Traqué
par les hommes de loi et leurs bêtes, le noir justicier de Gotham
City roulait à tombeaux ouverts, à travers une aube toute
nouvelle, vers des jours dont, en théorie, il n'y aurait rien à
dire : au terme de The Dark Knight, le Joker avait bel et bien
gagné: qu'importe s'il n'avait pu démontrer la corruption profonde
des citoyens de Gotham, il était parvenu a faire goûter à
l'immaculé procureur Harvey Dent la joie nihiliste de la souillure,
et il avait pour elle de telles prédispositions qu'une simple
pichenette avait suffit.
Et surtout, par un pacte le liant au commissaire Gordon, travestissant la vérité sur la nature révélée de Dent, Batman achève l'aventure sur un ultime constat d'impuissance : son armure est vide et tout juste bonne, farcie d'un mensonge, à être agitée telle un épouvantail rappelant les vertus de la loi. Car, aux yeux du peuple, Batman, parce qu'il a voulu faire de la justice l'instrument d'une volonté individuelle, et par là même, faillible, a fini par tuer le procureur Harvey Dent, symbole, lui, d'une justice impartiale, car rendue au nom de tous. Et pour que cette certitude, celle d'avoir choisi pour eux et parmi eux l'incarnation d'une volonté de justice courageuse survive, l'homme-chauve souris doit continuer à incarner aux yeux du peuple de Gotham la folie d'une force qui confond justice et jugement par un individu. En faisant de sa chair la cicatrice de Dent, le chevalier noir se condamne à la porter pour toujours, car révéler la vérité reviendrait, en se disculpant, à mettre à jour la faillite du procureur. Car le mal doit toujours être quelque part, et l'un innocent, l'autre ne peut qu'être coupable.
Et surtout, par un pacte le liant au commissaire Gordon, travestissant la vérité sur la nature révélée de Dent, Batman achève l'aventure sur un ultime constat d'impuissance : son armure est vide et tout juste bonne, farcie d'un mensonge, à être agitée telle un épouvantail rappelant les vertus de la loi. Car, aux yeux du peuple, Batman, parce qu'il a voulu faire de la justice l'instrument d'une volonté individuelle, et par là même, faillible, a fini par tuer le procureur Harvey Dent, symbole, lui, d'une justice impartiale, car rendue au nom de tous. Et pour que cette certitude, celle d'avoir choisi pour eux et parmi eux l'incarnation d'une volonté de justice courageuse survive, l'homme-chauve souris doit continuer à incarner aux yeux du peuple de Gotham la folie d'une force qui confond justice et jugement par un individu. En faisant de sa chair la cicatrice de Dent, le chevalier noir se condamne à la porter pour toujours, car révéler la vérité reviendrait, en se disculpant, à mettre à jour la faillite du procureur. Car le mal doit toujours être quelque part, et l'un innocent, l'autre ne peut qu'être coupable.
Bien
qu'il déclare lorsqu'on l'interroge qu'il se sent pourvu d'une
liberté créative totale, digne des écrivains les plus insoumis, on
ne peut qu'ironiser lorsque ce formidable pouvoir aboutit à l'ajout
d'un chapitre au diptyque parfait Batman Begins/ The Dark Knight.
D'autant plus que, lorsque tombe le générique de ce dernier, il est
évident que tout a été dit.
Et,
passé l'ouverture de ce troisième volet, qui rejoue exactement
celle du film précédent, le cinéaste met en scène son absence
d'objet : reclus dans son Manoir, qui est curieusement,
l'endroit choisi pour célébrer la pérennité de l'influence de
Dent sur les institutions, Bruce Wayne se morfond et attend que plus
rien ne se passe. Et plus le film avance, plus le récit tente de se
gonfler de lui-même, et plus on constate à quel point Christopher
Nolan a beaucoup à raconter et plus rien à dire.
Bane,
le super-vilain, incarne à la perfection le projet du film.
Hyper-puissance dont la force n'est jamais contestée le monstre se
révèle, finalement n'être que l'expression du désir d'un autre
personnage. Exactement comme son adversaire, Batman, dont la volonté
se dissout dans les nécessités du pacte le liant à Gordon. Bien
plus que le contraire de l'homme chauve-souris, Bane est son double,
identique. Il partageront d'ailleurs le même désir, pour la même
femme. Il ont aussi reçu leur vision du monde du même mentor, Ra's
al Ghul, dont ils se sont tous deux détachés pour affirmer une
croisade personnelle, aussi légitime pour l'un que pour l'autre. Et
ce n'est certainement pas l'idée que Gotham est une cité corrompue
qui doit être expurgée de son mal qui les sépare.
A
l'instar de Batman, Bane est représenté comme une force dynamique,
une âme ayant plié un corps à l'exécution d'une mission, d'un
programme : donc, malgré la réputation du cinéaste,
n'attendre aucune surprise d'un film dont la seule aspérité
formelle est de baliser son récit de pistes à priori excitantes,
pour toujours les abandonner au profit du choix le plus attendu.
