mercredi 5 décembre 2012

60 - Renaissance, Christian Volckman, France – Royaume-Uni -Luxembourg, 2006


Le cinéma de genre, et dans celui – élargi – qui nous intéresse, reste en France relativement marginal. Question d’histoire et de culture : le cinéma, s’il est en France, l’indéniable 7ème art issu de la politique des auteurs et qui possède ses chapelles critiques, ses communautés de fidèles et ses espaces consacrés – les fameux cinémas labellisés « art et essai » - n’en demeure pas moins, par ailleurs, un objet de consommation courante à la destination télévisuelle inscrite dans ses modes de production même. Ce cinéma industriel français, s’il n’a évidemment pas la force de frappe financière et marketing du cinéma « mainstream » hollywoodien, fonctionne tout de même sur les mêmes codes et les mêmes enjeux : un public-cible le plus large possible, un « produit » susceptible de remplir les attentes dudit public, des coûts de production qui sont sans commune mesure avec l’objet produit, mais corrélés à l’exploitation financière que l’on suppose pouvoir tirer de ce produit, un matraquage publicitaire dont l’un des vecteurs principaux reste la télévision. 





Ainsi ce cinéma pourrait se dire « d’exploitation » : ce cinéma français « grand public » a une histoire très longue dans notre pays, et qui se caractérise quasi-exclusivement par un genre unique, décliné à toutes les sauces : la comédie à vocation plus ou moins familiale, mais qui tout au moins doit pouvoir connaître une exploitation télévisuelle en première partie de soirée – sans quoi, les financements importants que nécessite ce type de produit ne peuvent se constituer. Car il existe une différence notable entre cette manière de faire du cinéma, et celle que l’on appelle plus traditionnellement « d’exploitation », puisque ce terme consacré a lui aussi une histoire, c’est bien l’argent. Le cinéma d’exploitation tel qu’il a pu exister en Europe, au Japon et aux Etats-Unis durant plusieurs décennies, au contraire de ce cinéma à vocation télévisuelle construit notamment sur la notoriété de l’un ou l’autre de ses protagonistes, est resté un cinéma pauvre, à la marge – profitant même de cette marge – d’un cinéma industriel qui seul peut se permettre de gagner de l’argent. Si ce cinéma du dimanche soir de télévision est une industrie, alors il est probable que le cinéma d’exploitation, le vrai, n’a jamais pu dépasser le seuil de la PME, quand il fonctionnait sur des schémas économiques comparables – un cinéma de la demande, notamment en fonction des derniers succès du cinéma industriel, beaucoup plus que de l’offre, comme le fait le cinéma dit d’auteur.

Très probablement la disparition de ce cinéma « intermédiaire » fut-il la conséquence de la généralisation et de la diversification de la télévision puis de l’apparition de nouveaux média, comme l’internet, tout autant que de l’élévation des standards cinématographiques depuis les années 80. Le genre, nous l’avons déjà dit en évoquant les golden boys de l’année 1982 qui se le sont appropriés, s’est trouvé dépossédé durant cette histoire de l’espace qui était le sien, cette marge dans laquelle pouvait continuer de se fabriquer à faible coût et dans des exigences de rentabilité modeste, des formes la plupart du temps éculées et parfois novatrices. En France, si ce cinéma a bien du mal à trouver sa place entre une production « soutenue » du type « art et essai » et les grosses machines familiales qui ont pour vocation à remplir les salles afin notamment de fournir le financement du soutien au cinéma d’auteur, il n’empêche qu’il n’est pas inexistant mais se trouve assigné à une marge dont la rentabilité reste plus qu’incertaine. Et au sein même de ce cinéma, le genre du fantastique ou de la science-fiction, peut-être par un complexe tout européen à l’égard une fois encore de la puissance américaine dans ce domaine désormais complètement mainstream, est marginalisé encore un peu plus – tant il est vrai qu’éventuellement c’est encore le « polar » qui trouve grâce aux yeux d’un public encore intéressé par ces zones éloignées des formats habituels.

