mercredi 26 décembre 2012

63- Père Noël Origines (Rare Exports)- Jalmari Helander- 2010- Finlande




Pour peut qu'on le soumette à l'analyse, le plaisir que l'on éprouve à la vision de cet improbable film finlandais, nous oblige à accepter une évidence surprenante : notre euphorie est totalement similaire à celle provoquée par ces films familiaux des années 80, qui, en une poignée d'années marquèrent pourtant d'un empreinte indélébile et inimitable le cinéma de divertissement grand public. 




Tête de proue du mouvement, un Steven Spielberg alors créativement bicéphale, qui tout en réalisant des films séminaux comme E.T, ou Indiana Jones et le Temple maudit, puis La couleur Pourpre ou Empire du Soleil, prenait son travail de producteur au sérieux, et le consacrait alors vraiment à la propagation d'un formidable élan créatif dans le cinéma américain grand public familial. 

Une formule, difficilement définissable, mais dont on repère, de films en films, des invariants, et qui finira par être identifiée à la maison de production de Steven Spielberg, responsable des films fondateurs du style « Amblin ». A tel point que la production de certains films n'ayant rien à voir avec la société de Spielberg, comme Explorers ou The Monster Squad, lui sont pourtant fréquemment attribués.



S'il est bien un registre de films éveillant immédiatement une nostalgie profonde chez les cinéphiles de ma génération, c'est celui sur lequel le producteur Steven Spielberg régna en maître durant une demi-douzaine d'années, entre 1984 (Gremlins) et 1990 (Gremlins 2). Alors qu'aujourd'hui, des cinéastes tout aussi nostalgiques se font adouber par leur idole pour tenter de ranimer, comme si 30 ans n'avaient pas passé, ce cinéma qu'on a perdu sans même s'en apercevoir, la surprise provient d'un film suédois au budget ridicule, sorti de nulle part, qui ressuscite sans efforts apparents et avec une fraîcheur et un naturel étonnant toute l'esthétique Amblin des années 80, mais surtout le lien particuliers qu'elles savaient tisser avec leurs spectateurs. 


Selon la règle presque immuable, ce sont des enfants livrés à eux-même qui sont les acteurs du récit et les protagonistes principaux de l'histoire. A l'issue du drame- initiatique- ils auront réussi, à la fois, à prouver qu'ils ont grandi (en résolvant la crise qui menace leur société ) et à réaffirmer le lien qui les unit à leurs parents (en se réconciliant avec eux.)



Si Rare Exports (évitons de recourir au titre français sans imagination) semble paradoxalement si frais, c'est qu'il se déroule dans un cadre bien exotique pour un film de son genre, et qu'il se joue de quelques tabous dont on devine bien qu'il sont sans doute beaucoup moins opérant dans la société nordique que dans la nôtre.



En effet, peu de chances qu'on aurait eu l'occasion de voir un jour, dans un film américain grand public une horde de vieillards totalement nus courant dans la neige, à la poursuite d'un groupe d'enfants... sans que cette image ne mette pour autant mal à l'aise le spectateur.




Avant d'en arriver à cette vision saisissante, dont on imagine qu'elle a pu constituer pour le réalisateur l'inspiration de tout le projet, Jalmari Helander a patiemment posé toutes bases de son récit, construit en un mouvement crescendo typique du genre, chaque scène devant dépasser la précédente par son ampleur ou, ici, sa poésie bizarre et décalée, le film ne bénéficiant pas d'un budget permettant de ne jouer que la carte de l'emballement spectaculaire. Mais nécessité faisant loi, Helander compense sa pauvreté par une créativité narrative reposant souvent sur l'association d'images ou d'imageries à priori contradictoires. La créature au cœur du film est le symbole parfait de la démarche du réalisateur : c'est un monstre terrifiant, pris dans la glace, dont nous ne verrons nettement que deux cornes gigantesques et recourbées comme celles d'un bouc, ou d'un diable ! Mais cette créature, pourtant...c'est le Père Noël ! 

La première scène du film joue également sur deux registres : l'angoisse du film d'horreur débutant par l'exhumation d'un mal ancien enfouit dans les profondeurs de la terre, mais associée à l'antithèse totale d'un croque-mitaine : le Père-Noël, car c'est bien sa tombe, semble-t-il qu'on découvre au début du film.



Ce Père-Noël n'est pas tout à fait celui que nous connaissons, et encore moins celui que des années de christmas movies américains dégoulinants de glucose nous a appris à détester. Pour réenchanter un peu la figure du bonhomme au chapeau pointu, semble nous dire le cinéaste, il n'y a qu'un moyen radical. Puisqu'on n'en peut plus de sa gentillesse, le Père Noël va devenir méchant. D'ailleurs, au détour d'une réplique, un personnage envoie, comme une note d'intention : C'est pas le Père-Noël Coca-cola celui-là, hein !



