Passer par la Chine avant
de revenir à l'Angleterre comme promis ne semble pas complètement
illogique et flattera sans aucun doute nos amis de la perfide Albion,
puisque à une époque pas si lointaine, l'Empire englobait l'enclave
de Hong-Kong, où l'on fit, il y a 25 ans, le plus beau cinéma du
monde.
Un détour d'autant plus
justifié que le cœur de Terracotta warrior est animé d'une
imagerie médiévale et d'un rapport au légendaire moyen-âgeux qui
résonne avec les préoccupations des dernières semaines, pour peu
qu'on accepte de considérer comme équivalent dans les imaginaires locaux le chevalier fendant le champ de joute sur son destrier de la tradition européenne et celui, fendant les airs sur la semelle de ses bottes de la tradition chinoise.
A l'origine du film de
Ching Siu Tung, on ne sera pas surpris de retrouver l'ombre de
l'omniprésent Tsui Hark, ici crédité comme directeur des effets
spéciaux (Ah ! Ah! Ah!) mais dont la participation au film est
beaucoup moins anecdotique. C'est lui qui veut donner un écrin
filmique et romanesque à un des joyaux les plus tardifs de la
culture chinoise : l'armée de soldats de terre cuite excavée
en 1974. Comme son titre l'annonce, le film va s'attacher au destin
de l'un de ces soldats. Comme on peut s' attendre,ce n'est pas
vraiment la reconstitution historique qui préoccupe Hark et Chin Siu
Tung, mais bien leur mythologie qu'il veulent interroger. Figure
centrale du récit, Mong Tienfong, est le responsable du chantier du
mausolée de l'Empereur, mais surtout, il est un de ses chevaliers.
Figure dont l'existence cinématographique transcende les frontières
et les cultures. La preuve : Les Visiteurs, de Jean Marie Poiré,
est une copie opportuniste et sans grâce du film de Ching Siu Tung.
Bien sûr, le chevalier
est un archétype très présent dans la culture populaire chinoise,
et est même le moteur principal d'un genre entier, le Wu Xia Pian,
le film de chevalerie. C'est justement tout le genre qui, dans
Terracotta Warrior, est regardé de l'extérieur. Ching Siu-Tung est
presque un cinéaste post-moderne, presque un déconstructeur de
formes, et un cinéaste passionné par les mises en abîme et les
dispositifs formels ouverts, commentant le film au fur et à mesure
qu'il se déroule. C'est aussi un cinéaste cinéphile, curieux des
cinématographies étrangères à l'instar d'un Ronny Wu, plusieurs scènes de Terracotta Warrior renvoient aux Aventuriers de l'arche perdue, et on se
souviendra que la version longue de son Dr Wai reprenait la structure
liant fiction et réalité du Magnifique de Philippe de Broca. Et
qu'Histoires de fantômes chinois III était un remake du premier film
observant consciemment celui-ci.
Un dispositif similaire
est à l'oeuvre ici, à travers le principe de réincarnation, qui
permet d'étaler « horizontalement » des personnages
situés « verticalement » dans la généalogie du récit,
mais aussi par l'adjonction au récit de celui d'un tournage de film,
non pas de chevalerie, mais plutôt un mélodrame chinois dont on ne
saura pas grand-chose. Plus que la valeur dynamisante pour son
histoire, c'est la validité des valeurs incarnées par le chevalier
que Siu Tung s'amuse à mettre en scène, démarche relativement
marginale, et assez personnelle. Le jeu du décalage temporel a bien
sûr été utilisé comme ressort comique ailleurs (voir, la même
année, Time Warriors -The Iceman Cometh- dont certains gags se
retrouvent tels quels dans... Les visiteurs!) et Siu Tung ne se prive
pas de jouer plutôt habilement et plus légèrement que ses
compatriotes de cet humour.
Mais plus singulièrement,
au delà de l'inadaptation, c'est aussi par le prisme de sa relation
aux personnages féminins que la figure du Chevalier est regardé.
