"Nous nous rendons en enfer, mais Dieu voyage avec nous."
Le
chevalier est le héros populaire de beaucoup de films moyen-âgeux,
et l'interrogation de son identité est au cœur des drames de bien
des films d'aventure chevaleresques, dont les formes plastiques n'ont
parfois plus rien à voir avec le moyen-âge : pensons par
exemple au succès des Batman de Christopher Nolan.
Aux
antipodes (à tous les sens du terme...) de Terra-Cotta Warrior,
Black Death partage tout de même avec le film de Ching Siu Tung ce
questionnement- vécu douloureusement et à la fois sur le mode de la
désillusion et de la perpétuation- sur l'incarnation des valeurs
chevaleresques. Chin Siu tung utilisait l'astuce du voyage dans le
temps pour confronter- littéralement- son chevalier obsolète à
notre monde.
Christopher
Smith fait lui l'inverse, il importe les formes de notre époque dans
le film d'aventures moyen-âgeux. De la manière la plus frappante
par sa caméra, utilisée exactement comme une caméra de reportage,
tout au long du film, nous plaçant constamment dans la position du
témoin embarqué avec la troupe d'Ulric, l'émissaire de l’évêque
incarné par Sean Bean. Tourné en allemagne- comme Le joueur de
flûte- le film se déroule dans une régions marécageuse et
fantomatique, et il est impossible de ne pas voir l'analogie voulue
par Smith entre le film de guerre contemporain et les agissement de
sa troupe de spadassins. Si le décor évoque cette jungle
vietnamienne fantomatique qui a symbolisé, à partir des années 70,
dans le cinéma américain le vacillement des certitudes sur les
raisons et les objectifs de l'engagement américain, c'est évidemment
au interventions des U.S.A et de leur alliés au moyen-orient que
l'on songe, et au sous-genre cinématographique lié aux traumatismes
individuels et collectifs généré par cette expérience.
L'intervention
de l'escouade d'Ulric, agissant sur les ordres d'un supérieur que
nous ne verrons jamais a toute l'ambivalence que la médiatisation
des conflits récents nous a appris à redouter : leur mission
officielle, découvrir pourquoi un village des environs du monastère
a totalement échappé à la peste, en cache de toute évidence une
autre, une mission secrète, qu'on ne nous révélera pas et à
propos de laquelle nous ne pourront, jusqu'au bout, que formuler des
hypothèses, le véritable but d'Urlric tournant autour de la capture
d'un Nécromancien soupçonné de protéger le village indemne par sa
magie noire.
Adroitement,
et justifiant ainsi son dispositif « reportage », Smith
choisi de ne pas faire du Chevalier le héros du récit. C'est
Osmund, un jeune moine natif des abords du village qui est volontaire
pour guider le groupe qui sera le médiateur du spectateur tout au
long du film. Osmund est en proie au doute : amoureux de la
jeune Avrill, il se sent en proie au doute quand à la force de sa
foi et attends un signe de Dieu, qu'il verra dans la venue des
émissaires de l'évèque.
Difficile
de nier que le commentaire sur la foi dans le film ne relève pas la
plupart du temps du cliché sans grand interêt : le fanatisme
est évidemment pointé du doigt, on renvoi confortablement dos-à-dos
païens et chrétiens extrémistes, mais on ne remets jamais en
question la foi acceptable, car modérée, des autres personnages.
Bref, on se garde surtout de prendre position, tout en capitalisant
sur une radicalité formelle qui cherche à faire dans le film coup
de poing. Sur le papier, ça ne pèse pas lourd, mais, et c'est toute
la beauté et la grande réussite Smith, une fois porté par des
comédiens extraordinaires, au premier rang desquels Carice Van
Houten et Sean Bean, l'odyssée cauchemardesque d'Ulric se pare d'une
vraie ambiguité.
Bien
que le film soit enraciné dans une plastique très contemporaine, il
y a aussi quelque chose d'intemporel qui le traverse, un souffle
mythologique, et une vision du Moyen-äge qui n'est pas sans rappeler
certaines lectures du cycle arthurien. Ainsi nous assistons au début
du film à mort de la chevalerie, pour voir ensuite les déchus
accomplir une quête de foi, rappelant évidemment la recherche du
Graal par les chevaliers errants.
Peu
après leur départ, les hommes d'Ulric croisent un groupe de
villageois s'apprêtant à brûler une sorcière. Le jeune Osmund se
précipite pour tenter de la sauver. Il est pris à parti par la
foule, et Ulric intervient. On s'attend évidemment à ce que le
chevalier la sauve, mais Ulric l'emmène au fond du champ, la met à
genoux et l'égorge de dos. Ce que l'image nous montre, un
personnage nous le raconte dans la scène suivante, en évoquant la
mort de la chevalerie le jour de la bataille de Crécy, où ils
eurent ordre de ne pas faire de prisonniers. Cette figure, dans une
version plus hollywoodienne, du paria, du chevalier impie était au
centre du Robin des Bois de Ridley Scott, qui entretient d'autres
similitudes avec Black Death. Comme un climat fantastique subtilement
distillé et des personnages, au milieu de leur vie, engagés dans
une quête intérieure.
Le
Graal d'Ulric et de ses hommes, se pourrait être ce village en
apparence idyllique, épargné par la peste, mais aussi semble-t-il
par la mort et la violence. Osmund a envie de le croire... il se
trompe. Il n'y a nulle magie à l'oeuvre là-bas, ni divine ni
infernale, simplement une enclave protégée par son insularité, et
où le culte organisé par une sorcière donne surtout le courage de
faire le nécessaire quand se présentent des étrangers du monde
extérieur. Dans la longue séquence hallucinée du hameau sur
pilotis (littéralement au dessus de la boue et de la fange ou se
développe la maladie.), on peut voir une version au point de vue
inversé du Village de Shyamalan.
La
relation de Osmund à Ulric, qui structure le film, va logiquement
clore le récit. Osmund va bien devenir un chevalier, mais un
chevalier matériel, réduit à son épée, son cheval, sa mission
qu'il exécute aveuglément, avec un zèle froid. Non, en fait Osmund
n'est pas devenu un chevalier, il est devenu un soldat. Pas de Graal
dans Black Death, pas de lumière, pas d'aube après le crépuscule
d'Arthur, pas de renaissance ni de printemps pour les gents d'armes.
Christopher
Smith réussit, à partir d'un projet théorique assez convenu, et la
présence de tous les clichés attendus dans une histoire de chasse
aux sorcières, en choisissant d'incarner totalement son film (dans
l'espace naturel, dans le corps des acteurs) un film tendu de bout en
bout, traversé de visions fulgurantes (les flagellants traversant le
fleuve, les champs couverts de morts, la vierge de fer qu'on
entretient en sifflotant, le visage implorant des suppliciées, le
sang jaillissant des corps pendant les affrontements, comme dans une
peinture médiévale...) qu'on regarde le ventre noué, hagard devant
les errances de personnages tous en quête de quelque chose qu'ils ne
trouvent pas, tant il semble qu'ici bas, il n'y ai rien d'autre que
brume, horizons fermés, ombres insaisissables. Ni paradis ni enfer,
mais un purgatoire sans fin.
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