Nick Murphy est un
croyant, il croit aux histoires, aux personnages, au cinéma et des nombreuses traditions auxquelles appartient La maison
des ombres, la moins noble n'est sûrement pas celle des cinéastes
conteurs.
Comment, tout en s'exprimant dans le cinéma de genre,
survivre au cinéma post-moderne ? Ou, pour paraphraser Pascal
Laugier1 :
« Est-ce que le visage d'une actrice peut encore tenir une
salle ? » Comment faire pour refaire comme si il n'avait
pas été déjà fait ? est la question qui sous-tend aujourd'hui la dynamique
plastique des films de genre les plus interessants.
Le fétichisme qui dicte
les choix de bien des jeunes cinéastes est de la même nature que le
geste parodique, à la seule-et mince- différence qu'il s'agit, non
pas de moquer, mais de révérer. Si le recours aux remakes est
devenu depuis quelques années si fréquent, c'est sans doute aussi
parce qu'il permet de résoudre cette contradiction : proposer
quelque chose déjà vu (qui sera reconnu, et partant, attendu, à
tous les sens du terme.) mais en faisant comme si ce n'était pas le
cas (ce qui oblige le spectateur à se mettre en position de
virginité vis à vis du nouveau film ).
Que reste-t-il aux
cinéastes qui ne s'adonnent ni au fétichisme ni à la copie ?
Oser se reposer, simplement, sur leur désir de raconter une
histoire, redevenir des conteurs habités par leurs personnages. Nick
Murphy est de cette famille là de cinéastes, les « auteurs »,
qui très souvent écrivent leur scénarios et qui font de ce moment
de la fabrication du film le fondement de tout le projet. Pour eux,
on ne fera image que de ce qui donne corps au récit. Dans cette
conception, peu de place pour la divagation (mais elle d'autant mieux
mise ne valeur, et émeut d'autant plus), et une idée, au fond,
presque anti-cinégénique du film, le formalisme de la mise-en-scène
pour elle même représentant le spectre de l'image « gratuite »
(offerte?) qui menacerait de dissoudre le lieu tressé par le récit
entre les spectateurs et le film.
Inspiration idéale pour
ces cinéastes, le scénario à mystère, dont la promesse
d'éclaircissement va nous fa ire traverser tout le film. Parmi ces
scénarios, l'histoire à retournement (éventuellement multiples )
trône en majesté, puisqu'il s'agit, dans ce genre de film, d'être
attentif au moindre détail avec la récompense de pouvoir, à la fin
de l'histoire, donner un sens à tout ce qu'on vu précédemment.
Malgré ce que j'écrivais
plus haut, il me semble qu'il y a là un idéal de cinéma, en tout
cas une façon de concevoir le récit cinématographique
particulièrement émouvante. Le cinéaste s'y met à nu. S'il ne
fait pas corps avec son récit, il se retrouvera dans le camp de ceux
qui font pratique l'exercice de style ou la copie amoureuse ou
fielleuse des toiles des autres. Brian De Palma a souvent, et
passionnément marché sur la crête séparant les deux approches,
avec des films objectivement indécidables. Obsession est-il
bouleversant ou ridicule ? De Palma embrasse-t-il les névroses
de ses personnages, ou leur est-il indifférent ?
Pour que les cinéastes
conteurs fassent corps avec leur récit, ils ont souvent besoin de
celui des acteurs, plus pour leur valeur d'incarnation que pour leur
valeur dynamique. Lorsque Laugier parle du visage de l'actrice, ce
n'est pas un hasard, car c'est le lieu de la manifestation de
l'émotion, pour le spectateur, mais aussi le siège de la parole,
qui dans ce cinéma, est souvent essentiel au déploiement du récit.
Enfin, et peut-être surtout, c'est le lieu du regard, qui est
renvoyé au spectateur, et incarne un point de vue, souvent une
invitation à l'empathie, et parfois l'expression désarmante d'une
injonction à « y croire », lorsqu'il est adressé au
spectateur, l'acteur fixant la caméra.
C'est justement par un
gros plan d'oeil que commence La maison des ombres. Il sera ensuite
beaucoup question de point de vue et de changements de regard.
La question de la foi en
son propre récit, le cinéaste l'incarne dans le film dès cette
ouverture. Le personnage de Rebecca Hall (Florence) est un spectateur
moderne. Elle se rend à une séance de spiritisme, nous sommes en
1921, et c'est donc à une séance de cinéma d'horreur de l'époque
à laquelle elle va assister. Florence, comme nous, connait tous les
trucs, on ne la lui fait pas, et elle a tôt fait de démasquer les
charlatans et de révéler leurs trucs.
A la sortie de la séance,
une des victimes des spirites invective Florence, lui reprochant de
l'avoir privée de l'illusion qu'elle voulait entretenir, celle
d'imaginer sa fille en vie. Autrement dit : ce n'est pas parce
qu'on sait que c'est faux qu'on ne peut pas se laisser entraîner à
y croire. C'est bien le programme qui nous attend, aux côtés de
Florence : passer d'un scepticisme rageur et (constater
l’inanité des formes du film d'horreur gothique classique, et leur
incapacité à faire peur) à une acceptation libératrice de
l'existence d'une réalité dépassant sa dimension matérielle
(autrement dit, réinvestir le cinéma gothique classique et se
laisser effrayer et émouvoir). Si le projet formel est tenu de bout
en bout, ce n'est jamais en prenant une pose théorique, au
contraire, le film- et c'est rare dans ce genre de cinéma
fantastique- s'émeut du corps de ses acteurs, de plus en plus
souvent et de plus en plus intensément, jusqu'à une étreinte
redoublant la traditionnelle explication dialoguée du mystère par
une des personnages.
Le film est un film à
twist, et si le retournement est bien dans la tradition du genre (on
songe évidemment aux classiques que sont devenus L'orphelinat,
L'échine du diable et Les autres ), ce n'est pas une pirouette à la
seule destination du spectateur mais aussi le pivot des repères de
Florence, qui, retournée littéralement (par le récit, et dans le
regard du spectateur) va pouvoir être rendue à elle-même et à ses
souvenirs.
Un des aspects les plus
intéressants du film (et des plus émouvants) c'est le regard porté
par Murphy sur les personnages masculins. Si la présence d'une
héroïne féminine explorant sa propre psyché, mise au centre du
récit est vraiment devenu un cliché du film fantastique gothique
des 10 dernières années, ( Rebecca Hall l'incarne admirablement, en
apportant beaucoup de nuances ironiques au personnage ),
l'exploration de masculinités névrosées l'est beaucoup moins.
L'action est rapidement
située dans un orphelinat de jeunes garçons dont les pères sont
morts à la guerre. Là, du professeur rigide à la brutalité
inflexible au concierge réprimé et méprisé pour sa lâcheté face
au conflit, Murphy déploie, à travers ses second rôles
parfaitement tenus un kaleidoscope d'un monde masculin la plupart du
temps réduit à une impuissance plus ou moins volontaire. Parmi ces
personnages, c'est celui, très beau, de Dominic West qui bénéficie
du portrait le plus nuancé.
(à suivre...)
1In
« In the Shadow of the tall man » documentaire sur le
tournage du film, de Louis Thevenon.
Encore une excellente chro du Chef de gare qui me donne envie de découvrir un nouveau film !
RépondreSupprimerMerci Ma Dame...
RépondreSupprimerTu m'as toi réveillé quelques envies inassouvies (Ah ! Topor !)
Cette maison des ombres, je suis presque sûr qu'elle te plaira beaucoup.
A bientôt !