Alors qu'on découvre, logiquement, qu'au début du film, Batman est
une figure du passé de Gotham, et que l'homme qui l'incarnait ne
semble plus posséder la moindre volonté de vivre, Nolan, plutôt
que de passer à l'acte en éliminant Bruce Wayne du récit, et de
prendre acte dans son projet formel du vide ainsi laissé, préfère
d'abord combler son impuissance volontaire en s'attachant à des
personnages au fond sans intérêt -la croqueuse de diamants Selina
Kyle, (Anne Hataway) le jeune policier idéaliste John Blake (Joseph
Gordon-Levitt), l'officier cynique Foley (Matthew Modine), puis en
réactivant forcément Batman/Bruce Wayne lorsque Bane arrive à
Gotham.
De
la volonté de Gordon d'avouer la vérité au sujet des événements
du film précédent, de l'enquête voulue par le commissaire au sujet
des activités suspectes dans les souterrains de Gotham, du départ
d'Alfred, de la révélation à plusieurs personnages de l'identité
secrète de Batman, il n'est fait aucun profit thématique, Nolan,
écartant toutes les possibilités de renouvellement théorique de
son film : alors que dans le précédent, chaque nouvelle
intrigue provoquait l'escalade d'un récit s'emballant lui-même
jusqu'au vertige, c'est ici le mouvement contraire qui est produit :
chaque embranchement de l'intrigue doit être coupé par Nolan, pour
toujours nous ramener à Batman / Bane (même leurs noms se
ressemblent !) jusqu'à ce que l'affrontement espéré par les
personnages autant que par les spectateurs finit par se produire.
Lorsque
le Joker dresse sa silhouette dégingandée face à Batman sur la
route, ce n'est pas tant pour se mettre en son travers, que pour le
faire aller, littéralement, de travers. En lui affirmant son désir
(Fais-le, je n'attends que ça!), le clown met le doigt dessus :
Batman, incapable de satisfaire le Joker, doit dévier de la route,
et laisser apparaître l'évidence : il est, au fond, une figure
de l'impuissance.
C'est
exactement le contraire qui se produit dans le mano-a-mano
contre (tout contre)
Bane. Le Joker demandait à
Batman d'accomplir son désir, Bane lui, est là pour accomplir le
désir de Batman- il le dit d'ailleurs littéralement. Le scénario
prend acte de l'union des personnages, puisque après leur premier
affrontement, Batman est mis à la place de Bane et va revivre,à
l'identique, l'histoire de ce dernier. Le Joker, lui, n'avait aucun
récit des origines. Batman, cette fois, partage doublement celles
du méchant.
Ambiguïté
relayée par la musique : le thème associé au super-vilain se
révèle aussi être le chant de liberté encourageant les
prisonniers d'un puit infernal à s'évader, et c'est le chant
triomphal accompagnant le retour à la lumière d'un Batman
Reborn.
Mais
ce n'est qu'une ambiguïté de surface, le film substituant à
l'inconfortable mélange des contraires du chapitre précédent un
manichéisme rassurant, qui culmine avec une illustration littérale :
des policiers en rang, tels une légion de centurions romains,
chargent au pas de course une masse indistincte de criminels et
d'émeutiers, nouveaux barbares à l'assaut d'une Gotham City plus
que jamais comparée à la capitale de l'antique empire. L'image
redouble d'ailleurs, à une plus grande échelle, l'affrontement
frontal de Bane et Batman,et tout le film procède de ce redoublement
de dispositif déjà vu avant. Dans le volet précédent, The Dark
Knight, dont, en surface, ce Dark Knight Rises est un décalque :
une force extérieur émerge, décidée à mettre à jour la
véritable nature de ces citoyens, qui, une fois soulevée le
couvercle de la civilisation, choisirait forcément l'interêt de soi
contre l'interêt de tous,avec pour seule loi celle de la jungle.
Pour cela, Gotham est isolée par le Joker comme par Bane, pour
devenir un archipel isolé, terrain d'expérimentation pour une force
de déstabilisation. Mais c'est aussi son propre récit que The Dark
Knight Rises répète : l'invalidité de Bruce Wayne, le retour
de Batman, rejoués deux fois, comme si Nolan cherchait à se prouver
à lui même qu'il n'y a rien d'autre à raconter. Cette asphyxie
narrative, qui prend la forme paradoxale d'un trop plein de récits
ni réellement connectés, ni signifiants, donne pourtant au film son
étrange beauté.
D'abord,
parce que pour erratiques, incohérentes ou sans objet que soient les
histoires de chacun des personnages, leur spectacle produit le même
plaisir que celui qu'on peut avoir à suivre les aventures de héros
de papier, les regarder éprouver des sentiments, obéir à des
pulsions, et c'est d'autant plus grisant ici que tous les comédiens
(excepté Marion Cottillard) font corps avec leur personnages.
Débarrassé de ses véleités théoriques, Christopher Nolan, nous
procure ici un pur plaisir feuilletonesque, celui de revoir des
personnages beaux comme des silhouettes de comic-book.