Toutefois, nous devons bien reconnaître que quelques aventuriers tentent de reprendre le flambeau d’un cinéma qui fut il y a bien longtemps désormais d’une inventivité que l’on se surprendrait à trouver dans un produit hollywoodien fait pour le monde entier ou encore français fait pour Canal+ et TF1 – et donc fait pour la France entière... Il faut bien l’admettre, le genre qui nous intéresse et ses déclinaisons ne sont pas faites pour tout le monde, et ne le seront jamais. Il est probable aussi que ce genre reste aimé pour de mauvaises raisons, mais ce n’est toutefois pas un vrai problème quand il nous offre des images que l’on ne peut trouver ailleurs – et qui nous changent de ce perpétuel appétit de « rigoler ». Les œuvres réussies ne sont certes pas si nombreuses, mais s’il demeure un médium dans lequel on parvient régulièrement à en trouver, et par là à se souvenir que, oui, la France n’est pas substantiellement fâchée avec le fantastique et la science-fiction, c’est bien dans l’animation. Renaissance fait partie de ces « surprises » un peu miraculeuses. Ce n’est ni un chef d’œuvre, ni un échec – il y en a…- c’est un authentique film de genre, dont l’ambition plastique nous rappelle que celui-ci est décidément la coupe dans laquelle l’on peut venir s’abreuver de formes inédites. Parce que Renaissance en obtint le Grand Prix en 2006, je me permets d’évoquer ici brièvement le Festival international d’animation d’Annecy, probablement l’une des vitrines les plus importantes de ces formes à découvrir, et dont le délégué général n’est autre que Serge Bromberg, éminent « archéologue » de tous les cinémas, et personnalité atypique sinon marginale du cinéma français.

Dès son générique d’introduction, Renaissance nous plonge dans la grammaire qui va être la sienne durant 1h40. Du noir, du blanc, et rien d’autre. Les lettres noires tournoient sur un fond blanc, elles évoluent comme envoûtées par la musique de Nicholas Dodd, compositeur anglais habitué du genre. Ce premier choix d’une musique symphonique pour accompagner l’histoire qui va nous être racontée et qui se déroule dans un Paris « rétro-cyber-punk » est le premier marqueur du film. 

Non, Christian Volckman n’est pas là pour se soumettre à tout ce qui pourrait être attendu d’une telle histoire – à la différence des productions Besson, dont il faudrait évoquer le pouvoir de nuisance tout de même sur le genre en France (ce qu’il produit à l’étranger, c’est autre chose…) – point de musique de « jeunes » sur cette ouverture longue, lente, et envoûtante pour qui veut bien se donner d’en apprécier la beauté plastique. Renaissance, s’il est un film qui peut s’adresser à de jeunes spectateurs, n’a pas vocation à leur être réservé. L’animation n’est pas qu’affaire d’enfants, et le graphisme tout de noir et blanc sans nuance aucune, est suffisamment difficile à « décoder » ou plutôt à apprivoiser pour même être accessible à des jeunes gens dont les codes seraient trop affirmés.

C’est que si la technique utilisée pour le « tournage » de ce film fut celle du « motion-capture » à laquelle nous sommes habitués depuis les tribulations jacksoniennes du Gollum du Seigneur des Anneaux, le rendu de ces mouvements ne vise en aucun cas le naturalisme. Les personnages ne nous apparaissent qu’en de très francs clairs-obscurs dont la « lecture » n’est pas si évidente durant le premier quart d’heure du film, d’autant que la technique de motion-capture rend leurs mouvements extrêmement fluides et donc plus difficiles encore à « suivre » littéralement quand la lumière qui leur est imprimée ne supporte aucune nuance. Mais toutefois, dès lors que l’œil parvient à s’habituer à ce procédé et donc à « lire » les formes représentées, l’univers plastique du film s’en trouve très renforcé. Ce Paris de 2054 nous apparaît à la fois comme le Paris éternel du XIXème siècle, celui de ces débuts de la science-fiction littéraire et picturale, et dans le même temps, comme un univers à la modernité oppressante qui n’a rien à envier aux descriptions futuriste d’un Los Angeles par exemple en ouverture de Blade Runner.