Loin de dénaturer le mythe comme certains films mettant en scène des Père-Noëls maléfiques (généralement des maniaques déguisés ), Helander s'appuie au contraire sur la tradition la plus ancienne et la plus féérique du personnage, en s'inspirant simplement du couple formé par les deux pères, Noël et Fouettard. Nous rappelant que le Père Noël n'apprécie pas les enfants qui n'ont pas été sages, le cinéaste extrapole : non seulement son Père Noël ne récompense pas ces enfants-là, mais il les châtie de la plus terrible des manières : ébouillantés vivants, écorchés vifs ou fouettés à mort !





C'est dans cette inversion que réside sans doute le charme fort du film. Si l'on ne croit plus au merveilleux, à la générosité magique de l'esprit festif associé à Noël où à la religiosité vitaliste associée à la célébration de la naissance du Christ, tant l'appel à la consommation déchainée sature les médias, qu'à cela ne tienne, c'est par la terreur qu'on ré-enchantera Noël. Pour croire à nouveau en Dieu, inventons donc un Diable, auquel le Père-Noël de Rare Exports renvoie d'ailleurs très directement.

Et, reprenant soigneusement quelques figures de ces divertissements américain d'il y a 25 ans, Hellander applique la même méthode terroriste. Le village enneigé est bien présent, mais ce n'est pas une suburb enguirlandée où l'on vit les uns contre les autres, mais un ramassis de cabanes de chasseurs éparpillés qui doivent se rendre visite en moto-neige. Si la famille dysfonctionnelle est bien présente, c'est la figure du père qui est ici mise en avant (il n'y a pas une femme à l'écran !), réactualisant la mère au foyer délaissée mais courageuse de nombreuses production Spielberg.

Les dernières scènes du film singent leur modèle d'un manière un peu trop consciente et avec un sens du décalque un peu trop appuyé pour émouvoir vraiment. Il ne faut pas, pourtant, se laisser gâcher l'impression laissée par le film. Car avant ce final conventionnel, qui précède un épilogue superbe justifiant le titre original, le film a su, très simplement, enraciner sa fantaisie dans une sentimentalité concrète qui nous permet de nous laisser atteindre par le geste de Hellander. Car si ses modèles sont évidents, et son hommage appuyé, ils ne précèdent jamais son envie de décrire les réalités affectives de ses personnages. Au cœur du récit, il y a deux petits garçons, où plutôt un jeune adolescent qu'on verra peu, et son jeune frère, Piétari. Pour tromper leur ennui, ils ont tous les deux découpé une porte dans la clôture interdisant l'accès au mystérieux chantier de fouilles, où, ils seront les seuls à le découvrir hormis l'équipe de chercheurs, on vient donc d’exhumer le tumulus abritant la dépouille du Père-Noël. La transgression des garçons aura des conséquences plus graves : C'est par leur faute- et l'ouverture laissée dans la clôture- que le troupeau de rennes sur lequel repose toute l'économie des familles du village de chasseurs va être décimé, privant la communauté des revenus indispensables à leur survie.



La faute initiale impossible à avouer par un enfant rongé par la culpabilité, le châtiment fantasmé à partir de quelques indices que personne ne veut voir (Pietari est persuadé que le méchant Père-Noël tente de l'enlever pour le punir), mais qui s'avère, finalement, correspondre à la réalité (Le Père-Noël maléfique existe, et il a bien senti la faute des enfants.). Ces sentiments de l'enfance (qui ne s'est jamais demandé s'il méritait ou pas de figurer sur la liste des enfants sages?), Hellander parvient à les traduire très justement, à la fois grâce à son acteur, Onni Tommila, au fascinant visage lunaire, son scénario vraiment construit, sans péripétie inutile, autour des tourments intérieurs du garçon, et sa mise en scène, typique de ce cinéma fantastique du nord dont une silhouette commence à être dessinée à travers quelques bêtes de festival dont Rare exports fait partie. Une mise en scène déployant ce sentimentalisme très particulier, consistant à souligner les émotions par un lyrisme inversé : s'éloigner lorsque les personnages se rapproche, filmer de dos un personnage qui pleure, traiter les moments où le drame éclate par l'immobilisme de la caméra et des acteurs, voire par le hors-champ.

J'évoquais l'épilogue extraordinaire du film. Il est d'autant plus brillant qu'il met en scène le projet du film lui-même. Il répond à une crise ( La ruine des personnages, la perversion de l'esprit de Noël ou la disparition d'un cinéma de divertissement fantastique européen ) par la redécouverte d'un modèle ancien- dans le cas du film, le cinéma de divertissement familial des années 80, pour les personnages du récit, la figure classique du Père-Noël aimant- et met en scène son appropriation nécessaire mais profondément sincère. Et Hellander prouve que le cinéma inventé au États-Unis au détour des années 80, s'il a représenté pour certains le summum de l'impérialisme culturel consumériste contenait en fait un modèle de récit universel, qui n'a besoin pour nous toucher et nous dire quelque chose de nous même, ni de dollars, ni d'être tourné sur les collines de Hollywood.





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