mercredi 12 décembre 2012

61- Troll Hunter (Trolljegeren)- André Øvredal- 2010- Norvège




Le cinéma de genre a cela de paradoxal que son existence dépend du maintien d'un certain niveau quantitatif de production, qui, s'il est trop haut provoque une lassitude du spectateur et aboutit à un résultat parfaitement contre-productif.

Si le plaisir de l'amateur provient de la permanence de codes établis par des œuvres fondatrices, son renouvellement n'est possible que par la subversion de ces codes, qu'elle soit respectueuse ou profanatrice.








La commercialisation de caméras de moins en moins chères, de plus en plus petites, et de plus en plus sensibles à la lumière ont permis l'émergence d'un sous-genre particulièrement exploité ces dernières années : le found-footage, la bobine retrouvée. Comme souvent, l'invention plastique précède de quelques années l'invention technique. Si pour le grand public l'acte fondateur de ce cinéma faussement documentaire est Le projet blair witch, nous n'oublierons pas qu'avant les malins Sànchez et Myrick, Deodato faisait déjà très bien la grimace, inspiré par le fameux Mondo Cane de 1962.

Les auteurs de Blair Witch eux-même ont sans doute le sentiment de venir clore un cycle plutôt que de poser les bases d'une esthétique renouvelée. La suite de leur film, bénéficiant des largesses budgétaires permises par leur premier succès délirant est d'ailleurs tourné dans un style plus conventionnel. Mais la mèche est allumée, dans l'esprit des producteurs (rentabilité maximale!) comme des cinéastes excités par la possibilité de revisiter des genres à la lumière d'une nouvelle esthétique. Et les réussites ne manquent pas. Rec (2007), Cloverfield (2008), Le dernier Exorcisme (2010), chacun dans un sous-genre différent démontre que le respect des codes du film de zombie, de monstre géant ou de possession n'aboutit pas inévitablement à un académisme stérile.

Le déluge, depuis 5 ans, de found-footages a bien entendu quelque chose de lassant, mais cela ne doit pas empêcher de goûter aux réussites encore régulières comme ce Troll Hunter venu de Norvège.

Le principe du found-footage a quelque chose de fondamentalement excitant, plastiquement : il offre au cinéaste la possibilité d'accroître la vraissemblance de ce qu'il nous montre (l'image est censée être produite par un des acteurs du film, et nous devons donc la considérer comme un document et non pas une fiction) tout en rejetant hors champ ce qui, pourtant, provoque l'émotion, d'habitude, dans le cinéma de genre : la vision du monstre (les victimes filmant, nous attendons d'elles qu'elles détournent le regard à la vision du bourreau). Pour que l'effet soit opérant, il doit reposer sur une grammaire excluant le monteur. Les found-footages redoublent donc d'efforts pour nous convaincre que ce que nous voyions sont des rushes dont on n'aurait exclu que les passages les plus ennuyeux, sans opérer aucune des manipulations du cinéma classique. Les filmeurs des found-footages sont d'ailleurs souvent des amateurs, et lorsqu'il s'agit de caméramen professionnels (comme dans Rec ou Cannibal Holocaust), les producteurs insistent bien, par des cartons, sur la volonté de nous montrer l'intégralité des bobines impressionnées. Autrement dit, tout est vrai, car tout est visible en continu.




Logiquement, le plan séquence est la figure idéale du found-footage, et ce n'est donc plus sur le montage que va être construit le hors-champ, mais sur les décadrages de la caméra, qui épousant non pas les mouvements, mais en fait les émotions des protagonistes, devient plus tremblante à mesure que la terreur gagne, jusqu'à parfois, ultime figure héritée du dernier plan saisissant (des bobines retrouvées) de Cannibal Holocaust, chuter au sol pour signifier, en général, la mort de l'opérateur.

Bien entendu, cette esthétique du found-footage est également profondément influencée par celle de l'émission télévisée. Les filmeurs sont parfois des animateurs (comme dans Rec ou Le dernier Exorcisme) ou se comportent comme tels (dans Blair Witch ou Troll Hunter) ? Au contraire du cinéma traditionnel, adresse directe au spectateur ou regards caméra sont donc permis, et font même partie des passages obligés. Les innombrables scènes de confession ou d'adieu de personnages persuadés de vivre leur derniers instants et de livrer leurs ultimes témoignages relèvent d'ailleurs de la même logique que ces émissions de télé-réalité conçues pour recueillir et exposer, au bout du compte, une confession authentiquement intime d'un être humain dans l'affect serait mis à nu, directement exposé dans toute sa fascinante « vérité » La caméra tourne, on ne triche plus.