D’ailleurs, cette première image qui nous présente un immense panneau publicitaire animé et « parlant » au sommet d’un bâtiment haussmannien rehaussé d’une façon « futuriste », ne peut que renvoyer à la première image de Blade Runner qui ouvrait son propos par un long plan séquence sur un Los Angeles à la fois aisément reconnaissable et pourtant « embarrassé » d’une imagerie de science-fiction tout droit sortie du Metropolis de Lang. C’est un peu ce même geste, d’hommage, que semble nous adresse Volckman dans l’ouverture de ce Renaissance dont la technique plastique renvoie à toute leur lâcheté les producteurs de l’adaptation pour l’écran de œuvres graphiques d’un Frank Milller, que ce soit l’anecdotique Sin City, ou l’imbécile 300




Cette partition de toute image en deux teintes, le noir profond ou le blanc éclatant, en termes de cinéma l’on pourrait dire, en obscurité ou en lumière, opère comme un retour aux sources du genre. Le Fantastique – ici décliné dans une forme d’anticipation – s’est toujours intéressé à la limite, au sens de séparation, entre différents concepts, et d’abord à la limite entre le monde des morts et le monde des vivants - mais l’on pourrait aussi évoquer la limite entre le Bien et le Mal. D’une certaine façon, depuis le Frankenstein de Mary Shelley, l’interrogation sur la maîtrise de cette limite est l’essence même du genre. C’est pourquoi aussi me semble-t-il le manichéisme trouve plus difficilement sa place dans ce genre par rapport à d’autres. Ce jeu permanent dans Renaissance du noir et du blanc, de la lumière et de l’obscurité, nous permet de relayer le propos narratif au propos plastique – même simplement. Et ce n’est pas la moindre des réussites que de parvenir à nous proposer un film noir, qui l’est littéralement. 

Bien entendu, Barthélémy Karas, les sœurs Tasuiev, Jonas Muller ou Nusrat Farfella sont des personnages « typés », typiques du genre : le détective fatiguée, la femme fatale, le savant fou, le trafiquant notoire, etc. Mais sur aucun de ces personnages n’est finalement posé un regard moral. Tous sont sinon complexes, du moins ambigus et fascinants – à l’exception peut-être de l’entrepreneur autocrate, décidément véritable figure du mal dans ce monde – le nôtre…- où il est pourtant tout puissant… A ce titre, les hommes de ce sinistre personnage sont les seuls à ne pas refléter la lumière : ils ne sont ni blancs, ni noirs, ils sont invisibles, ou plutôt transparents - motif dont le film semble dire tout le mal qu’il en pense par ailleurs : le bureau du magnat de l’industrie de la jeunesse est intégralement transparent et semble suspendu dans le vide. Cette transparence, cette absence de réflection de la lumière, c’est à n’en pas douter dans l’œil de Volckman l’image même – si l’on peut dire – de la tyrannie.

Que nous raconte Renaissance ? Un inspecteur de police, Barthélémy Karas, aux méthodes forcément musclées, enquête sur la disparition d’une jeune scientifique, Ilona Tasuiev, impliquée dans des recherches sur la progéria, maladie dégénérative de l’enfance, le fameux syndrome du vieillissement précoce, pour le compte d’Avalon, géant industriel du cosmétique parapharmaceutique et partant, de l’illusion de l’éternelle jeunesse. Il apparaitra qu’en dépit des apparences, Avalon n’est pas derrière cette disparition, bien au contraire : Judas Muller, scientifique « retiré » de la recherche depuis la mort de son frère Claus du fait de la progeria, a enlevé Ilona afin de l’empêcher de livrer les secrets de l’immortalité qu’il avait lui-même découverte peu de temps avant la « mort » de son frère - mort toute administrative seulement, le jeune Claus ayant servi de cobaye à son frère, est devenu le premier être humain à bénéficier de cette immortalité qu’Avalon cherche à transformer en commerce. Ilona n’acceptera pas de répondre à l’injonction de Muller, et refusera de détruire son propre travail scientifique, comme Muller l’avait fait avant elle, afin de protéger la fameuse limite entre le monde des morts et le monde des vivants. Karas, tandis qu’il fuit les sbires d’Avalon et tente une dernière fois de convaincre Ilona de renoncer à son projet appelé Renaissance, abattra finalement la jeune scientifique, en dépit de la promesse faite à sa sœur, Bislane, dont il est tombé amoureux. 

