprisé pour sa lâcheté face au conflit, Murphy déploie, à travers ses second rôles parfaitement tenus un kaleidoscope d'un monde masculin la plupart du temps réduit à une impuissance plus ou moins volontaire. Parmi ces personnages, c'est celui, très beau, de Dominic West qui bénéficie du portrait le plus nuancé.

(à suivre...)


1In « In the Shadow of the tall man » documentaire sur le tournage du film, de Louis Thevenon.

2 commentaires:

  1. Encore une excellente chro du Chef de gare qui me donne envie de découvrir un nouveau film !

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  2. Merci Ma Dame...
    Tu m'as toi réveillé quelques envies inassouvies (Ah ! Topor !)
    Cette maison des ombres, je suis presque sûr qu'elle te plaira beaucoup.
    A bientôt !

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