Là, ça
devient quand même un peu compliqué. Dans la vingtaine d'années
séparant la Conquète ... des Evadés..., la terre
s'est couverte de singes humanoïdes, qui ont suffisamment évolué
pour que les hommes les prennent à leur service puis les réduisent,
peu ou prou, à l'esclavage. Milo, le seul singe capable d'engendrer
une telle descendance doit avoir un sacré instinct de conservation
de l'espèce !
Ce sont
surtout les scénaristes qui ont l'instinct de conservation de la
série, et tentent, à tout prix, de raccorder tous les bouts de
l'intrigue d'arrière-plan :celle du Grand Singe Aldo, de la
révolte contre les hommes, de la guerre atomique ayant provoqué la
fin de l'humanité, de la régression des hommes à un stade mutant
ou animal, de l'apparition d'un singe faiseur de loi...à force
d'ajouter des films, on laisse traîner, ça s’accumule, et quand
il faut mettre de l'ordre, on se retrouve avec un sacré boulot.
Et c'est
peu dire que l'explication n'est pas convaincante : les chats et
les chiens ayant été anéantis par une épidémie incurable (!),
les gens, inconsolables devant tant de solitude domestique si subite,
décident, comme un seul homme de donner aux singes la place laissée
vacante par Minou et Médor. Quand on perd son petit chaton, on
essaye de se procurer le plus vite possible un gorille de 120 kilos,
ça tombe sous le sens.
Et
figurez-vous que les singes, au contact de l'homme, vont en 20 ans,
se mettre debout, apprendre à utiliser outils et fournitures, et
comprendre les ordres verbaux de leurs maîtres.
Déjà
qu'ils étaient inquiet, dans le volume précédent, de la présence
de 3 singes parlants au point de les abattre, ils devraient avoir la
puce à l'oreille, les terriens !
Mais,
selon les règles de la série- et avec une certaine élégance
philosophique- ce que les hommes redoutent, c'est le singe qui
parlerait la langue des hommes.
Et
celui-là, Milo, est bien caché, toujours dans son cirque, par
Armandillo. Les circonstances vont bien entendu révéler son
intelligence supérieure au hommes, et la scène, attendue, de sa
prise de parole est superbe. Ses premiers mots, sur la table ou il
est torturé étant, non pas No, comme il avait été promis,
mais Have pity. Ayez pitié... un concept complètement
étranger au règne animal.
Les
choses s'emballent assez vite à partir de là. La révolte, que
Milo- s'étant rebaptisé lui-même César- a secrètement préparée
éclate. La mise en scène de Thompson, dans ces moments est très
inspirée. Le choix d'une caméra portée, du début à la fin, donne
une énérgie au film et un sentiment d'authenticité
particulièrement payant dans la longue séquence, presque sans
dialogue de l' ape uprising. Tournées en partie à
l'Université de Californie d'Irvine, alors toute neuve, ces scènes
de révolution bénéficient de la beauté d'une architecture
dégageant aujourd'hui un parfum idéal de rétro-fiction (le futur,
soit 1991 tel qu'on l'imaginait en 1970 ) et des cadrages inspirés
de Bruce Surtees. Collaborateur régulier de Siegel (L'inspecteur
Harry, L'évadé d'Alcatraz entre autres ) puis de Clint
Eastwood, Surtees excelle à tisser des images à la fois concrètes
et oniriques, comme lorsqu'il découpe une silhouette de singe
dressée sur un hauteur, éclairée à contre jour par une lumière
violente, qui pourrait être aussi bien celle d'un projecteur de la
police que d'un châtiment divin et mérité s’apprêtant à
s'abattre sur les hommes.
Les
maquillages de Chambers, paradoxalement, tirent profit, du manque de
moyens (budget : 1,7 millions de dollars!). Réduit, pour les
nombreux figurants, à un masque facial sans articulations,
l'expression des visages des singes résident dans leurs seuls yeux,
taches blanches hyper expressives au milieu des faces sombres. De
même, les combinaisons, évitant d'avoir à maquiller des torses ou
des membres, toutes du même rouge, confère aux groupes, lorsque les
singes se rassemblent une extraordinaire présence chromatique. Se
répandant dans les rues de la ville, les colonnes de singes
deviennent littéralement le sang de la colère se déversant sur
Central City.
Impossible,
enfin, de ne pas signaler l'à propos du film, qui, malgré la
délicatesse de la comparaison, n'hésite pas à rapprocher le destin
des singes- et la légitimité de leur révolte- de celui des noirs
américains. Impossible de ne pas songer aux émeutes, sept ans plus
tôt, dans le quartier de Watts. Rapprochement énoncé par César
lui-même, à la façon à la fois directe et symbolique du film,
lorsqu'il supplie un membre d'origine africaine du gouvernement :
Vous, entre tous, devriez comprendre !
Mais La
conquète... n'est pas un film pesamment politique. Le
réalisateur n'oublie jamais de faire des images- la séquence de la
révolte, évidemment, est un classique du cinéma d'anticipation,
bourrée d'images inoubliables, mais aussi ces scènes d'ouverture
montrant des singes rassemblés en lignes sur une place, pour qu'on
leur attribue une tâche, et qui transforment Central City la
californienne en gigantesque camp de travail. Le scénariste, s'il
prend le soin de mettre dans la bouche de César un discours
flamboyant sur le destin de ceux qui furent opprimés, n'oublie
jamais de produire avant tout du récit. La direction artistique,
irréprochable, est un modèle de conception visuelle entièrement au
service du propos d'un film.
Si la
réussite financière du film, qui rapporte presque 5 fois son
budget, entraîne une suite, tout est dit dans cette Conquète de
la planète des singes, un des fleurons d'une période bénie
pour la science-fiction. Jusqu'à ce qu'une reconquête soit opérée,
cinq ans plus tard, par un autre singe qui marche debout et manie les
armes, et fasse basculer la science-fiction cinématographique de
l'anticipation angoissée et lucide au western spatial sensationnel.
Ce singe là, tiens tiens, a d'ailleurs perdu l'usage de la parole,
ne s'exprime que par grognements, et demeure l'indéfectible et
docile ami du contrebandier spatial auquel il passe, docilement,
toutes les humeurs, et qui est le seul à le comprendre.
J'aime bien ce film, malgré un tempo un peu lent ; à mon sens il est surtout chargé politiquement,comme vous le le soulignez bien (et comme le sont souvent le films de SF, a fortiori dans les années 70). Le prequel / remake La planète des singes les origines a d'ailleurs beaucoup à voir avec cet opus.
RépondreSupprimerEt je l'aime beaucoup ce remake, qui refait de "Non" le premier prononcé par un singe dans une superbe scène. Ce qui pèche vraiment, c'est la direction artistique, tout en surfaces métallisées et contrastes tièdes.
RépondreSupprimerUn tempo lent... Peut-être en regard des critères actuels. Je trouve que l'histoire avance sans détour, et que le morceau d'anthologie de la fin est quand même sacrément nerveux, et sans chichis.
Merci de la visite, Raphaël.