mercredi 6 février 2013

69- Black Death- Christopher Smith- Grande Bretagne- 2010


 "Nous nous rendons en enfer, mais Dieu voyage avec nous."





Le chevalier est le héros populaire de beaucoup de films moyen-âgeux, et l'interrogation de son identité est au cœur des drames de bien des films d'aventure chevaleresques, dont les formes plastiques n'ont parfois plus rien à voir avec le moyen-âge : pensons par exemple au succès des Batman de Christopher Nolan.

Aux antipodes (à tous les sens du terme...) de Terra-Cotta Warrior, Black Death partage tout de même avec le film de Ching Siu Tung ce questionnement- vécu douloureusement et à la fois sur le mode de la désillusion et de la perpétuation- sur l'incarnation des valeurs chevaleresques. Chin Siu tung utilisait l'astuce du voyage dans le temps pour confronter- littéralement- son chevalier obsolète à notre monde.

Christopher Smith fait lui l'inverse, il importe les formes de notre époque dans le film d'aventures moyen-âgeux. De la manière la plus frappante par sa caméra, utilisée exactement comme une caméra de reportage, tout au long du film, nous plaçant constamment dans la position du témoin embarqué avec la troupe d'Ulric, l'émissaire de l’évêque incarné par Sean Bean. Tourné en allemagne- comme Le joueur de flûte- le film se déroule dans une régions marécageuse et fantomatique, et il est impossible de ne pas voir l'analogie voulue par Smith entre le film de guerre contemporain et les agissement de sa troupe de spadassins. Si le décor évoque cette jungle vietnamienne fantomatique qui a symbolisé, à partir des années 70, dans le cinéma américain le vacillement des certitudes sur les raisons et les objectifs de l'engagement américain, c'est évidemment au interventions des U.S.A et de leur alliés au moyen-orient que l'on songe, et au sous-genre cinématographique lié aux traumatismes individuels et collectifs généré par cette expérience.

 

L'intervention de l'escouade d'Ulric, agissant sur les ordres d'un supérieur que nous ne verrons jamais a toute l'ambivalence que la médiatisation des conflits récents nous a appris à redouter : leur mission officielle, découvrir pourquoi un village des environs du monastère a totalement échappé à la peste, en cache de toute évidence une autre, une mission secrète, qu'on ne nous révélera pas et à propos de laquelle nous ne pourront, jusqu'au bout, que formuler des hypothèses, le véritable but d'Urlric tournant autour de la capture d'un Nécromancien soupçonné de protéger le village indemne par sa magie noire.

Adroitement, et justifiant ainsi son dispositif « reportage », Smith choisi de ne pas faire du Chevalier le héros du récit. C'est Osmund, un jeune moine natif des abords du village qui est volontaire pour guider le groupe qui sera le médiateur du spectateur tout au long du film. Osmund est en proie au doute : amoureux de la jeune Avrill, il se sent en proie au doute quand à la force de sa foi et attends un signe de Dieu, qu'il verra dans la venue des émissaires de l'évèque.

Difficile de nier que le commentaire sur la foi dans le film ne relève pas la plupart du temps du cliché sans grand interêt : le fanatisme est évidemment pointé du doigt, on renvoi confortablement dos-à-dos païens et chrétiens extrémistes, mais on ne remets jamais en question la foi acceptable, car modérée, des autres personnages. Bref, on se garde surtout de prendre position, tout en capitalisant sur une radicalité formelle qui cherche à faire dans le film coup de poing. Sur le papier, ça ne pèse pas lourd, mais, et c'est toute la beauté et la grande réussite Smith, une fois porté par des comédiens extraordinaires, au premier rang desquels Carice Van Houten et Sean Bean, l'odyssée cauchemardesque d'Ulric se pare d'une vraie ambiguité.


Bien que le film soit enraciné dans une plastique très contemporaine, il y a aussi quelque chose d'intemporel qui le traverse, un souffle mythologique, et une vision du Moyen-äge qui n'est pas sans rappeler certaines lectures du cycle arthurien. Ainsi nous assistons au début du film à mort de la chevalerie, pour voir ensuite les déchus accomplir une quête de foi, rappelant évidemment la recherche du Graal par les chevaliers errants.

Peu après leur départ, les hommes d'Ulric croisent un groupe de villageois s'apprêtant à brûler une sorcière. Le jeune Osmund se précipite pour tenter de la sauver. Il est pris à parti par la foule, et Ulric intervient. On s'attend évidemment à ce que le chevalier la sauve, mais Ulric l'emmène au fond du champ, la met à genoux et l'égorge de dos. Ce que l'image nous montre, un personnage nous le raconte dans la scène suivante, en évoquant la mort de la chevalerie le jour de la bataille de Crécy, où ils eurent ordre de ne pas faire de prisonniers. Cette figure, dans une version plus hollywoodienne, du paria, du chevalier impie était au centre du Robin des Bois de Ridley Scott, qui entretient d'autres similitudes avec Black Death. Comme un climat fantastique subtilement distillé et des personnages, au milieu de leur vie, engagés dans une quête intérieure.

Le Graal d'Ulric et de ses hommes, se pourrait être ce village en apparence idyllique, épargné par la peste, mais aussi semble-t-il par la mort et la violence. Osmund a envie de le croire... il se trompe. Il n'y a nulle magie à l'oeuvre là-bas, ni divine ni infernale, simplement une enclave protégée par son insularité, et où le culte organisé par une sorcière donne surtout le courage de faire le nécessaire quand se présentent des étrangers du monde extérieur. Dans la longue séquence hallucinée du hameau sur pilotis (littéralement au dessus de la boue et de la fange ou se développe la maladie.), on peut voir une version au point de vue inversé du Village de Shyamalan.

 

La relation de Osmund à Ulric, qui structure le film, va logiquement clore le récit. Osmund va bien devenir un chevalier, mais un chevalier matériel, réduit à son épée, son cheval, sa mission qu'il exécute aveuglément, avec un zèle froid. Non, en fait Osmund n'est pas devenu un chevalier, il est devenu un soldat. Pas de Graal dans Black Death, pas de lumière, pas d'aube après le crépuscule d'Arthur, pas de renaissance ni de printemps pour les gents d'armes.

Christopher Smith réussit, à partir d'un projet théorique assez convenu, et la présence de tous les clichés attendus dans une histoire de chasse aux sorcières, en choisissant d'incarner totalement son film (dans l'espace naturel, dans le corps des acteurs) un film tendu de bout en bout, traversé de visions fulgurantes (les flagellants traversant le fleuve, les champs couverts de morts, la vierge de fer qu'on entretient en sifflotant, le visage implorant des suppliciées, le sang jaillissant des corps pendant les affrontements, comme dans une peinture médiévale...) qu'on regarde le ventre noué, hagard devant les errances de personnages tous en quête de quelque chose qu'ils ne trouvent pas, tant il semble qu'ici bas, il n'y ai rien d'autre que brume, horizons fermés, ombres insaisissables. Ni paradis ni enfer, mais un purgatoire sans fin.

 



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