A propos de cinéastes
conteurs, pourquoi ne pas faire, tout simplement, une lecture littérale du terme,
et se pencher sur ce genre un peu particulier qu'est l'adaptation de
contes au cinéma ?
Le genre constitue avant même le succès
de Blanche-Neige (je pense au Barbe Bleue de Painlevé 5 ans avant ou
Les aventures du Prince Ahmed, près 10 ans plus tôt) une source
d'inspiration majeure pour le cinéma d'animation, et continue de
l'être, il s'est développé d'une façon bien plus tortueuse dans
le cinéma traditionnel.
Si en France, l'histoire
du cinéma fantastique, et du rapport qu'entretient avec lui le
public national est compliquée, un des chef d’œuvre entré depuis
longtemps dans notre catalogue patrimonial est un conte filmé. La
Belle et la Bête, de Jean Cocteau est indiscutablement- et
heureusement- un film fondateur du fantastique tel qu'il est possible
d'en faire en France. Le film- qui est à mes yeux un des plus beaux
qui soient- a frappé régulièrement les imaginations et continue
d'être vu et admiré, ce qui lui a offert de rayonner fortement
(jusqu'au Dracula de Coppola ou aux films de Tarsem Singh … ) mais
aussi d'engendrer quelques héritiers directs, parmi les plus récents
et les plus connus du public, évidemment le Petit Poucet d'Olivier
Dahan (mais aussi celui de Michel Boisrond trente ans plus tôt).
Jacques Demy est un
cinéaste bien différent de Cocteau, évidemment, mais ses deux
contes filmés se placent aussi dans une certaine filiation formelle
avec La belle et la bête. La seule présence de Jean Marais au
générique de Peau d'âne incarne le symbole d'une certaine idée de
la féérie filmée telle que le poète l'a imaginée.
C'est sans doute dans le
rejet du réalisme que Demy et Cocteau se rejoignent le plus. Plus
discrètement chez Demy, il s'agit tout de même pour les deux hommes
d'adopter une approche libre des contraintes du respect scolaire de
l'histoire (les contes adaptés sont tous Moyen-âgeux) qui laisse
libre court à l'imagination, comme on laisse son crayon vagabonder
sur la feuille sans commencer par poser des point de fuite.
Dans le joueur de flûte,
cette liberté plastique se traduit dans les décors par la présence
de nombreuses peintures, qu'il s'agisse des peintures murales qu'on
retrouve un peu partout dans les intérieurs, parfois décoratives
mais souvent figuratives, ou des grands panneaux servants de fond de
scène à la troupe de comédiens itinérants. Les costumiers ont
visiblement été encouragé à privilégier la force graphique
dégagée par les silhouettes exagérées par des bonnets, coiffes ou
capes démesurées. Il faut voir le groupe de catholiques vêtus de
rouge-sang et appuyés sur d'interminables épées à deux mains.
Cocteau n'avait pas eu à
penser en couleurs, Demy lui, profite de sa palette étendue, et
malgré la contrainte du tournage en décors naturels ne rabat pas
beaucoup ses couleurs saturées et ses contrastes parfois proche du
choc de primaires, quand le manteau bleu du juif claque sur l'habit
rouge du chrétien.
Au bout du compte, sans
chercher la reconstitution, Demy produit une image du Moyen-âge
sinon juste, du moins parfaitement raccord avec ce que nous en
fantasmons en regardant les peintures de Bosch, en essayant
d'imaginer la statuaire peinte (souvenons-nous qu'elle l'était),
surtout en songeant à la violence de la vie quotidienne que nous
associons à la période.
C'est ce qui tend le plus
fort le film : la brutalité des rapports sociaux, surtout, la
puissance des conflits théologiques et philosophiques broyant les
individus dont la plupart ignorent la portée sur leur vie. C'est par
l'illustration de ces tensions régissant la société médiévale
que Demy parvient à étoffer le récit- très ramassé- de la
legende originelle, et palie à la disponibilité réduite de la star
du projet, le chanteur Donovan, en développant beaucoup de second
rôles. On n'évite pas le catalogue de personnages n'existant que
pour incarner une fonction, une éthnie, ou un classe sociale.
Avouons que cet écriture un peu moralisante fournit des personnages
peu incarnés, que la mise-en-scène n'aide pas à nuancier.
Très peu de gros plans
dans Le joueur de flûte, beaucoup de plans d'ensembles en
plan-séquence, parfois assez sophistiqués, Demy sait comment
composer un cadre, et selon son chef opérateur, il le faisait
d'ailleurs souvent lui-même. L'abondance de plan séquence ne doit
pas faire croire à un film spectaculaire et gargantuesque cherchant
le morceau de bravoure permanent. Au contraire, Le joueur de flûte
est un film presque esquissé (même si c'est à la craie grasse
plutôt qu'à la plume...), la présence de Donovan qui compose
quelques belles chansons folk, ne donne lieu à aucune grande
séquence chantée lyrique- comme on pourrait l'attendre de l'homme
qui fit pleurer des parapluies- et les passages obligé attendus (la
procession des enfants, puis des rats ) ne se traduisent pas par des
scènes particulièrement grandioses ou plus amples que les autres.
Nous ne verrons par exemple jamais la réactions des villageois à la
disparition de leurs enfants...
Mais Demy- et c'est ce qui fait du film un conte filmé- sait aussi trouver l'image à la fois fascinante et remplie de sens qui formalise son propos, comme lorsque la séquence du mariage culmine par l'irruption d'une meute de rat jaillissant des profondeurs d'un gâteau en forme de cathédrale ! Martin Scorcese se souviendra-t-il de ces plans lorsqu'il concluera The Departed ?
The Departed, de Martin Scorcese, hommage au Joueur de flute ? |
La mise-en-scène de Demy
ne s'équilibre pas avec un montage qui permettrait de donner du
rythme au récit, et l’enchaînement très régulier des saynètes,
illustrant un scénario extrêmement linéaire correspond peut-être
à une traduction cinématographique des particularités littéraires
du conte (pas de descriptions, pas de psychologie, des dialogues
réduits à l'indispensable ) mais produisent un film sans tension,
qui, s'il est incontestablement pensé pour le grand écran, a
quelque chose de très théatral.
Néanmoins, on appréciera
la morale du film de Demy : Débarrassons-nous des
obscurantismes et suivons les artistes. On appréciera aussi la
vision du Moyen-âge, fine, érudite, que suggère Demy, à des lieues
du stuc Hollywoodien. D'ailleurs, ces derniers jours je me demandais,
lorsque mon esprit vagabondait, si les cinéastes américains-
pourtant grand pourvoyeurs de fictions médiévales- n'étaient pas
profondément incapables de comprendre et de filmer cette époque ?
Ceci est une autre
histoire, que nous poursuivrons peut-être la semaine prochaine, par
l'évocation d'un film de Christopher Smith, se passant précisément
à la même époque que celle du Joueur de flûte, et qui en reprend,
sur un tout autre de mode, la plupart des préoccupations. Mais le
film de Smith n'est pas un conte de fées. Loin de là.
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