Les auteurs de Troll Hunter ont bien compris la bonne blague, et leur film est traversé par un humour réjouissant. Le petit tour de force de la chose étant que cet humour n'empêche pas le film de jouer aussi sur le registre de la peur ou de l'émerveillement.




La grande chance de Troll Hunter, et sa petite réussite c'est d'être né norvégien. Les monstres du film sont donc suffisament familiers- presque tout le monde connait au moins ces hideuses petites figurines de Trolls déversées dans les attrappe-touristes du monde entier (elles apparaissent évidemment dans le film...) pour exciter l'imagination, et la perspective de les voir mis en scène sous un angle inhabituel (autrement dit pas dans un conte de fée ou un film de fantasy) provoque la curiosité.

Le film, astucieusement, se place à la confluence de différents registres : il relève à la fois du conte, du film de monstre, et du portait documentaire.

L'objet du portrait, c'est bien évidemment, non pas le Troll, mais leur chasseur, ni plus ni moins qu'un Van Helsing local. Découvert par l'éternel trio d'étudiants en mal de sensation fortes, le personnage- c'est là l'astuce- loin d'être habité par la foi du professeur traquant Dracula est au contraire un fonctionnaire lessivé ne rêvant que de raccrocher.



Il faut toujours trouver une pirouette pour justifier que les filmeurs continuent à filmer, dans les found-footages, et il est souvent assez drôle de voir les cinéastes chercher à nous faire admettre qu'un des héros terrorisé et en danger de mort continue de filmer. Ici, c'est donc le Chasseur de Trolls qui après avoir joué les ours mal léché reclus dans sa caravane pour éconduire la troupe de curieux, retourne sa veste et les invite à l'accompagner, dans l'intention de révéler au monde entier l'existence des Trolls, et surtout des conditions de travail scandaleuses qu'on inflige à ceux qui sont chargés de leur surveillance.

Bien contemporain sur ce point, le film, sans appuyer, parvient même à faire de ce personnage désabusé une belle figure : les trolls si merveilleux ne l'étonnent plus le moins du monde, pas plus que l'importance de sa mission ne l'enorgueillit, ce qui fait rêver le Chasseur, c'est une retraite avec pension complète et une maison qui n'aie pas de roues. La sensibilité à l'imaginaire fantastique, un luxe de riche ?


Selon, cette fois, les canons les plus classiques du film de monstre, les apparitions des Trolls sont savamment calculées : nocturne, lointaine et imprécise, chaque nouvelle séquence impliquant les créatures est plus spectaculaire que la précédente et les dévoilent un peu plus. Cette logique toute foraine tient d'ailleurs lieu de progression dramatique : comme beaucoup de found-footages, le récit n'a pas vraiment de conclusion et se termine simplement par l'interruption de la « dernière bobine »

Nanti d'un budget minuscule, Troll Hunter réjouit aussi parce qu'il nous rappelle qu'émerveillement et spectaculaire sont des qualités qui dépendent plus de la mise en scène que de l'épaisseur de l'enveloppe attribuée aux effets spéciaux. Le film se déroulant entièrement dans les grands espaces de Norvège, il dégage dès les premières images un sentiment de grandeur mythologique parfaitement relayée par les apparitions des Trolls, incarnant à l'écran les forces de cette nature. A la fois conformes aux canons de l'imagerie la plus populaire, et retravaillée sur un mode plus réaliste, les créatures ont bénéficié d'un soin dans leur conception, leur variété et leur fabrication (numérique principalement) qui régale l'oeil et excite l'imaginaire. La recette de Troll Hunter n'a rien de mystérieux : la tambouille est touillée sous nos yeux, et les ingrédients ont déjà servi dans mille autres plats. On est d'autant plus étonné de lui trouver tant de saveur, et même, l’écuelle récurée, de se dire qu'on en reprendrait volontiers.





P.S: l'année dernière, Matthias avait chroniqué un found-footage de science-fiction (décidément, tout y passe), l'anecdotique Apollo 18.

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