C'est
une résurrection en catimini que semble vivre le cinéma fantastique
anglais depuis quelques années. Pour le cinéfantasticophile (!)
attentif, des événements symboliques marquants, une production
régulière et l'apparition d'une poignée de talents attachants ont
redonné vie à une production exsangue il y a encore 15 ans, lorsque
Clive Barker, Philip Ridley , ou Bernard Rose disparaissaient du
paysage du cinéma de genre, tout comme John Boorman, qui fut
pourtant, on l'a presque oublié, un immense cinéaste fantastique.
Aujourd'hui,
Barker parvient tant bien que mal, à travers sa maison de production
Midnight
Picture Show, à mettre sur pied des Horror Movies dignes de ces
écrits. Chroniqué brillament ici-même par le cérébral Matthias, Dread (Terreur) se révéla un film
passionnant, authentiquement malsain, et parvenant à ramener les
thèmes habituels du genre (la solitude du monstre, la séduction du
péché, la volupté de la transgression...) sous une lumière
contemporaine (permanence du grand spectacle médiatique, disparition
de la sphère intime...). Philip Ridley, lui, est sorti de son silence de
presque 20 ans avec un film magnifique, Heartless, qui prend toute la
mesure, dans une première partie fascinante, d'un envers méconnu de
Londres, devenant sous sa caméra, littéralement, un antichambre de
l'enfer.
Un
geste caractérise certainement les cinéastes de la génération
suivante, et c'est probablement leur seul point commun c'est celui
d'un profond attachement, voire d'une déférence à l'égard du
cinéma de leur aînés. Symbole parfait, certainement, de cette
filiation vivante, la Hammer Films, arlésienne des ré-animations
attendues depuis des années, dont un nouvel avatar a produit
quelques films respectueux de l'histoire de la firme. Si des
cinéastes comme Watkins (auteur de La Dame en Noir, pour la nouvelle
Hammer, justement), Neil Marshall ou Michael J.Bassett partagent avec
certains de nos cinéastes nationaux une relation compliquée à
leurs fétiches, j'ai pour ma part une affection particulière pour
Christopher Smith, qui me semble se détacher du lot des cinéastes
« gardiens du temple ». On en jugera avec quelques beaux
films, parmi lesquels les prodigieux Black Death et Triangle, le
second dépassant de loin le cadre du film malin à principe fort-
une boucle temporelle répétée dont les personnages cherchent à
s'évader.
Smith, affranchi de ses modèles (La quatrième
dimension, les scénarios de Nigel Kneale, un fantastique teinté de
non-sense dont Doctor Who est la version institutionnelle), cinéaste
mûr, aboutit à un film à la mise en scène magistrale, qui ne
ploie jamais sous le poids pourtant démesuré de son scénario, et
parvient à être à la fois cérébral et incarné.
Triangle, incroyable récit de paradoxe temporel de l'anglais Christopher Smith. |
J'aimerais
pouvoir en dire autant du second film de Ben Weathley, Kill List.
Weathley partage avec Marshall ou Bassett une fascination évidente
pour un certain cinéma anglais des années 70. Avec Kill List, c'est
un hommage direct à un des fétiches du fantastique anglais qui est
entrepris, puisque le film est largement une relecture de Wicker Man.
Weathley
aime administrer des éléctro-chocs et conduire les trains fantômes.
En voilà un qui a tout pour être un ami de la famille. Sa démarche
rappelle beaucoup celle de notre Pascal Laugier : proposer des
films au déroulement imprévisible, changeant de registre, mais sans
virer à l'exercice de style désincarné, mais au contraire,
profiter des repères malmenés des spectateurs pour ouvrir le genre
sur une description empathique des êtres humains que la caméra
filme.
Au
départ de Kill List, une poignée de scènes inattendues, qui
décrivent sans détour le quotidien d'un vétéran de la guerre
d'Irak, suivant le schéma classique du soldat désormais inutile et
inadapté, dont la souffrance se manifeste par différents symptômes
selon les films, ici Jay a perdu tout sens des réalités matérielles
et dépense sans compter pour s'offrir des luxes inconsidérés,
alors qu'il est sans emploi depuis huit mois. Le financement d'un jacuzzi dans son jardin est l'objet de la dispute conjugale qui ouvre
le film.
Prenante,
la scène fonctionne, mais laisse rapidement transparaître la limite du cinéma de Weathley : tout est fait pour nous faire songer à
ces films sociaux misérabilistes auxquels on associe souvent le
cinéma anglais. En nous refilant un cliché à la place d'un autre,
en troquant les tics du cinéma d'horreur pour ceux du cinéma engagé british, Weathley, s'il rends ses personnages vivants, et intrigue
quand aux moyens qu'il va mettre en œuvre pour faire correspondre
son film au programme annoncé, fait aussi preuve d'une certaine
roublardise qui ne se démentira jamais par la suite, au contraire.
