mercredi 30 janvier 2013

68- Terracotta Warrior- Ching Siu Tung- Honk Kong- 1989


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Passer par la Chine avant de revenir à l'Angleterre comme promis ne semble pas complètement illogique et flattera sans aucun doute nos amis de la perfide Albion, puisque à une époque pas si lointaine, l'Empire englobait l'enclave de Hong-Kong, où l'on fit, il y a 25 ans, le plus beau cinéma du monde.





Un détour d'autant plus justifié que le cœur de Terracotta warrior est animé d'une imagerie médiévale et d'un rapport au légendaire moyen-âgeux qui résonne avec les préoccupations des dernières semaines, pour peu qu'on accepte de considérer comme équivalent dans les imaginaires locaux le chevalier fendant le champ de joute sur son destrier de la tradition européenne et celui, fendant les airs sur la semelle de ses bottes de la tradition chinoise.



A l'origine du film de Ching Siu Tung, on ne sera pas surpris de retrouver l'ombre de l'omniprésent Tsui Hark, ici crédité comme directeur des effets spéciaux (Ah ! Ah! Ah!) mais dont la participation au film est beaucoup moins anecdotique. C'est lui qui veut donner un écrin filmique et romanesque à un des joyaux les plus tardifs de la culture chinoise : l'armée de soldats de terre cuite excavée en 1974. Comme son titre l'annonce, le film va s'attacher au destin de l'un de ces soldats. Comme on peut s' attendre,ce n'est pas vraiment la reconstitution historique qui préoccupe Hark et Chin Siu Tung, mais bien leur mythologie qu'il veulent interroger. Figure centrale du récit, Mong Tienfong, est le responsable du chantier du mausolée de l'Empereur, mais surtout, il est un de ses chevaliers. Figure dont l'existence cinématographique transcende les frontières et les cultures. La preuve : Les Visiteurs, de Jean Marie Poiré, est une copie opportuniste et sans grâce du film de Ching Siu Tung.





Bien sûr, le chevalier est un archétype très présent dans la culture populaire chinoise, et est même le moteur principal d'un genre entier, le Wu Xia Pian, le film de chevalerie. C'est justement tout le genre qui, dans Terracotta Warrior, est regardé de l'extérieur. Ching Siu-Tung est presque un cinéaste post-moderne, presque un déconstructeur de formes, et un cinéaste passionné par les mises en abîme et les dispositifs formels ouverts, commentant le film au fur et à mesure qu'il se déroule. C'est aussi un cinéaste cinéphile, curieux des cinématographies étrangères à l'instar d'un Ronny Wu, plusieurs scènes de Terracotta Warrior renvoient aux Aventuriers de l'arche perdue, et on se souviendra que la version longue de son Dr Wai reprenait la structure liant fiction et réalité du Magnifique de Philippe de Broca. Et qu'Histoires de fantômes chinois III était un remake du premier film observant consciemment celui-ci.



Un dispositif similaire est à l'oeuvre ici, à travers le principe de réincarnation, qui permet d'étaler « horizontalement » des personnages situés « verticalement » dans la généalogie du récit, mais aussi par l'adjonction au récit de celui d'un tournage de film, non pas de chevalerie, mais plutôt un mélodrame chinois dont on ne saura pas grand-chose. Plus que la valeur dynamisante pour son histoire, c'est la validité des valeurs incarnées par le chevalier que Siu Tung s'amuse à mettre en scène, démarche relativement marginale, et assez personnelle. Le jeu du décalage temporel a bien sûr été utilisé comme ressort comique ailleurs (voir, la même année, Time Warriors -The Iceman Cometh- dont certains gags se retrouvent tels quels dans... Les visiteurs!) et Siu Tung ne se prive pas de jouer plutôt habilement et plus légèrement que ses compatriotes de cet humour.