A la fin tout est en ordre : le monde n’échappera pas à sa bénéfique malédiction, la mort après la vie, mais cette sauvegarde de l’ordre des choses aura coûté la vie à tous ceux qui se sont mêlés de dépasser les limites… Seul survivra à cette aventure le « jeune » Claus, désormais ravalé au rang de clochard parmi les clochards.

Ce jeune garçon au visage de vieillard, à la fois clé de l’intrigue et intrusion d’une forme plastique étrange dans cette univers où tout semble lisse, nous renvoie à l’autre grande référence de ce film, le classique de l’animation japonaise Akira. L’un des personnages de Renaissance, le docteur Nakata, vieux japonais ayant assisté Muller lors de ses travaux sur la progéria, nous renvoie à des scènes presque équivalentes du film d’Ôtomo. La parenté, sinon l’hommage, entre les deux films est assez forte, et il est à ce titre intéressant de se dire que la tradition de cinéma dans laquelle s’inscrit Volckman n’est pas strictement la tradition anglo-saxonne. 



 
Certes, le flic detective, le scientifique égaré, les poursuites en voiture sur les railways parisiennes, tout cela renvoie à un certain cinéma noir américain. Mais le cœur du film lorgne beaucoup plus me semble-t-il, et dans sa propre tradition plastique nous l’avons dit, du côté de l’anime japonais. Le souci porté à la scénographie de science-fiction, subtile et néanmoins omniprésente, mais qui ne prend jamais le pas sur ce qui constitue le cœur du caractère fantastique de l’œuvre, le mutant littéralement, celui dont les gènes ne fonctionnent pas comme les nôtres, le monstre pourrait-on dire, mais non le monstre simplement bestial ou fantastique, mais d’abord et avant tout différent, voilà qui nous renvoie à une tradition qui est aussi celle du Japon en science-fiction – et notamment à celle d’Akira. Ces enfants monstrueux et qui n’en demeurent pas moins des enfants, mais dont la difformité les conduits à l’exclusion et à l’isolement, le portrait de cette fragilité, de cette faiblesse, c’est probablement ce que Volckman parvient le plus personnellement à toucher. 

Les apparitions de Claus n’appartiennent plus au genre. Elles sont d’abord angoissantes, puis très vite pathétiques, mais jamais ridicules. Cette capacité à transmettre au spectateur une situation par la seule forme plastique dont tout pourrait laisser croire que cela va relever du monstrueux jusqu’à l’horreur ou à la farce, et parvenir, en bannissant absolument tout second degré dans ce que l’on montre, à simplement toucher le spectateur, voilà qui n’est décidément par si évident – et que Renaissance, parce qu’il est un film qui croit à la puissance des images, parvient à faire d’une manière qu’il est très rare de trouver jusque dans le cinéma la plus mainstream.

Ce film, sous des atours de polar de science-fiction, finit par atteindre une forme d’élégance proprement tragique : alors que Dellenbach, le patron sans scrupule d’Avalon, n’a pour seul décoration dans son bureau céleste et transparent que la célèbre peinture de John Everett Millais de la mort d’Ophélie lorsqu’elle s’enfonce dans l’eau, Karas assiste à la même « image » lors de la mort d’Ilona. La fin du récit, à l’image de ces lumières changeantes, si elle résout l’intrigue, ne le fait finalement que par la tragédie : la beauté réside dans la mort, non d’une manière nihiliste, mais parce qu’à l’instar de Muller au moment de se suicider, l’on peut regarder le monde qui nous entoure et se dire : « mon dieu, que la vie est belle. » Parvenir à nous émouvoir avec une telle scène, à la contradiction si forte, et sans arrière-pensée aucune, voilà qui demande du talent. 




Le fait que le mensonge final du héros soit le seul moyen de sauver la morale à la fin du film, nous raconte également que ce « petit » film de genre, s’il est resté finalement relativement confidentiel, mérite une vision attentive qui rende justice à l’ambition qui est la sienne – et qui peut dont être celle du genre quand il s’en donne la peine, et qu’on lui en donne les moyens...

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