Bien entendu, Mong Tienfong a un antagoniste masculin, un rival
moderne, qui, comme on s'y attend est à la fois un adversaire digne
de ce nom (c'est un combattant) en même temps qu'un être moralement
inférieur aux héros, et opposé aux valeurs incarnées par le
chevalier. Mais pour mettre en scène cette opposition, le cinéaste
n'a pas besoin du recours à la confrontation des époques. Par
contre, elle permet de dessiner des portraits très différents de
l'amante de Mong Tienfong. Toute la première partie du film, située
il y a 3000 ans, joue en accéléré l'histoire bien connue des
amants maudits, préférant la mort à la séparation. Constamment à
la lisière de la parodie, Ching Siu Tung parvient tout de même à
servir quelques scènes plastiquement superbes- jeux de voiles,
contre-jour gracieux, sous entendus érotiques, quelques beaux moment
portant la patte du réalisateur d'histoire de fantômes chinois sont
bien au-dessus du tout venant de la production à l'époque. Puis,
après le réveil de Mong Tienfong à dans les années 30, réapparait
sa belle- ou plutôt sa réincarnation- mais ce n'est plus tout à
fait la même. Là, c'est le stéréotype de l'emmerdeuse typique du
cinéma hong-kongais auquel recours Siu Tung, là encore avec
suffisament de nuances pour rendre le personnage plus interessant.
Lili Chu, courtisane sous les Quin devient ici une actrice de second
rôle prête à presque tout pour décrocher le second. De quoi
déstabiliser le pauvre Tienfong, lorsque sa belle pardonne à
méchant (qui est aussi le premier rôle du film dans lequel elle
figure) d'avoir essayé de la tuer 10 minutes auparavant parce
qu'elle lui offre un premier rôle avec lui !
Défait, par ailleurs de
son lien de vassalité lorsqu'il découvre qu'il est le seul
survivant des soldats de terre cuite, Tienfong fait l'expérience de
son inutilité. Le chevalier mis à nu par son réalisateur même :
privé de seigneur et d'objet à son amour courtois, Mong Tienfong
passe de la figure tragique classique (il ne peut échapper à son
destin, aimer Lili Chu, ce qui le mènera inévitablement à la mort,
il est un être démesuré : c'est lui seul qui pourra
bénéficier du charme rendant immortel et deviendra l'égal des
dieux, enfin il est aveuglé par ces même dieux : il ne sait
pas qu'il va devenir immortel et traverser le temps et pense au
contraire périr au côté de Lili ) à une figure tragique moderne :
c'est la scène superbe, où Tienfong, sur la muraille de chine,
s'écrie : le passé n'existe plus, je ne sers plus à rien.
Inutile de dire que toute
la grâce du film est de construire ce dialogue formel sans jamais
verser dans la théorie, et sans jamais se départir d'une
imagination et d'un sens de l'espace étourdissants, typique du
cinéma Honk-Kongais des années 80 et dont Chin Siu Tung- on a mis
un peu de temps à le réaliser, fut un des plus singuliers vecteurs.
Voir son obsession ici, comme dans Dr Wai, à filmer des scènes
d'actions avec des avions... sous terre !
On n'oubliera pas, enfin,
que Siu Tung trouve auprès de ses acteurs un écho extraordinaire à
ses ambitions. Zhang Yimou comme Gong Li, couple mythique du cinéma
de l'ex-colonie, illumine l'écran, le chevalier de Yimou, en
particulier, a quelque chose de lunaire et d'enfantin qui rend le
personnage plus touchant que risible, et Gong Li, si elle brille sans
surprise dans le rôle de la vierge tragique est tout aussi parfaite
dans celui de la bêcheuse qui ne s'en laisse pas compter.
La dernière séquence du
film nous montre Tienfong devenu employé du musée des soldats de
terre-cuite, en 1974, occupé à nettoyer la statue représentant un
de ses anciens frères d'armes. S'il guette toujours la prochaine
apparition d'une nouvelle incarnation de Lili, qui ne tarde pas à
passer en lui souriant, mais sans s'arrêter, il a accepter de
quitter son armure et se consacre à la conservation de ce passé qui
ne vit plus, et dont il a éprouvé toute l'inanité. Cette dernière
image extrêmement mélancolique est bien à l'image d'un film bien
plus singulier qu'il n'y paraît. Au bout du compte, Tienfong est un
chevalier dans un monde ou la chevalerie n'a plus sa place. Qu'il y
soit vivant, n'y change rien : aux côtés de la statue de
terre-cuite, il est, au fond, exactement comme elle.
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