Pour
résoudre ses problèmes financiers, et se remettre à la verticale,
Jay va accepter, à l'invitation d'un de ses frères d'armes, de
devenir tueur à gages pour une mystérieuse organisation. L'intrigue
policière, grâce à quelques coupes narratives, et à l'infusion
d'éléments fantastiques discrets (personnages traçant des signes
cabalistiques, apparitions fantomatiques aperçues au loin etc...) se teinte
d'horreur et de fantastique, et Weathley aimerait beaucoup nous faire
perdre pied, et brouiller les frontières du réel tout comme se
brouillent les repères de son personnage principal.
Le
cinéaste prend alors le risque d'accumuler des indices qui ne font
qu'organiser crescendo un mystère dont on n'entrevoit que les contours, et dont on attend tout du long la mise en perspective brutale,
selon la règle du film à retournement, et qui lorsque c'est réussi,
provoque l'euphorie du spectateur, plus ou moins tenace selon la
profondeur de la mise en perspective, et l’intérêt donné
rétrospectivement à ce qui a précédé.
Mais
avec Kill List, on n'aboutit nulle part, la fin en forme de pirouette
n'ouvre aucune dimension supplémentaire, et finalement, Weathley n'a
rien à raconter.
Mais
il le fait plutôt bien, même si ses manières n'ont rien de fin.
Ce qui rendait Wicker Man si fascinant, c'était la production de son climat
angoissant avec un environnement solaire et pastoral, à travers des
personnages sympathiques, voire débonnaires comme son héros
policier provincial, et de provoquer l'horreur en convoquant des images
paradoxalement inédites, alors qu'elles réactivaient une imagerie
mythologique millénaire.
Dans
Kill List, Weathley créer l'angoisse par une bande-son faite de
grondements graves et de dissonances, qui peuvent aussi bien faire
rire que troubler, tant leur emploi est systématique. De même, le
montage, heurté, dérange d'une façon tout aussi mécanique, puisqu'il
s'agit de couper à peu près n'importe quand , pour insérer
éventuellement une image violente.
Comme
avec beaucoup de ces films qui cherchent à redonner vigueur à des
formules éculées du film de genre, la voie de la parodie et du
second degré étant interdite au cinéaste sincère, ne reste guère
que la solution maniériste.
Weathley
s'y adonne à cœur joie, mais son exercice de style manque de
personnalité, et il me semble que tout ce qu'il tente a été
mieux fait ces dernières années, ailleurs. Ti West avec un
déroulement similaire et une fin aussi décevante en regard des
attentes avait démontré plus d'adresse de metteur en scène dans
House of The Devil (il s'imposait un huis-clos et une caméra presque
fixe), Pascal Laugier en France se révèle, à travers ses scénarios
à tiroirs un cinéaste autrement plus préoccupés de poser un
regard sur le monde et sur ses personnages.
A
force de sembler uniquement préoccupé par son spectateur, Weathley
donne, lui, l'impression terrible, non pas de détester ses personnages
mais que ceux-ci lui sont indifférents.
Mais
si son film finit par ne rien raconter, à force de n'avoir pas de
point de vue sur ce qu'il montre, c'est aussi sa force. Pur exercice
de mise en scène, sa vision demeure un tour de train fantôme
suffisamment prenant pour que les sens demeurent en éveil, et que tant
qu'on n'est pas arrivé au bout, les méninges s'animent pour essayer
de saisir le tableau d'ensemble.
L'exploitation
de Kill List nous ramène au préambule de cette chronique. Si le
fantastique anglais est bien vivant, peu de spectateurs semblent au
courant. Entrées en salles minuscules (quand exploitation salle il
y a …), sorties directement en DVD, les cinéastes anglais ont bien
du mal à faire reconnaître leur nom. Neil Marshall, Christopher
Smith, Michael J. Bassett tournent pour la télévision. Comme pour
les scénaristes de bande-dessinées, la tentation de l'exil
hollywoodien est grande, d'autant qu'il s'agit souvent de la seule
solution pour espérer pérenniser un carrière. A l'instar du
fantastique espagnol, tout ce qu'on souhaite à ces cinéastes, c'est
d'obtenir un ou deux grands succès internationaux ouvrant à une
reconnaissance méritée d'un fantastique ne devant rien aux studios
outre-atlantique.
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