Mais plus singulièrement, au delà de l'inadaptation, c'est aussi par le prisme de sa relation aux personnages féminins que la figure du Chevalier est regardé. Bien entendu, Mong Tienfong a un antagoniste masculin, un rival moderne, qui, comme on s'y attend est à la fois un adversaire digne de ce nom (c'est un combattant) en même temps qu'un être moralement inférieur aux héros, et opposé aux valeurs incarnées par le chevalier. Mais pour mettre en scène cette opposition, le cinéaste n'a pas besoin du recours à la confrontation des époques. Par contre, elle permet de dessiner des portraits très différents de l'amante de Mong Tienfong. Toute la première partie du film, située il y a 3000 ans, joue en accéléré l'histoire bien connue des amants maudits, préférant la mort à la séparation. Constamment à la lisière de la parodie, Ching Siu Tung parvient tout de même à servir quelques scènes plastiquement superbes- jeux de voiles, contre-jour gracieux, sous entendus érotiques, quelques beaux moment portant la patte du réalisateur d'histoire de fantômes chinois sont bien au-dessus du tout venant de la production à l'époque. Puis, après le réveil de Mong Tienfong à dans les années 30, réapparait sa belle- ou plutôt sa réincarnation- mais ce n'est plus tout à fait la même. Là, c'est le stéréotype de l'emmerdeuse typique du cinéma hong-kongais auquel recours Siu Tung, là encore avec suffisament de nuances pour rendre le personnage plus interessant. Lili Chu, courtisane sous les Quin devient ici une actrice de second rôle prête à presque tout pour décrocher le second. De quoi déstabiliser le pauvre Tienfong, lorsque sa belle pardonne à méchant (qui est aussi le premier rôle du film dans lequel elle figure) d'avoir essayé de la tuer 10 minutes auparavant parce qu'elle lui offre un premier rôle avec lui ! 

 



Défait, par ailleurs de son lien de vassalité lorsqu'il découvre qu'il est le seul survivant des soldats de terre cuite, Tienfong fait l'expérience de son inutilité. Le chevalier mis à nu par son réalisateur même : privé de seigneur et d'objet à son amour courtois, Mong Tienfong passe de la figure tragique classique (il ne peut échapper à son destin, aimer Lili Chu, ce qui le mènera inévitablement à la mort, il est un être démesuré : c'est lui seul qui pourra bénéficier du charme rendant immortel et deviendra l'égal des dieux, enfin il est aveuglé par ces même dieux : il ne sait pas qu'il va devenir immortel et traverser le temps et pense au contraire périr au côté de Lili ) à une figure tragique moderne : c'est la scène superbe, où Tienfong, sur la muraille de chine, s'écrie : le passé n'existe plus, je ne sers plus à rien.



Inutile de dire que toute la grâce du film est de construire ce dialogue formel sans jamais verser dans la théorie, et sans jamais se départir d'une imagination et d'un sens de l'espace étourdissants, typique du cinéma Honk-Kongais des années 80 et dont Chin Siu Tung- on a mis un peu de temps à le réaliser, fut un des plus singuliers vecteurs. Voir son obsession ici, comme dans Dr Wai, à filmer des scènes d'actions avec des avions... sous terre !



On n'oubliera pas, enfin, que Siu Tung trouve auprès de ses acteurs un écho extraordinaire à ses ambitions. Zhang Yimou comme Gong Li, couple mythique du cinéma de l'ex-colonie, illumine l'écran, le chevalier de Yimou, en particulier, a quelque chose de lunaire et d'enfantin qui rend le personnage plus touchant que risible, et Gong Li, si elle brille sans surprise dans le rôle de la vierge tragique est tout aussi parfaite dans celui de la bêcheuse qui ne s'en laisse pas compter.



La dernière séquence du film nous montre Tienfong devenu employé du musée des soldats de terre-cuite, en 1974, occupé à nettoyer la statue représentant un de ses anciens frères d'armes. S'il guette toujours la prochaine apparition d'une nouvelle incarnation de Lili, qui ne tarde pas à passer en lui souriant, mais sans s'arrêter, il a accepter de quitter son armure et se consacre à la conservation de ce passé qui ne vit plus, et dont il a éprouvé toute l'inanité. Cette dernière image extrêmement mélancolique est bien à l'image d'un film bien plus singulier qu'il n'y paraît. Au bout du compte, Tienfong est un chevalier dans un monde ou la chevalerie n'a plus sa place. Qu'il y soit vivant, n'y change rien : aux côtés de la statue de terre-cuite, il est, au fond, exactement comme elle.

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