Quoi
qu'il en dise, le cinéaste a certainement fini par aboutir, au bout
de presque 5 heures de films, si on considère bout à bout Batman
Begins et The Dark Knight, à une adaptation naive et émue d'une
bande-dessinée américaine. Une forme de retour au point de départ,
qui au fond ne manque ni de charme ni de modestie. The dark knight
rises est un formidable recueil d'images, un comics où les plans
sont substitués aux cases, qui dégage une énergie formidable, un
vitalité conquérante, et charie tout du long des images belles,
parfois étranges, souvent marquantes. L'univers plastique de
Nolan est souvent qualifié de réaliste, simplement parce qu'il ne
relève d'une baroque aussi débridé que chez Burton ou Raimi. Mais
il n'y a rien de réaliste chez Nolan : Gotham City est une
ville-monde résumant toutes les mégapoles, et l'histoire qui nous
est racontée a tout du conte de fée. La dernière partie du film,
l'étrange siège d'une Gotham à la merci de Bane en est l'exemple
le plus révélateur : les repères géographiques et temporels
sont complètement brouillés, et Nolan et bien plus intéressé par
une représentation poétique du chaos que par un quelconque
réalisme. On pourra d'ailleurs mesurer l'ampleur de son geste à la
quantité de commentaires jugeant que non, vraiment, des policiers ne
peuvent pas sortir si propres d'un séjour de plusieurs mois dans les
souterrains de Gotham. Et ce n'est pas la moindre des entorses à son
prétendu « réalisme » que Nolan pratique joyeusement
ici. Outre qu'il y a toujours quelque chose de comique à voir le
qualificatif attribué aux aventures d'un illuminé se déguisant en
chauve-souris pour se bagarrer avec des dealers et des aliénés, il
est réjouissant de voir Nolan malmener son scénario dans le seul
but de trouver de quoi faire des images.
De
bout en bout, le souffle qui soulève The dark knight rises m'a
éléctrisé. Peu de cinéastes parviennent à créer de toute pièce
la tension, l'excitation, la curiosité que suscite les derniers
films de Nolan dès leur première scène, souvent intriguante- et
l'ouverture est ici extraordinaire : une transfusion sanguine
dans un avion à demi coupé, remorqué par un autre. Pour qui ?
Pourquoi ?... Ce sens très musical du récit est très sûr
chez Christopher Nolan, qui sait provoquer un crescendo, déployer
une grande séquence de traque, organiser un morceau de bravoure avec
un plaisir et une sophistication proche de ce qu'on peut voir chez un
cinéaste comme Brian De Palma.
Ces
images donc, peut-être faciles, mais dont on se souviendra
longtemps : Les traders ficelés sur le dos des motards du gang
de Bane, cette prison en forme de spirale, le manoir Wayne comme un
mausolée pour un chatelain pourtant encore vivant, les rues
silencieuses et enneigées de Gotham City, ou roulent au pas
d’énormes batmobiles militarisées, le tribunal populaire planté
au sommet d'une immense montagne de livres déchirés, où trône le
dément Dr Crane, Selina Kyle, femme chat chevauchant couchée sa
moto sur le fond rose d'une aube hésitante, Robin, enfin, s'élevant
vers une Batcave réduite à une géométrique cathédrale de
verre... Il ne suffit pas d'un énorme budget, quoi qu'on en pense,
pour réussir des images aussi fortes, à la croisée de genres et
d'esthétiques. Il faudrait dire un mot, par exemple, du travail
vocal remarquable de tous les acteurs, du ton faussé très
particulier-et envoutant- de Bane, au passage du murmure au
grognement, sans demi mesure de Batman.
Peut
importe, au fond ce que semble vouloir nous dire Nolan, nous n'avons
qu'à regarder ce que ces images nous racontent. La force
mythologique de ces grands récits héroïques ou tragiques qui
fascinent encore les imprègne. Les conteurs se passent le conte, et
n'en finissent plus, depuis le début peut-être, de nous raconter la
même chose. Mais avec les meilleurs d'entre-eux, ou ceux que nous
avons le plus de plaisir à écouter, c'est toujours un peu la
première fois. Qu'importe si Arthur se nomme Bruce
Wayne, Lancelot Harvey Dent, ou Mordred Bane, l'impossible beauté de
leurs vertus, et la triviale réalité de leurs failles nous dit
toujours quelque chose, finalement, de nous même.
Un autre duel légendaire de Batman: contre le chef du gang des mutants,
dans The dark knight returns de Frank Miller, ici pauvrement adapté en animation.
Tout à fait d'accord avec l'affirmation insensée que Nolan est réaliste. Alors qu'il est fantasmatique et/ou de l'ordre de la fantaisie mixant diverses périodes du Batman du comics. Je ne sais pas si j'ai aimé ce film, mais je l'ai dévoré et il m'a pas mal happé. Les questions sont venues après, les sous-textes républicains, propagande ou description désabusée, blablas sans importance. Tom Hardy dans Bane avec sa voix de Sean Connery et son physique lourd est fantastique.
RépondreSupprimerVivement Noël qu'une âme aimante me l'offre peut-être.